La poésie du XIXe au XXe siècle : du romantisme au surréalisme L’objectif est de faire percevoir aux élèves la liaison intime entre le travail de la langue, une vision singulière du monde et l’expression des émotions. Le professeur amène les élèves à s’interroger sur les fonctions de la poésie et le rôle du poète. Il les rend sensibles aux liens qui unissent la poésie aux autres arts, à la musique et aux arts visuels notamment. Il leur fait comprendre, en partant des grands traits du romantisme et du surréalisme, l’évolution des formes poétiques du XIXe au XXe siècle.
Corpus : - Un recueil ou une partie substantielle d’un recueil de poèmes, en vers ou en prose, au choix du professeur. - Un ou deux groupements de textes permettant d’élargir et de structurer la culture littéraire des élèves, en les incitant à problématiser leur réflexion en relation avec l’objet d’étude concerné. On peut ainsi, en fonction du projet, intégrer à ces groupements des textes et des documents appartenant à d’autres genres ou à d’autres époques, jusqu’à nos jours. Ces ouvertures permettent de mieux faire percevoir les spécificités du siècle ou de situer le genre dans une histoire plus longue.
En relation avec l’histoire des arts, un choix de textes et de documents permettant d’aborder, aux XIXe et XXe siècles, certains aspects de l’évolution de la peinture et des arts visuels, du romantisme au surréalisme.
4° groupe de Séquences
SéquenceS 7, 8
| Lectures analytiques
(linéaires, commentaires composés et comparés)
et sujets de réflexion
| Lectures cursives
et documents complémentaires
| Activités communes
à la classe, histoire des arts
| Problématiques :
Comment lire pour pouvoir écrire? Comment et pourquoi écrire de la poésie ?
Génie, inspiration ou travail de l’écriture. Contraintes et liberté Objets d’étude :
LA poesie du XIX° au XX° siècles : du romantisme au surréalisme
(+ L’argumentation)
Séquence 7 : étude du groupement des arts poétiques
Séquence 8 : étude des documents complémentaires, Printemps des poètes
| Groupement de textes :
Une série d’Arts poétiques : Travail tabulaire
Hugo, « Réponse à un acte d'accusation »
Baudelaire, « L’Albatros »
Verlaine « Art poétique »
Tzara « Un poème complètement dada »
| 1 œuvre intégrale
Un ou plusieurs des livres composant Les Fleurs du mal de Baudelaire
Boileau, « l’art d’écrire » un extrait de l’Art poétique
Aragon « Art poétique »
Queneau, « Bon dieu de bon dieu », « Pour un art poétique »
| Vous vous informerez sur tous les courants littéraires auxquels appartiennent les auteurs des corpus Lecture d’images :
La peinture du Romantisme au surréalisme, projection Participation au Printemps des poètes
Rédaction d’un ou plusieurs poèmes, mise en voix notamment à la journée des arts et à la journée de la poésie de La Colle-sur-Loup Récitations : tous les élèves doivent apprendre au moins l’un des textes des différentes séquences. Ils seront interrogés tout au long de ces séquences Contrôles et bilans de séquence
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Lectures analytiques
Texte 1 REPONSE A UN ACTE D'ACCUSATION Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes;
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille aux carrosses du roi;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois; quelques-uns aux galères
Dans l'argot; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles; sans bas,
Sans perruque; créés pour la prose et la farce;
Populace du style au fond de l'ombre éparse;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d'une F;
N'exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire: Qu'il s'en aille;
Et Voltaire criait: Corneille s'encanaille!
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins; je m'écriai: Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière?
Et sur l'Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur! plus de mot roturier!
Je fis une tempête au fond de l'encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées;
Et je dis: Pas de mot où l'idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d'azur!
Discours affreux! -- Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les Huns les Scythes et les Daces,
N'étaient que des toutous auprès de mes audaces;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom; pourquoi pas? Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856)
| Texte 2 L'albatros Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857
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Texte 3
Art poétique De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou pose. Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint. C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est par un ciel d'automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles ! Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor ! Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine ! Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ? O qui dira les torts de la Rime !
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ? De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
PAUL VERLAINE (1844-1896) Jadis et naguère (1884)
| Texte 4 Un poème complètement DadA
Prenez un journal.
Prenez des ciseaux.
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l’article.
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l’une après l’autre.
Copiez ensuite consciencieusement dans l’ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire.
exemple :
prix ils sont hier convenant ensuite tableaux
apprécier le rêve époque des yeux
pompeusement que réciter l’évangile genre s’obscurcit
groupe l’apothéose imaginer dit-il pouvoir des couleurs
tailla cintres ahuri de la ce n’est plus 10 à 12
Tristan Tzara (1896-1963) « Pour faire un poème dadaïste » In Manifeste sur l'amour faible et l'amour amer, composé en 1920 (et paru dans La vie des lettres n°4, 1921). Reproduit p. 64 in Tristan Tzara, Sept manifestes Dada – Lampisteries, J.J. Pauvert, 160 pages, 1979, Paris
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Documents complémentaires
L'art d'écrire Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime :
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit
Et loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix,
La plupart emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès : laissons à l'Italie
De tous ces faux brillants l'éclatante folie.
Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir;
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie.
La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie ...
BOILEAU L’art poétique, 1674
| Art poétique Pour mes amis morts en Mai
Et pour eux seuls désormais Que mes rimes aient le charme
Qu'ont les larmes sur les armes Et que pour tous les vivants
Qui changent avec le vent S'y aiguise au nom des morts
L'arme blanche du remords Mots mariés mots meurtris
Rimes où le crime crie Elles font au fond du drame
Le double bruit d'eau des rames Banales comme la pluie
Comme une vitre qui luit Comme un miroir au passage
La fleur qui meurt au corsage L'enfant qui joue au cerceau
La lune dans le ruisseau Le vétiver1 dans l'armoire
Un parfum dans la mémoire Rimes rimes où je sens
La rouge chaleur du sang Rappelez-nous que nous sommes
Féroces comme des hommes Et quand notre cœur faiblit
Réveillez-nous de l'oubli Rallumez la lampe éteinte
Que les verres vides tintent Je chante toujours parmi
Les morts en Mai mes amis Louis Aragon (1897-1982),
En Français dans le texte (1943) 1. vétiver : variété de plante odorante.
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Raymond Queneau, Pour un art poétique 3
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu'on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu'on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d'autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékechose d'extrême
un poème 7
Quand les poètes s'ennuient alors il leur ar-
Rive de prendre une plume et d'écrire un po-
Ème on comprend dans ces conditions que ça bar-
Be un peu quelque fois la poésie po-
Ésie 9
Ce soir
si j'écrivais un poème
pour la postérité ? fichtre
la belle idée je me sens sûr de moi
j'y vas
et à
la
postérité
j'y dis merde et remerde
et reremerde
drôlement feintée
la postérité
qui attendait son poème ah mais
Raymond Queneau, (1903-1976),
L'Instant fatal - III « Pour un art poétique » (1948)
| Raymond Queneau, Bon dieu de bon dieu… Bon dieu de bon dieu que j'ai envie d'écrire un petit poème
Tiens en voilà justement un qui passe
Petit petit petit viens ici que je t'enfile
sur le fil du collier de mes autres poèmes
viens ici que je t'entube
dans le comprimé de mes œuvres complètes
viens ici que je t'enpapouète et que je t'enrime
et que je t'enrythme
et que je t'enlyre
et que je t'enpégase
et que je t'enverse
et que je t'enprose
la vache
il a foutu le camp Raymond Queneau,
L'Instant fatal (1948) Gallimard
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