Sommaire Introduction p. 7 Chapitre 1 : Le safe harbor en application de la réglementation européenne des abus de marché p. 10





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* Dispense si la publicité à J+7 comporte le même degré d’information que celui requis par la déclaration mensuelle.
Il faut signaler pour être exhaustif que la Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la modernisation de l’économie est venue atténuer une condition qui existait auparavant et qui obligeait l’émetteur à pourvoir une note d’information soumise au visa de l’AMF. Grâce à un amendement du député Marini cette obligation n’a plus lieu de s’appliquer, elle était du reste critiquée par les acteurs du marché107. En revanche, l’émetteur reste tenu de procéder à l’information du marché telle que vu ci avant et conformément au Règlement général de l'AMF108.
Les articles L 631-7 et suivant du Règlement général de l'AMF énumèrent les conditions de mise en œuvre de la stabilisation d’un instrument financier, qui sont identiques à celles énoncées à l’article 8 du règlement n° 2273/2003.

Dès lors les conditions ne sont pas ambiguës, l’intervenant sait exactement quelle est sa marge de manœuvre, la sécurité juridique est donc en principe pleinement assurée. D’autant plus que l’intervenant bénéficiera d’une présomption irréfragable de légitimité.
2) Une présomption irréfragable de légitimité109
Il a pu être souligné que quelque soit la régulation, pour être réellement efficace cette dernière doit « organiser la charge de la preuve relative à l’activité concernée »110. En France le choix s’est porté sur la présomption. Dès lors qu’il y a une présomption irréfragable, « la question de la véracité du jugement n’appartient plus au débat »111, la présomption revient à une « dispense »112 de charge de la preuve ou du « risque de la preuve »113. C’est un régime exorbitant très sécurisant pour son bénéficiaire. De manière générale, elle peut se justifier ainsi : « La présomption se tire de ce qui arrive le plus souvent »114. Ainsi dans le cadre de cette étude il faut saisir que la stabilisation et les programmes de rachats d’actions sont courants sur les marchés financiers et leurs récurrences justifient une protection supérieure.
Plus particulièrement il faut comprendre que les présomptions, au sens de l’article 1349 du Code civil, sont les « conséquences que la loi ou un magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu »115. Et au vu de l’article 1352 du Code civil en son alinéa 2, la présomption irréfragable peut être définie comme la « présomption ne supportant pas la preuve contraire »116, c'est à dire une sécurité maximum et absolue. La légitimité de l’intervention n’a ainsi pas à être prouvé, puisqu’elle est établie de manière définitive et alors, l’intervenant ne peut voir sa responsabilité engagée au titre d’une manipulation de cours. Ce qui à n’en pas douter est un facteur décisif de sécurisation des transactions.
Le risque n’est-il pas alors que le système soit à tel point sécurisant que l’intervenant prenne peur et n’ose sortir du chemin tracé par la présomption ?
B) Un encadrement qui rigidifie le système
Au niveau communautaire le problème de la définition de la légitimité a put se poser (Chapitre 1, section 1, §2, A)), et en droit interne la question se pose différemment sous l’angle de la preuve. Le recours à la présomption n’est pas du au droit communautaire. Il provient de la transposition française qui s’est inspirée de sa propre législation passée117. L’article 8 de la Directive abus de marché se contente d’énoncer que « les interdictions prévues par la présente directive ne s’appliquent pas » au programme de rachat poursuivant certains objectifs et à la stabilisation. Dans la directive, il s’agit d’une inapplicabilité de la réglementation. Or dans la transposition, la présomption laisse supposer que l’opération est abusive mais que le législateur par principe lui retire ce caractère, c’est à dire comme une présomption de manipulation. La question est alors de savoir en l’absence de présomption, sur qui pèse la charge de la preuve ? A vrai dire la réponse ne peut être que le régulateur, car sinon ce serait remettre en cause le principe fondamental selon lequel il appartient à celui qui allègue une chose de la prouver118. Le régulateur devra de toute évidence d’abord apporter la preuve de la manipulation avant que l’intervenant ne puisse faire la preuve de la légitimité ou opposer une présomption réfragable ou irréfragable de légitimité. C’est semble-t-il une des raisons pour lesquelles l’AMF a vu son pouvoir renforcé au travers de la Loi du 20 juillet 2005 afin de caractériser plus aisément les manipulations119. Le bénéfice de la présomption n’a donc pas tout les défauts que certains voudraient lui attribuer et pour s’en persuader il faut ajouter que la présomption relève du régime de la preuve et non du régime applicable au fond120. Toujours est-il que le dispositif est à ce point sécurisant que l’opérateur peut craindre qu’à en sortir il tomberait en zone dangereuse.
Dans les faits, il semble que le problème réside dans l’étroitesse des conditions de mise en œuvre du safe harbor dans le cadre des programmes de rachat d’actions. Un auteur voit même dans les critères du safe harbor non plus des conditions auxquelles l’intervenant serait libre de se conformer, mais des « interdictions absolues »121 (à propos des programmes de rachat d’actions et non de la stabilisation qui à vrai dire ne pose pas de problème). C’est la réserve qui était exprimé avant la mise en place de la régulation, à savoir que « le régime de présomption ne devienne pas en pratique obligatoire »122. Car ce serait alors retirer tout intérêt à ce mode de régulation.

Le présupposé de cet auteur est néanmoins erroné. Ce n’est pas parce que les conditions du safe harbor seront ou non volontairement suivies, que ces conditions ne peuvent pas constituer une interdiction. En droit américain, le bénéfice du safe harbor est aussi encadré par des interdictions. En revanche, le véritable effet est que les conditions deviennent strictes, mais pas que l’intervenant ne puisse agir autrement. Cependant l’AMF, en reconnaissant une valeur officielle à deux pratiques de marché admises, offre aux intervenants des régimes plus souples et éventuellement plus en rapport avec leurs besoins.
Les objectifs que recherchent les opérateurs ne semblent pas se suffire de la présomption irréfragable et que quitte à ne pas en bénéficier ils préfèreront peut être les pratiques de marché ?
§2 Le risque que les acteurs s’en détournent au profit des pratiques de marché
Les pratiques de marché admises sont exclusives du safe harbor (A), c'est à dire que ne recouvrant pas les mêmes hypothèses, elles ne peuvent en bénéficier. L’intervenant ne cherchera-t-il pas alors à se placer sous la protection des pratiques de marché admises plus accueillante plutôt que celle du safe harbor (B) ?
A) Les pratiques de marché sont exclusives du safe harbor
L’AMF a retranscrit fidèlement les dispositions relatives à l’admission de pratiques de marché admises dans son règlement général123 qui impose l’admission après publication au bulletin des annonces légales obligatoires (BALO) et sur le site internet de l’AMF.
1) Deux pratiques de marché
L’AMF a rapidement admis deux pratiques de marché124 qui, en vérité, étaient utilisées depuis longtemps sur la place financière de Paris et qui jouent de toute évidence un rôle bénéfique pour le Marché. L’AMF avait à ce titre réalisé une étude statistique125 sur la forme, le nombre et les objectifs des rachats d’actions en France, ce qui lui a permis de saisir les attentes réelles des opérateurs du marché. Il s’agit de :
 La mise en place d’un contrat de liquidité. Ce type de contrat permet à une société ne bénéficiant pas d’une liquidité naturelle suffisante de la provoquer en créant de l’offre ou de la demande, en effet le but est de « favoriser la liquidité des transactions et la régularité des cotations des titres de l'émetteur ou éviter des décalages de cours non justifiés par la tendance du marché »126. En pratique ce type de contrat permet une véritable régularisation des cours, importante pour l’émetteur qui par ce biais pourra améliorer son image financière. Cette activité par contre ne s’exerce pas directement, le risque d’abus serait alors trop élevé, mais via un prestataire de service d’investissement. Elle doit remplir quelques conditions ayant trait à l’indépendance du prestataire de service d’investissement vis à vis de l’émetteur. Ces conditions sont, du reste, rappelées dans la Charte de déontologie établie par l’Association Française des Entreprises d’Investissement (AFEI)127. Ce recours à un seul prestataire d’investissement n’est pas sans faire penser à la règle américaine selon laquelle l’intervenant qui pratique un programme de rachat ne doit recourir qu’à un seul Broker/Dealer.
 L’acquisition d’actions propres aux fins de conservation et de remise ultérieure en paiement ou en échange dans le cadre d’opérations de croissance externe. L’acceptation de cette pratique vise à ne pas entraver le rapprochement d’entreprises et l’acquisition d’activités, qui sont généralement jugés favorable pour leurs effets bénéfiques sur l’économie et la santé des entreprises. En premier lieu cela évite d’avoir à recourir à une augmentation de capitale soumise à des formalités complexes, ensuite cela constitue un mode de défense anti-OPA128, enfin l’absence de sortie de liquidité et la plus grande marge de négociation quant à la parité d’échange des titres rendent ce type d’acquisition plus aisée et plus intéressante financièrement. L’admission d’une telle pratique était donc nécessaire à la vitalité des rapprochements d’entreprises.
Les pratiques de marché admises bénéficient en droit français d’une présomption simple de légitimité (ou présomption réfragable) c'est à dire une « présomption qu’une partie à la possibilité de contester en apportant la preuve contraire »129. Ainsi, l’intervenant peut agir sur ses propres actions dans le cadre des pratiques de marché admises et il n’encourt un risque que si le régulateur ou tout intéressé prouve que ces agissements ont été détournés de leurs finalités déclarées. En revanche, ce n’est pas à lui de prime abord à prouver la légitimité de son intervention.
2) Ne relevant pas du safe harbor
Les pratiques de marché admises ne relèvent pas du safe harbor puisqu’elles ne remplissent pas les objectifs énoncés par l’article 3 de Règlement pour bénéficier du safe harbor130. Le règlement énonce explicitement que le programme doit « avoir pour seul objectif » les finalités vues ci avant. Ce qui en pratique est problématique. Les intervenants du marché avaient dans les faits recours à des programmes de rachats d’actions à objectifs multiples131. Or, d’une part, l’article 3 ne prévoit pas la possibilité de faire de tel programme et, d’autre part, il semble que le cumul des pratiques de marché admises et du safe harbor ne soit pas envisageable. Une autre conséquence de cet article est que la modification des objectifs du rachat d’actions, c'est à dire une réaffectation, fait perdre le bénéfice du safe harbor132.

La solution autre, consistant à distinguer au sein d’un même programme les objectifs et leur régime juridique, n’est pas envisageable tant l’article 3 du règlement ne laisse aucune marge d’appréciation.
Le risque est alors patent que les opérateurs se détournent du refuge et préfèrent prendre des risques limités mais les autorisant à établir des programmes à objectifs multiples.
B) Au risque que les intervenants préfèrent les pratiques au détriment du safe harbor
L’intervenant, s’il vise plusieurs objectifs, sera dans l’obligation de renoncer au safe harbor. Le cumul n’étant pas possible, l’intervenant se retrouve dans la situation où, soit il décide de ne pas bénéficier du « refuge », soit il s’y plie mais alors ses possibilités sont largement restreintes. La première solution, semble-t-il, est celle qu’il faut envisager133. Mais alors la régulation que met en place le safe harbor perd tout son intérêt et peu d’intervenants y auront recours. Il faut alors attendre de voir comment l’AMF résoudra ce problème. En attendant l’émetteur sera tenu de mettre en place plusieurs programmes de rachat. Dans cette hypothèse si l’émetteur entend bénéficier du refuge pour au moins un des programmes, il semble alors que le cumul des programmes doit respecter pour sa globalité les conditions du safe harbor.
Un auteur suggère que l’émetteur qui procéderait à un programme de rachat à objectif multiples, mêlant à la fois des objectifs identiques à ceux du safe harbor et des objectifs relevant des pratiques de marché admises, ne bénéficierait pas de la présomption irréfragable de légitimité134. Mais tout au moins, s’étant conformé aux conditions pour en bénéficier n’aura aucun mal à faire la preuve de la légitimité de son intervention. Par une voie détournée l’opérateur obtient un résultat quasi identique et s’extrait des conditions trop strictes du safe harbor. Il est néanmoins regrettable qu’une erreur de rédaction risque de détourner les émetteurs135.
La transposition a put donc mettre à mal le principe de safe harbor et la portée qu’il recèle, mais ces critiques restent théoriques et il s’agit de confronter le principe à la pratique. Une décision récente de l’AMF contribuera à cet objectif.


§3 Une application respectueuse
Le 16 septembre 2005 la commission des sanctions de l’AMF a rendu une décision à l’encontre de la société Eurazeo (issue de la fusion entre Eurafrance et Azeo). A première vue l’AMF a rendu une décision respectueuse du concept de safe harbor (A), cependant tous les doutes ne sont pas résolus au vu de l’espèce en cause (B).

A) La décision « Eurazeo »136 : une application juste du safe harbor
Etant une des premières applications jurisprudentielles dans le cadre d’une manipulation de cours, celle-ci retiendra toute l’attention. En effet elle permet aux acteurs économiques de mieux appréhender la manière selon laquelle l’AMF procédera dans le futur. Plus particulièrement il s’agissait de savoir si les dispositions concernant la présomption irréfragable de légitimité était applicable à des faits commis sous l’empire de l’ancien règlement COB137 ?

Admettant le principe de la rétroactivité in mitius, l’AMF devait se pencher sur le concept de safe harbor. L’AMF énonce une pétition de principe selon laquelle, même si la pratique n’est pas intervenue dans le cadre de la présomption simple ou irréfragable de légitimité « le manquement de manipulation de cours ne serait pas pour autant établi ». C’est finalement une très juste application du principe de safe harbor qui est faite là, puisque l’intervenant peut agir au travers d’autres pratiques. Néanmoins il appartiendra à l’intervenant de « rapporter la preuve de sa bonne foi ». Ainsi, l’AMF rappel le principe directeur et donc semble balayer les craintes qui ont put naître au regard de la transposition au travers d’une présomption irréfragable de légitimité.

Il faut du reste souligner que la Commission des sanctions non seulement rappelle le principe applicable, mais en plus aide l’intervenant à établir la preuve de sa bonne foi. Il s’agit pour ce dernier de démontrer que « les modalités de rachat n’ont pas entravé le fonctionnement régulier du marché ou n’ont pas revêtu un caractère trompeur ». Autrement dit, le rachat n’a pas eut d’impact sur l’efficience des marchés ou n’a pas eut un effet néfaste sur le prix.
Cependant une note négative semble entraver cette interprétation respectueuse.
B) Dans une hypothèse spéciale de manipulation formelle
Le doute quant à une application respectueuse du safe harbor peut-il alors encore subsister ? Apparemment non au vu de cette sanction. Cependant, la pétition de principe était-elle suffisante ? Ici la légitimité de la pratique ne pouvait de tout façon pas être démontrée. En effet, la décision de la Commission des sanctions et le rappel des preuves concourant à rapporter un ensemble de manœuvres frauduleuses soulignent un caractère nécessairement illicite. Or en présence d’une infraction illicite la preuve de la légitimité n’est jamais admissible.

Dès lors, il n’est pas possible de savoir réellement quel est le degré d’admission de la légitimité par l’AMF. La pétition de principe pouvant dans les faits rester lettre morte. En outre, cette décision ne résout pas le problème des programmes à objectifs multiples. Faut-il alors faire autant de programme que d’objectifs ? Ce serait une solution lourde et complexe avec le risque que le nombre de programmes baisse en comparaison avec les statistiques antérieures138.


Malgré tout, le recours à un concept d’origine américaine pourrait être le signe que l’Union européenne et les états membres entendent se doter d’une régulation en matière boursière qui soit plus économique qu’elle ne l’était déjà et alors l’approche des délits boursiers par la France serait modifiée.


Section 2 Le safe harbor : une nouvelle façon d’appréhender la manipulation de cours ?
S’interroger sur la finalité du safe harbor, s’est se demander ce que protège ce concept ? Il est admis, par certains, que toute régulation vise soit la protection du consommateur, soit assurer la confiance dans un système139. Il y a alors une acception politique de la régulation en ce que des choix doivent être faits. En l’espèce deux réponses sont envisageables. Soit le safe harbor vise l’obtention d’un prix juste et non manipulé, c’est à dire que l’on ne supporte pas le fait de tromper les opérateurs. Soit il a pour finalité la protection du marché, c’est à dire que craignant pour l’économie de manière générale on entend porter une sanction à l’événement qui risque de la déstabiliser (§1). Le droit de la concurrence semble alors être une aide efficace à la lutte contre les manipulations de cours (§2).
§1 La protection du marché ou du prix ?
La France pour des raisons religieuses et historiques tend à réprimer la manipulation qui porte atteinte au prix140. C’est une vision qui tend à protéger la moralité, c'est à dire le refus qu’une personne puisse obtenir un profit excessif par le biais de manœuvres141.
A) L’acception traditionnelle : la protection des prix
La réglementation française de la manipulation de cours trouve son origine dans la volonté de protéger les prix et non le marché lui même. L’objectif de la réglementation étant l’obtention d’un prix juste, c’est la manipulation qui a un effet sur ce prix qui est sanctionnée. Longtemps assimilée à une fraude, l’incrimination vise à protéger celui qui en pâtit.

De manière générale, il doit être rappelé que « si les investisseurs acceptent l’aléa boursier, c’est dans la conviction que le cours exprime, à chaque instant, le jugement moyen des intervenants sur la valeur de l’instrument échangé »142. Cette conviction serait trompée par le manipulateur, car alors le cours n’exprimerait que le prix voulu par ce dernier. Cette volonté de protéger l’acheteur de l’atteinte au prix est fort ancienne puisque déjà, en 1572, l’Edit de Charles IX reconnaissait une utilité à la fixation des cours, celle de la protection de l’acheteur et donc de la régulation économique143. C’est bien la protection de « l’utilisateur finale » qui est visée par ce type de réglementation144.
Sous cet angle, la difficulté réside dans l’obligation d’apporter la preuve de l’élément intentionnel, c'est à dire la volonté de manipuler le prix. Cette notion d’intention a toujours été présente en droit français et caractérise une acception morale du marché. Mais ce mode d’appréhension est en train de changer, semble-t-il, puisque récemment la commission des sanctions a condamné un émetteur en soulignant qu’« il importe peu que ces dépassements aient été délibérés »145. L’application du safe harbor ne s’occupe pas de l’intention146.
B) L’approche moderne par le marché
A l’inverse de l’approche française, la réglementation américaine. Le 1934 Act, qui réglemente les manipulations de cours aux Etats Unis, a été élaboré à la suite de la crise de 1929. Cette réglementation se faisant, d’une part, la réponse à la spéculation désordonnée des intervenants et d’autre part, l’écho de la crainte selon laquelle la manipulation de cours était susceptible d’interférer avec l’efficience du marché et donc par la même d’influer négativement sur l’économie nationale. Le manipulateur doit donc être sanctionné car il fait courir un risque à l’économie et au marché en ne laissant pas agir la main invisible d’Adam Smith147.
Les institutions européennes semblent pour leur part avoir pris parti pour la protection du marché plutôt que pour celle du prix (précision faite que l’interdépendance entre les deux est évidemment très forte et que le critère commun aux deux acceptions est la spéculation148). Ainsi, le Considérant n° 12 de la Directive abus de marché vise à « assurer l’intégrité des marchés et renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés » et non pas à l’obtention d’un prix non trompé. Cette différence d’appréhension n’est pas nouvelle, elle se retrouve aussi dans les modes de cotations de type anglo-saxon et latin.

Pour autant, cette assertion doit être tempérée. En effet, l’article 1-§2 de la Directive abus de marché ne se contente pas de viser uniquement les « ordres », il vise aussi les « opérations ». L’utilisation de ce terme générique tendrait alors à rendre applicable ce dispositif tant aux marchés de cotation anglo-saxonne, qu’aux marchés de cotation latine.
Un élément pousserait à croire que la transposition française est restée figée dans sa conception traditionnelle. Il s’agit du problème de la ré-affectation des titres achetés à un objectif différent de celui initialement prévu. Elle est interdite dans le cadre du safe harbor, notamment dans le cas de la réduction de capital, ce qui révèle en partie une crainte de manipulation du prix 149. En effet, l’investisseur reçoit l’information selon laquelle l’affectation sera telle. Il en déduira une position à prendre sur le marché et une valorisation de l’actif. Modifier cette affectation c’est porter atteinte aux anticipations prises par l’acheteur éventuel de titres et donc au prix qu’il en attend.
Quelle que soit la finalité protégée, il n’en reste pas moins qu’un changement de paradigme semble poindre à l’horizon du traitement des délits boursiers. En effet, la vision juridique semble laisser le pas à une vision plus économique pour obtenir une répression plus efficace.
§2 Le droit de la concurrence à l’aide de la répression de la manipulation de cours
« N’est-il pas plus facile de prouver un fait économique qu’une intention morale ? »150 Le fait de s’intéresser au droit de la concurrence permet d’apporter une solution à cette question à caractère fermée, c'est à dire n’acceptant qu’une seule réponse (B). Cependant en quoi le droit de la concurrence peut-il être un apport au droit financier (A)?
A) De l’apport du droit de la concurrence
La formulation même de la Directive « Abus de marché » laisse penser que le législateur communautaire entend procéder à la protection du marché. Ce concept de marché n’est pas neutre de sens. Il est particulièrement mis en exergue en droit de la concurrence, où il sert de référent pour juger de ce qui peut relever d’un comportement abusif ou non. L’idée de rapprocher ces deux droits n’est pas nouvelle mais ne semblait pas encore aboutit 151. Cependant les innovations successives et récentes semblent avoir redonnées vie à cette approche. La thèse d’une appréhension concurrentielle des marchés financiers a été brillamment soutenue152 et il faut relever d’autres éléments qui concourent à l’étayer, mais aussi des arguments qui tendent à la relativiser. Précision faite qu’il ne s’agit pas de l’angle traditionnelle sous lequel cette question est traitée. C'est à dire au regard du contrôle des concentrations pour lesquels la question ne se pose plus, car de toute évidence le droit de la concurrence s’applique à ces opérateurs153.
Le but ici est plus particulièrement de voir comment le droit de la concurrence pourrait être utile dans la recherche d’une sanction aux infractions boursières. Selon l’auteur de la thèse précitée, le droit de la concurrence permettrait de prouver l’élément intentionnel propre à la manipulation de cours154. Il semble qu’il faut aller plus loin encore et voir dans le droit de la concurrence un prisme permettant la sanction d’une infraction économique et non morale. La critique est néanmoins proche et se fonde sur le constat que certes la bourse est un marché, mais c’est un marché spécial. Il n’est pas besoin de rappeler la règle speciala generalibus derogant, or, un droit boursier existe déjà. Il doit être répondu à cela que la règle spéciale s’efface au profit du droit commun lorsque la première manque à donner une réponse. A parodier un auteur il faut se demander si le droit de la concurrence peut jouer le rôle du droit commun 155? Il a put en effet être soutenue que « le droit commun de la concurrence fait ainsi preuve de la plasticité des droits résiduels qui s’appliquent faute de mieux »156.
Aussi théorique que cela puisse paraître l’appréhension concurrentielle des manipulations de cours peut se remarquer dans les termes qu’utilise la réglementation européenne. Il n’est qu’à voir l’objectif de « transparence »157 du marché qui est affiché. Objectif de transparence qui est selon la théorie économique une des conditions essentielles au bon fonctionnement du marché158. Elle trouvera à s’appliquer sur les marchés financiers dans les relations verticales entre l’émetteur et les investisseurs quant à la détermination du prix. La transparence participe évidemment de la protection des investisseurs.

Un autre exemple réside dans la protection de « l’intégrité »159 du marché qui est en fait la volonté d’assurer la libre rencontre de l’offre et de la demande ce qui est la caractéristique d’un marché efficient et donc pleinement concurrentiel.

Enfin la volonté d’assurer « l’égalité »160 entre les différentes places financières et donc permettre que la concurrence entre les marchés soit totale, en vérifiant que le standard de régulation est identique entre les Etats.
Pour résumer il s’agit d’objectifs communs à la régulation communautaire et au droit de la concurrence. En outre, des ressemblances sont notables, il n’est qu’à voir le recours à des autorités administratives indépendantes (l’AMF et le Conseil de la concurrence) pour procéder tant à l’élaboration de la norme de régulation que participer à la sanction des abus. Ensuite, c’est l’utilisation de concepts proches, tel que l’entente anticoncurrentielle161. Cette pratique prohibée du droit de la concurrence se révèle intéressante au vu de l’infraction boursière de manipulation de cours. L’article L 420-1 du Code de commerce interdit tous les accords (tacites, exprès,…) qui font obstacle à une concurrence efficiente. L’article 1-§2-a) de la Directive abus de marché énonce en son alinéa 2 « l’action d’une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée » et vise par là même l’entente dont cherche à profiter plusieurs personnes. L’entente sur les marchés boursiers n’est pas en soi répréhensible, il y a même un statut spécifique de l’action de concert qui en est un exemple caractéristique162.

Le développement de l’autorégulation en matière boursière semble s’inspirer du droit de la concurrence, l’absence de notification préalable à l’autorité compétente avant la mise en œuvre d’un programme en est un exemple. L’intervenant est invité a évaluer lui même la légitimité de son opération, il en supporte alors lui même les conséquences.
La spécificité du marché ne doit pas pour autant être niée, d’une part, parce que les éléments qui le composent sont dématérialisés et d’autre part, parce qu’un impératif de sécurité est exigé au vu de la protection de l’épargne publique. L’acception purement économique a le mérite de l’efficacité, l’acception traditionnelle a le mérite de porter une sanction à l’atteinte faite à des valeurs jugées supérieures. Toujours est-il que l’exemple le plus flagrant relève de la comparaison avec l’abus de position dominante.

B) L’abus de domination163
Au sens de l’article L 420-2 du Code de commerce tout acteur d’un marché de produits et services se voit interdire « l’exploitation abusive […] d’une position dominante », c’est à dire le pouvoir pour la personne qui en abuse de « faire obstacle à une concurrence effective »164. L’applicabilité du droit de la concurrence n’est pas qu’une vaste question théorique, en effet il emporte « un système probatoire à la fois allégé et sophistiqué »165.
1) La manipulation de cours, un abus de domination
Au fond, l’approche française de la manipulation de cours est remise en cause. Une critique de l’acception, selon laquelle la manipulation est un tromperie, serait justifiée par le fait qu’il s’agisse plutôt d’une atteinte au jeu de l’offre et de la demande166, c’est à dire en soi une pratique anticoncurrentielle167. La manipulation de cours est alors condamnable non pas du fait que c’est une tromperie, mais bien parce qu’il faut apporter une « sanction des altérations apportées volontairement par certains émetteurs au processus de formation des cours de bourse »168 et donc un refus d’une concurrence effective. Au vu de la sanction administrative, cette acception est recevable, mais du point de vue pénal la critique est envisageable.

Sous l’angle administratif, l’article 631-1 du Règlement général de l'AMF envisage la manipulation de cours à propos d’ « indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours », c’est à dire en considération de l’objet. Au pénal, c’est l’exercice d’une manœuvre qui induit « autrui en erreur » c'est à dire en considération de l’effet.

Ainsi, même si l’article 419 de l’ancien code pénal est comme il a été cité « l’ancêtre législatif commun du droit de la concurrence moderne et du délit de manipulation de cours »169, l’interprétation de la manipulation de cours sous un angle concurrentiel n’est envisageable et pertinent qu’en relation avec la sanction administrative. La sanction pénale est encore marquée du sceau de l’intention de tromper et non seulement de l’intention de manipuler. Il y a ici une volonté d’instaurer une progression dans la sanction, le droit pénal étant réservé aux cas les plus graves.
La comparaison avec l’abus de position dominante est donc relevante vis à vis de la sanction administrative. Il s’agit pour l’intervenant de contrôler l’offre et la demande tel qu’énoncé par l’article 1-§2-a)-al.2 de la Directive abus de marché. Lequel article est utilement complété par un exemple, à savoir « le fait pour une ou plusieurs personnes […] de s’assurer une position dominante sur l’offre ou la demande » et ayant pour effet la fixation du prix ou du cours. Cependant, au même titre qu’en droit de la concurrence, seul l’abus sera sanctionné. Une condamnation de facto, aurait pour effet d’interdire tout achat massif de titres pour peu qu’il offre une position dominante à l’acheteur, achat qui en tant qu’information nécessiterait un ajustement automatique du cours.
Deux questions se posent alors. D’une part, comment prouver l’abus ? Et d’autre part, comment déterminer ce qui est abusif ou non ?
2) La preuve de l’abus

La question de la preuve se résout pragmatiquement par l’établissement d’un faisceau d’indices qui est un mode de preuve admis tant par le droit de la concurrence, que par le droit américain qui a servi de modèle170. Ce « faisceau d'indices » permet, comme le rappel le député Mallié171, d'identifier les manipulations qui rentrent dans le cadre de la définition donnée par la Directive abus de marché. La preuve est apportée dès lors que le faisceau d’indices permet d’établir que « la position de l’entreprise (ici l’intervenant) est de nature à lui permettre de s’abstraire de la pression de la concurrence d’autres entreprises (ici les autres investisseurs) »172. Il est alors plus aisé de comprendre pourquoi le législateur communautaire a procédé à l’énumération de signaux173, ceux-ci n’ayant d’autre finalité que d’aider le régulateur en charge de la sanction à caractériser les indices nécessaires à l’établissement de la preuve. Ainsi, un signal pris indépendamment ne suffit pas, mais la concordance de plusieurs signaux permet au régulateur de mettre en exergue l’intervention abusive de l’opérateur.

Cependant, si la preuve de l’abus est facilitée, des exceptions néanmoins existent si la pratique est légitime. Comment alors distinguer ce qui est abusif de ce qui ne l’est pas ? Dans la situation présente, l’abus s’appréciera à l’aune de la légitimité de l’objectif poursuivi par l’intervenant. Cette réponse ne fait que poser une question suivante. Comment apprécier cette légitimité ? Ici encore, c’est un recours au droit de la concurrence qui permettrait de résoudre le problème, il s’agit de la théorie du bilan concurrentiel au regard du marché concerné, c'est à dire le rapport coût-avantage de la pratique. L’exemple théorique (l’appréciation coût-avantage n’étant pas nécessaire, puisque bénéficiant d’une présomption de légitimité) de la stabilisation est évident : d’une part, la manipulation consciente des cours tendant à fixer un cours anormal à l’instrument financier et, d’autre part, le risque d’échec pour nombre d’émetteurs lors du placement de leur titre. Le risque d’échec étant plus néfaste que la manipulation, la stabilisation sera jugée légitime. Cet exemple est bien entendu assez grossier et la réalité nécessiterait plus de finesse, mais l’idée est réaliste. Est légitime ce qui globalement est avantageux pour le marché et donc pour l’économie.


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