«Les couventines» «Celui qui est maître de l’éducation peut changer la face du monde.» Leibnitz Introduction





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Avant


La guerre se terminait. Pardon à ceux qui sont morts, mais l'été 1944 reste ensoleillé dans ma mémoire. J'avais 9 ans et j'étais une petite fille choyée.

L'armée allemande avait réquisitionné notre école et nous étions hébergées dans une grande maison bourgeoise à la sortie du village. Le déménagement des classes s'était effectué dans une ambiance de chahut et de rires et les derniers cours avaient perdu de leur sérieux. Au début du mois de mai, après avoir chanté : « Maréchal, nous voilà... » et quelques cantiques, le départ en vacances nous fut donné bien plus tôt qu’à l’ordinaire. Il est vrai que les maîtresses et les fillettes ne portaient plus le moindre intérêt aux leçons et que la cueillette des doryphores s’était terminée dans les champs de pommes de terre.

Un matin, mon père nous réveilla pour nous annoncer le débarquement des Alliés. L’excitation de mes parents, leur joie, me fit prendre conscience de l'importance de l'événement.

Peu à peu, l'armée d'occupation perdait de sa superbe, on sentait la revanche proche, le sourire narquois des paysans s'affichait sans prudence. L'armée alliée avançait, l'armée allemande reculait, les rapports de force s'inversaient. Un rire énorme montait autour de moi, un rire de libération.

La poche de Falaise suppurait par les rues de mon village ornais : Le Sap. Des fenêtres du premier étage, entre mes parents, je regardais, comme au spectacle, le flot de la retraite allemande. Cette position élevée me permettait de voir à l’intérieur des camions les soldats blessés, ensanglantés, éventrés. Petite fille trop sensible, j'aurais pleuré des heures la mort d'un oiseau, pourtant, j'ai beau chercher dans ma mémoire, je ne trouve nul sentiment d'horreur devant les atrocités qui défilaient sous mes yeux. Parfois, ma mère me serrait contre elle pour m'épargner la vue des corps mutilés, effroyablement déchirés, mais c'était trop tard, en un clin d'œil j'avais vu les plaies ouvertes, les morts figés dans d'étranges positions. Je n'éprouvais que de la curiosité. Je sentais autour de moi un immense soulagement… la guerre allait finir.

Plus tard, les Canadiens nous libérèrent sans coup férir, les derniers Allemands étaient partis avant leur arrivée. Il y eut des drapeaux, des embrassades, de nouveaux chars, de nouveaux soldats à qui j'avais le droit de parler et qui, parfois, à ma grande surprise, avaient la peau noire. Les méchants étaient partis, les bons étaient arrivés. C'était une gigantesque fête. Les parents étaient très joyeux, ils étaient trop occupés à discuter entre eux pour surveiller les enfants. Nous ramassions des douilles et nous jouions à la guerre.

Les soldats américains restèrent peu de temps. Juste le temps de nous distribuer généreusement cigarettes et chocolat et d'engrosser la petite bonne… Le calme revint, la guerre s'éloignait. Le soleil chauffait les rues vides. Les enfants reprirent le jeu de l'épervier d'un trottoir à l'autre. Un petit garçon du voisinage me déclara son amour, cela m'embarrassa beaucoup. Après avoir caché quelque temps le billet en forme de fleur qui s'ouvrait sur ces mots calligraphiés au crayon de couleur : « Annick, je t'aime. »

Je me sentis coupable au point de tout avouer à ma mère. Je lui remis le troublant message. Elle sourit et n'y pensa plus. J'étais certaine qu'elle le donnerait à mon père et j'attendais avec angoisse de terribles représailles. À ma grande surprise, il n'y fit aucune allusion.

Dans la cuisine ouverte sur le jardin, ma mère et ma grand-mère commencèrent à préparer ma rentrée en pension, l'une cousait, l'autre tricotait. Elles parlaient souvent de mon départ et je les écoutais.

Ma grand-mère disait : « la Pension » d'un ton sérieux, plein de respect, ma mère y mettait une nuance plus amusante. Moi, j'avais seulement compris que je devais partir à Notre-Dame d'Orbec. Je n'avais jamais quitté ni mon village, ni ma famille. Je n'imaginais rien, j'étais vaguement inquiète mais je refusais d'y penser. Je vivais les vacances comme si elles devaient durer toujours.

La préparation du trousseau, par contre, m'intéressait. La couturière du village prenait mes mesures pour la confection de l'uniforme. Poupée vivante, debout sur une chaise, je me laissais tourner et retourner au milieu des discussions auxquelles je n'étais pas conviée mais dont j'étais l'objet. Ma mère brodait les douze chemises obligatoires, recomptait les culottes de coton blanc. Par coquetterie, elle décida de réaliser un empiècement de nids d'abeille pour mon corsage d'uniforme. L'entreprise se révéla plus longue que prévu et je fis la rentrée en jaune au milieu d'un troupeau de fillettes vêtues du bleu marine obligatoire. Comme l'exigeait le règlement de la pension, toutes les pièces de mon trousseau étaient brodées d'un « A.R.6 », initiales et matricule destinés à éviter la perte des objets personnels.

Quelque temps avant le début officiel des classes, il fut décidé que j'irais avec maman visiter le pensionnat et rencontrer les religieuses afin de leur être présentée. Nous étions parties tôt le matin enveloppées de couvertures dans la carriole d'un paysan. Une distance de quinze kilomètres séparait Le Sap d’Orbec. La route me parut très longue d'autant qu'à mi-chemin et bien qu'on ait raisonnablement alterné le pas et le petit trot, le cheval se mit à boiter. Le conducteur décida de faire demi-tour sans avoir atteint le but du voyage. Une seconde fois, il fallut recommencer l'expédition.

Je garde peu de souvenirs de ce premier contact : de grands bâtiments, des bonnes sœurs parlant au-dessus de moi avec mes parents sans m'accorder la moindre attention autre qu'une petite tape sur la joue et des recommandations de sagesse. J'attendais, totalement passive, je ne vivais rien, j'entrais dans un état d'inertie, de somnolence, mon pouce dans la bouche, je commençais à mourir pour cinq ans…

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