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Le RecrutementÀ cette époque, le pensionnat Notre-Dame d’Orbec est « l’une des meilleures maisons d’éducation chrétienne de l’Ouest ». Moins prestigieux que l’institution « Les Oiseaux » son homologue qui, à Paris, tient le haut du pavé, il a cependant une réputation flatteuse en Basse-Normandie. Les familles bourgeoises de la région qui veulent donner à leur fille une éducation raffinée et une moralité chrétienne ont le choix entre de nombreuses institutions catholiques appartenant à différentes congrégations religieuses. Les chanoinesses ont essaimé depuis leur création mais aussi les Bénédictines, les Ursulines, les Dominicaines, les Dames de Saint-Maur, la Providence, etc. Les difficultés de transport au sortir de la guerre font choisir aux parents la pension la moins éloignée de leur domicile. Pour moi, Notre-Dame d’Orbec est non seulement la plus proche mais c’est aussi là que ma grand-mère, ma mère et ma tante ont été élevées. Il s’agit d’une tradition familiale. Le chemin est déjà tracé. Mon père a pris ses distances avec sa propre lignée familiale. Il pourrait repenser cette tradition mais il n’en est rien. L’éducation des femmes dans ma famille maternelle lui semble excellente. Il apprécie les mœurs et les usages de la petite bourgeoisie rurale et chrétienne à laquelle il accède par son mariage. Le problème de la religion catholique l’intéresse et, à l’église, dans le banc réservé à ma famille, il participe volontiers aux cérémonies avec son épouse. Sans être croyant, il se pose la question de l’existence de Dieu. Le clergé qui fréquente assidûment la maison est un interlocuteur qui l’intéresse et l’enrichit intellectuellement. De plus, il est très sourcilleux quant à la moralité des femmes, du moins pour celles de sa famille. Il entend par moralité leur attitude face à la sexualité. Le reste va de soi. Il exige que « j’arrive » vierge au mariage. C’est sa loi et il est inflexible sur ce point. L’honneur de toute ma famille en dépend, dit-il. Plus tard, fasciné par quelques femmes célibataires déjà « libérées » qu’il admire et qui lui renvoient un discours égalitaire, il pourra envisager pour moi une vie de femme libre mais seulement dans un avenir très lointain et si mes chances d’accéder au mariage sont alors passées sans succès. Prudent, il ne me tient pas au courant de cette évolution de peur que je ne me sente trop tôt autorisée à prendre une liberté qu’il juge dangereuse. Ma mère partage totalement ses vues. Hors du mariage pas d’avenir pour une fille et, pour se marier, il faut être vierge. Bien sûr, une telle exigence de pureté ne s’adresse qu’à sa femme et à sa fille, pas à ses fils ! Dans la Normandie rurale de 1945 où je vis, le destin des jeunes filles qui ont « fauté » est épouvantable. Salies, déshonorées, humiliées, elles ne trouveront pas de mari. Jamais, me dit-on, un homme ne voudra épouser une femme qui a entretenu une relation sexuelle avec un autre homme. Le dégoût qu’elles inspirent est perceptible dans la façon dont on parle d’elles. Ces « pécheresses » n’auront pas d’enfant autre que « bâtard » et leur avilissement les fera rejeter hors de la société. Rien ne pourra effacer leur faute et l’homme qui les a entraînées (les traînées !) sera le premier à les mépriser. Plus je grandis, plus l’interdit tant social que familial de toute sexualité se fait sévère. Je sais que franchir cet interdit c’est être banni par son propre père ce qui est pour moi la sanction la plus cruelle. Comme ma mère et ma grand-mère, femmes soumises qui ont subi le même chantage, je tremble. Pour l’heure, je suis considérée comme faible et je dois être protégée contre la concupiscence des hommes pour qui je suis une proie dont ils rêvent d’abuser, me dit-on. Il est donc nécessaire de me surveiller et de me constituer des défenses pour plus tard. Les religieuses ont cette mission. Mon père dira un jour : « Au moins, lorsqu’elle est en pension, on la surveille et je suis tranquille ». Les lycées d’État sont encore peu nombreux aux alentours et ont, dans mon milieu familial, mauvaise réputation. Ils sont le prolongement de l’école laïque, on y fréquente donc « n’importe qui » c'est-à-dire que l’on est sur un pied d’égalité avec « les pauvres » lesquels, de ce fait, deviennent dangereux par toutes les tares sociales qu’ils véhiculent et dont une famille chrétienne doit préserver ses enfants. Pourtant, dans la charité chrétienne, on aime les pauvres, on a quelque chose à leur donner, de préférence des vieux vêtements, l’exemple de notre vertu, de nos bonnes manières, de notre savoir. (À Notre-Dame de Flers, les grandes élèves iront chaque jeudi visiter des vieillardes, des mères accablées de maternités. En fait, elles en profiteront pour faire parfois la charité buissonnière). Nous sachant favorisées : « Mes demoiselles vous êtes l’élite », nous avons une « dette » envers les pauvres. Quel aveu ! Campées à cette hauteur, il n’y a aucun risque d’être contaminée par la promiscuité. Les barrières sociales sont bien étanches, la contagion ne remonte pas. L’Église a toujours tenu, concernant les pauvres, un discours empreint d’angélisme, mais derrière la charité, le mépris n’est pas loin. Les lycées d’État sont également soupçonnés d’être le nid du communisme. Or l’Église catholique, puissante dans cette zone rurale, combat ce courant politique pour l’athéisme qu’il impose. La paysannerie ornaise si attachée à la possession de la terre en a peur elle aussi. Sans que tout ceci soit exprimé clairement, mais pour toutes ces raisons, il est évident, dans notre campagne normande, qu’une famille « bien », c'est-à-dire attachée non seulement aux valeurs morales mais aussi aux valeurs bourgeoises de goût et de distinction, ne met pas ses enfants au lycée. Pour ceux et celles qui, comme moi et ma famille, s’élèvent depuis peu à la classe moyenne et rêvent de s’élever encore dans sa descendance, les institutions libres dispensent « les bonnes manières ». Les parents sont heureux de voir leurs enfants côtoyer dans ces écoles d’autres enfants de classe sociale plus prestigieuse. Notre famille nous donne, avec cette éducation qui lui coûte cher ce qu’on fait de mieux et elle s’attend à ce qu’on en soit fier et heureux. Mon frère ira chez les Jésuites, moi à Notre-Dame. Plus tard, mon petit frère de dix ans mon cadet après un passage dans l’enseignement libre, terminera ses études dans un lycée d’État. L’Église aura déjà perdu de son emprise et mes parents auront appris à connaître ces institutions libres qu’ils admiraient tant en 1945. Les motivations des parents de mes camarades sont probablement les mêmes. La grande majorité des élèves vient d’un milieu social rural. Il n’y a pas de grandes agglomérations dans les environs. Sans être très riches à quelques exceptions près, les familles ont une certaine aisance. Il le faut car les frais de pension, payables au début de chaque trimestre, sont élevés. Le tarif varie en fonction des revenus supposés de la famille. « C’est à la tête du client » dit la lingère qui se souvient. L’argent sélectionne la clientèle. Les bénéfices du pensionnat subventionnent l’école Saint-Joseph (l’école des pauvres). Qui gère le budget ? La Mère économe. Elle en rend compte à la Révérende Mère directrice. Il n’y a aucun contrôle de l’État ni d’un conseil d’administration. L’Évêque a probablement droit de regard sur les finances mais c’est surtout la maison mère à Paris qui surveille la gestion et effectue sans doute des prélèvements. La communauté religieuse possède des biens. Elle s’enrichit de la dot des religieuses et des dons. Pourtant, trente ans après, les murs du couvent tombent en ruine pour n’avoir pas été entretenus. Comme au temps des « Demoiselles » (IV) quelques jeunes filles sont issues de la noblesse mais la plupart sont de petite bourgeoisie : hobereaux, notables, riches paysans, commerçants aisés. Autour d’Orbec la campagne s’enrichit et voit l’ascension de grandes familles de distillateurs et de fromagers. Le département du Calvados est prospère, en témoignent les grandes maisons bourgeoises qu’on peut remarquer dans toute la région. Ces familles se fréquentent et les parents riches de fraîche date comme les familles de paysans rêvent de mariages qui additionneront les fortunes. Être élève de Notre-Dame est un label de bonne éducation et un moyen de se faire des relations utiles. Plusieurs élèves viennent aussi par fidélité à une tradition, elles sont, comme moi, filles d’anciennes élèves. Quelques excentriques arrivent d’ailleurs, échouée là par le tourbillon de la guerre ou par un cataclysme familial. J’étais en classe de cinquième lorsqu’arriva en cours d’année Marie-Françoise, une parisienne qui m’a apporté une grande bouffée d’air frais. Elle était totalement non conforme au milieu ambiant. Elle portait des bas de soie et fumait en toute innocence sans se rendre compte combien c’était inconvenant, pire, scandaleux. Rappelée à l’ordre pour ses manquements, elle s’y pliait de bonne grâce en souriant gentiment, sans la moindre insolence, comme à des coutumes locales un peu bizarres. Elle avait vécu en Afrique et ses parents appartenaient au monde sulfureux du cinéma. Marie-Françoise n’avait jamais été scolarisée et les religieuses lui avaient fait un programme « à la carte ». Elle suivait les cours dans des classes différentes selon son niveau scolaire totalement irrégulier. J’étais à côté d’elle aux leçons d’espagnol. J’ai eu, grâce à elle, plusieurs zéros de moyenne mais j’ai appris à son écoute beaucoup de choses concernant l’amour, les règles, le sexe et j’ai étouffé bien des fous rires sous l’abattant de mon bureau. Elle confia à d’autres, sans la moindre culpabilité, qu’elle avait eu des rapports sexuels et bien du plaisir. Elle ne connaissait pas les valeurs du bien et du mal, du moins celles qui avaient cours au pensionnat et dans nos familles. Sa mère vint assister à sa communion solennelle, si élégante que les petites paysannes interprétèrent sa tenue comme de l’extravagance. Pourtant, Dieu que son petit chapeau vert était charmant ! Marie-Françoise ne revint pas l’année suivante, son originalité faisait peur. Les religieuses se débarrassèrent sans doute d’une élève qui, malgré sa candeur, risquait de dévergonder le troupeau autochtone. Petite princesse venue d’une autre planète, elle y est retournée et je vois encore, parfois, son nom au générique des films. |
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