«Les couventines» «Celui qui est maître de l’éducation peut changer la face du monde.» Leibnitz Introduction





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La Nourriture


Les restrictions imposées par la guerre se faisaient encore sentir en octobre 1944. Cependant, la riche campagne normande nous a toujours préservés de la faim. À la maison, malgré les tickets d’alimentation, maman avait su faire au cours des années écoulées une délicieuse cuisine.

À la pension, la première année, la nourriture fut souvent de très mauvaise qualité. Elle s’améliora un peu par la suite. Malgré la ferme proche qui leur appartenait, les religieuses devaient avoir d’importantes difficultés à s’approvisionner. Nous avions des charançons dans la farine, des pommes de terre germées et les sœurs cuisinières ne pouvaient guère tirer un bon parti de ces fournitures périmées. Je me souviens avec horreur de rondelles de carottes énormes, dures, impossibles à cuire et dont l’usage doit probablement maintenant être réservé à la nourriture des animaux car je n’en ai jamais revu depuis dans mon assiette. Nous devions obligatoirement manger de tout.

À l’extrémité de chaque table, une « grande » faisait office de chef de table et procédait à la distribution des plats. En cas de contestation, une Mère surveillante du réfectoire réglait le conflit. Si elle avait conscience de la mauvaise qualité du menu, elle n’en maintenait pas moins son exigence et sa sévérité envers les refus. Lorsque l’élève chef de table était gentille, elle fermait les yeux sur les échanges que nous faisions entre nous d’une assiette à l’autre. Sinon, nous étions obligées d’avaler sans mâcher, le plus vite possible, à la limite de l’écœurement. J’avais peu d’appétit et je savais faire disparaître rapidement sur mes genoux, dans un papier prévu à cet effet les restes d’un mauvais graillon. La première année, je trouvais parmi d’autres dans mon assiette une pomme de terre noire. Je l’écartais; elle rejoignit en fin de repas les autres déchets sur la pile d’assiettes sales. Les détritus flottaient sur une eau noirâtre provenant d’une serpillière souillée avec laquelle on avait nettoyé la table. Le chef de table s’enquit de la propriétaire de cette pomme de terre et je fus désignée. Comme je refusais obstinément de la repêcher et de la manger, elle ordonna à mes voisines de m’y contraindre. Il y eut un attroupement et je fus immobilisée par de nombreuses mains, obligée par la force d’ouvrir la bouche et d’avaler. La Mère surveillante assistait et cautionnait cette scène de sadisme ordinaire avec une violence froide.

Cette nourriture fut, à certains moments, avariée. Lors d’un repas, j’étais alors en classe de cinquième, on nous servit une purée de pois cassés particulièrement infâme à mon goût. Je ne sais par quel échange je parvins à me débarrasser de ma part…ce fut ma chance. La nuit suivante, les élèves défilèrent aux W.-C. victimes d’une intoxication alimentaire. Moi seule, je dormais, l’estomac léger. Le lendemain l’une d’entre elle mourut. Elle avait seize ans. Le diagnostic officiel fut : artériosclérose !

L'Hygiène


Contrairement à ce que l'on peut imaginer, l'odeur de sainteté n'a pas la suavité de l'encens ni celle de la pluie de roses répandue par la petite sœur Thérèse de Lisieux.

Si l'on cultivait nos vertus et la pureté de nos âmes, les soins prodigués à nos corps de petites filles laissaient à désirer. L'aménagement des dortoirs où nous ne disposions que d'une cuvette et les deux seules baignoires pour tout le pensionnat ne permettaient pas une hygiène raffinée. Comment se laver sans se déshabiller ? Dans les dortoirs où rien ne nous séparait les unes des autres, nous ne devions pas exposer notre corps aux regards d’autrui. À vrai dire nous ne devions pas, nous même, regarder ce corps, « temple du Saint-Esprit » et lieu dangereux du désir.

Anne-Marie : « Le premier soir de la rentrée, je me déshabillais avec la simplicité de mes neuf ans. N'ayant pas la pièce de lingerie nommée « combinaison », je me trouvais, ma robe ôtée, en chemise et culotte « Petit-Bateau ». Ces deux sous-vêtements attachés par des boutons autour de la taille. J'entendis un cri. La Mère surveillante se précipita vers moi, arrachant au passage un dessus-de-lit. Elle m'en couvrit, criant à tout le dortoir étonné : « Ne regardez pas. J'en fus tellement saisie que je n'osais plus, les soirs suivants, me déshabiller et que je couchais entièrement vêtue jusqu'à ce que la sortie du dimanche me permette de rapporter de chez moi l'indispensable combinaison ».

Nous faisions donc notre toilette soit en combinaison, soit en chemise de nuit, la chemise de jour conservée dessous. La technique de l'habillage et du déshabillage devait nous apprendre la décence et préserver la pudeur. Le tablier et le pull-over se retiraient normalement. Ensuite nous enfilions la tête dans l'encolure de la chemise de nuit et, à l'abri des regards sous cette tente improvisée, nous faisions glisser avec des contorsions la jupe, la combinaison, le petit corset rose de satin broché lacé dans le dos et qui n'avait encore rien à soutenir et enfin la culotte boutonnée à la chemise.

Munie de la cuvette, nous allions chercher l'eau au poste d'eau, le trajet pour la remplir et la vider devait se faire sans rien renverser. Bien entendu, nous n'avions aucune envie de renouveler l'opération plusieurs fois et c'était la même eau mousseuse qui servait à toutes nos ablutions, lavage et rinçage. Ce transport d'eau propre et sale se compliquait du fait qu'une famille de chauves-souris nichait dans le dortoir et se réveillait à l'heure de notre toilette. Les vols en plongée de ces animaux, nous terrorisaient et nous amusaient en même temps par les perturbations qu'ils provoquaient dans le silence obligatoire du dortoir. De crainte que les chauves-souris ne s'accrochent dans nos cheveux, nous plongions en même temps qu'elles et la cuvette se renversait sur le parquet ciré !

La toilette ordinaire ne concernait que le visage et les mains. Les pieds se lavaient au grenier, une fois par semaine, le vendredi, dans une petite cuve de zinc appelée « pédiluve », plus lourde que la cuvette et d'un usage moins pratique. La toilette intime dite pudiquement « petite toilette » se déroulait également une fois par semaine derrière un paravent dressé au bout du dortoir autour d'un bidet aussi difficile à vider qu’à remplir. Le fait d'avoir ses règles donnait droit à un tour supplémentaire derrière le paravent à condition de demander une permission spéciale en l'explicitant.

Derrière ce paravent, un seau hygiénique bruyant et malodorant servait la nuit à toutes car nous ne pouvions sortir du dortoir lorsque la lumière était éteinte. Les sœurs en voile blanc faisaient le ménage, seau hygiénique compris, dans un esprit de pénitence.

Le problème de l'hygiène se compliquait pour moi du fait que j'étais, comme d'autres, énurétique. Il nous fallait donc monter, chaque matin, chemise de nuit, lange et draps mouillés au grenier où nous les rincions tant bien que mal dans les pédiluves groupés là-haut à cet effet. L'étendage sur des fils trop hauts était acrobatique. La honte de cette infirmité qui ne pouvait être cachée était, pour ma part, assumée avec fatalisme d'autant que nous étions plusieurs à avoir ce problème, ce qui le banalisait.

L'inconfort des draps remis le soir encore humides n'était rien en comparaison du problème que me posait la chemise de jour. Si je pouvais rincer la chemise de nuit en même temps que les draps, en revanche je ne pouvais pas enlever la petite chemise de coton. Il ne me restait plus qu'à m'habiller très vite pour ne pas sentir dans mon dos le froid du tissu trempé d'urine. Le séchage sous mes vêtements dégageait une affreuse odeur et je remercie mes compagnes de ne m'avoir jamais isolée pour cette humiliante puanteur qui m'environnait. Nous n'avions pas la libre disposition de notre linge, un change seulement nous était distribué chaque semaine, sans que nous ayons la possibilité de choisir les vêtements qui nous plaisaient. Je gardais ainsi mon linge imprégné d'urine et mal rincé pendant la semaine.

Lorsque, dans la journée, une élève demandait une autorisation spéciale pour monter au dortoir, nous savions qu'elle avait ses règles. Aucune autre permission ne donnait accès au dortoir.

Anne-Marie : « maman m'avait avertie de l'arrivée possible de mes règles et, prévoyante, avait joint à mon linge le harnachement ad hoc et les serviettes en tissu éponge. Dans mon innocence, je me promenais tous les jours avec une serviette en place prête à toute éventualité très longtemps avant l'arrivée des règles annoncées. Les grandes, dont l'attention avait été éveillée par cette évidente boursouflure sous ma robe qui correspondait mal à mon jeune âge, se moquèrent de moi et m'expliquèrent qu'il n'y avait pas lieu de garder ces linges en permanence. »

Je pense que peu de mères étaient aussi prévoyantes que la mère d'Anne-Marie, la plupart des petites filles arrivaient à la puberté sans explication, les mères étaient souvent dans l'impossibilité de parler de ces choses intimes à leurs filles, bloquées elles-mêmes par leur propre éducation. La pudeur était une vertu dominante pour les femmes, pudeur des regards, pudeur des gestes et pudeur des mots, le corps devait se taire. On devine la panique provoquée par ces saignements à propos desquels la nouvelle jeune fille ne pouvait demander d'explication à quiconque. La meilleure amie, en secret, révélait ce qu'elle savait risquant le renvoi et peut-être l'Enfer pour ces conversations qualifiées de « vicieuses » si elles parvenaient aux pieuses oreilles partout présentes. Les religieuses ne parlaient jamais de ce qui concerne le corps, et le sexe était objet d'horreur.

Certaines religieuses trahissaient leurs périodes critiques par l'odeur sui generis, peu discrète qui émanait des lourds jupons. Au contraire, Anne-Marie qui a été pendant une année pensionnaire chez les chanoinesses anglaises de Saint-Léonard, raconte que ces périodes se révélaient par une forte odeur d'eau de Javel. Autre pays, autres mœurs !

Près du grand dortoir, les deux baignoires permettaient quelques bains qui n'étaient pas obligatoires, seules les grandes y avaient accès. J'utilisais peu cette possibilité, au plus tous les mois. L'usage de la salle de bain avait évolué depuis la génération de ma mère, celle-ci, sur prescription médicale, devait se baigner quotidiennement mais, pour ce faire, il lui était imposé de garder, par pudeur, sa chemise dans l'eau. Les douches n'existaient pas encore.

Mes cheveux n'étaient lavés qu'aux vacances, donc tous les mois et demie. Leur aspect fin et gras devait être particulièrement négligé car la religieuse responsable de la classe de cinquième exigeait que je les natte et les retienne au sommet de ma tête. Comme toute obligation, celle-ci me semblait une atteinte à ma liberté et je m'y opposais en tirant discrètement sur ces laides queues de rat pour qu'elles s'effondrent par mèches, j'étais donc hirsute.

Nous devions avoir dans notre trousse de toilette un « peigne fin » utilisé périodiquement pour chasser les poux. Les somptueuses chevelures souffraient plus que d'autres de ces invasions de bestioles et les religieuses organisaient des opérations « peigne fin » et « Marie-Rose », désinfectant à l'odeur inoubliable. Lorsque la chasse était fructueuse, on écrasait les petites bêtes avec l'ongle du pouce... clac ! Les élèves, rêveuses ennuyées, tire-bouchonnaient souvent pendant les cours et les études une mèche de cheveux, probablement pour canaliser une énergie inemployée par les longues heures d'immobilité motrice. Les doigts salis laissaient des marques grasses sur les cahiers.

Christiane : « Nous avions une note d'ordre attribuée par Mère Saint François de Salles. Une petite terreur. Elle présidait à deux événements : le cirage des chaussures qui se déroulait le soir, en silence comme presque tout ce que l'on faisait et à une sorte de procession, une fois par semaine, qui nous emmenait accrocher notre sac de linge sale sous un petit perron, sac que l'on récupérait en partant. Celles qui ne partaient qu'aux vacances entassaient pêle-mêle le linge souillé qui restait en l'état pendant un mois et demi. Cependant, à Orbec le linge des élèves pouvait être lavé par les lingères moyennant un supplément de prix. »

Suzanne : « Quand nous avons nos règles, nous nous « garnissons » avec des rectangles épais de tissu éponge, tenus par une ceinture élastique et des épingles à nourrice. Ces linges ensanglantés sont lavés par la pension. Quand ma mère m'a conduite la première fois, la Supérieure, pour vanter son établissement, a glissé que la buanderie du couvent est équipée de matériel moderne et d'une machine à laver le linge. Ma curiosité n'aura de cesse que de découvrir ce matériel inconnu de moi. Un jour, à la faveur de je ne sais quel hasard, je réussis à me faufiler vers la buanderie. Je pousse la porte avec précaution. Une silhouette de religieuse domestique est penchée au-dessus d'une immense cuve de bois. Elle en sort des bouts d'étoffe qu'elle tord avec soin puis jette dans un récipient placé à côté.

J'attends... Par chance, elle ne tarde pas à partir par l'autre bout de la pièce. Je m'aventure vers ce que je crois être la fameuse machine qui lave seule le linge. C'est une construction de bois et de fer, volumineuse et suintante d'eau et de lessive. Puis j'aperçois le bac dans lequel, tout à l'heure, la religieuse plongeait les bras. Je m'approche. Il dégage une nauséabonde odeur de pourriture, venue d'un cloaque rouge, énorme, où, çà et là, nagent quelques serviettes hygiéniques. »

Toutes réflexions faites, cette puanteur est normale. Et normale l'obligation d'y tremper les mains. Comment nettoyer autrement ces morceaux de tissu, en permanence chargés du sang de tout ce troupeau de vierges ?
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