«Les couventines» «Celui qui est maître de l’éducation peut changer la face du monde.» Leibnitz Introduction





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Le Latin


En sixième, nous abordions le Latin.

Mon Père, fasciné par la culture qu'il n'avait pas reçue, tenait absolument à ce que j'étudie cette matière sans tenir compte de mes difficultés de tous ordres. J'ai détesté le latin au-delà de tout ce que l'on peut imaginer et j'ai été contrainte d'en faire jusqu'au baccalauréat. Malgré mes mauvais résultats, mon père n'a jamais cédé. Je me contentais de traduire chaque mot à partir de sa racine et j'assemblais le tout comme un puzzle, le résultat était des plus fantaisistes. Au baccalauréat, j'ai été sauvée par les phrases de Cicéron trouvées toutes traduites dans le dictionnaire. Merci M. Gaffiot. Pourtant, malgré mon rejet entêté, il m'est arrivé de trouver du plaisir à Horace et Virgile. Didon, se roulant en larmes sur la couche de son amant parti, flairant son odeur aimée, apportait dans ma vie austère le souffle fascinant de la passion. Mais ce plaisir des beaux textes latins, je ne l'ai rencontré que plus tard, trop tard sans doute pour devenir une bonne élève, dans une autre pension plus libérale. À Notre-Dame d'Orbec un texte aussi inconvenant, fut-il un grand classique, aurait été censuré ! Nous nous en tenions à l'avancée des troupes de César et je m'enlisais dans les pièges de la grammaire.

Aujourd'hui, j'aimerais apprendre le latin, par plaisir. De cet indigeste apprentissage scolaire, c'est la possibilité de faire des analyses étymologiques qui m'a le plus servi par la suite.

Christiane : « Connaître le Latin, c'était espérer entrer en communication avec tous les autres membres de la grande Église chrétienne du monde entier, pouvoir profiter en paix de la messe dominicale dans n'importe quel pays étranger ... Eh bien si je n'en ai pas fait ce grand usage, je suis assez satisfaite de me servir des quelques connaissances qui m'ont été imposées à cette époque. Je suis obligée de savoir que compatir c'est « cum patire » souffrir avec, que pittoresque c'est digne d'être peint et autres choses anodines importantes.

Si je sais cela et d'autres petites choses c'est que Mère Préfète m'a mise en quarantaine. Quarante jours d'isolement, ignorée par les autres sans échanger la moindre parole. Je vivais toute la journée dans l'oratoire. Une religieuse venait m'indiquer mon travail en latin et me retrouvait comme elle m'avait quittée, crayon en main, devant ma feuille blanche. Alors elle me prenait la main et nous écrivions à deux. La pauvre ! Je pense que ce n'était pas plus gai pour elle que pour moi. Comme je n'étais pas un cancre, la culture entrait de force dans mon petit cerveau, Rosa, Rosae, mais aussi Virgile. C'est surtout en tant que langue de l'Église que le latin nous était enseigné, l'accès à la culture classique était une motivation secondaire dans l'esprit de nos mentors. »

Parmi les religieuses certaines étaient de bons professeurs et je dois à la maîtresse de la classe de cinquième le goût des pierres qu'elle m'a communiqué en cours de géologie, mais d'autres étaient, autant qu'il m'en souvienne, de piètres enseignantes. Cependant elles maintenaient une discipline rigoureuse. En nous obligeant à travailler sans distraction d'aucune sorte, nous pouvions arriver au baccalauréat. Faute souvent de qualité nous avions produit une quantité de travail suffisante.

Rien ne venait nous distraire de nos études hormis la vie religieuse. La lecture même était contrôlée, les livres que nous pouvions retirer de la bibliothèque étaient fort peu nombreux, sélectionnés pour leur contenu édifiant ou instructif au point d'en perdre tout intérêt (contes pieux, récits de voyages, aventures missionnaires aux colonies). Le contenu de ces ouvrages triés sur le volet était expurgé. Je me souviens ainsi d'avoir lu Ivanhoé de W. Scott avec certains mots impitoyablement barrés. Ces mots devenus totalement illisibles excitaient ma curiosité et mon imagination donnant à ce texte un piquant inattendu !

Tous ces livres étaient anciens et répondaient mal par leur sérieux, leur gravité et leur contenu trop manifestement moralisateur à nos intérêts de petites filles, nous aurions préféré la Bibliothèque Rose ou Verte qui enchantait nos vacances. Les livres que nous apportions de l’extérieur devaient être soumis à une lecture préalable par nos mentors qui donnaient ou refusaient leur visa. Tout livre non visé était confisqué jusqu'aux vacances et j'en connais qui n'ont jamais été rendus... comme ce livre d'un pédiatre : le docteur G. Robin, qu'on m'avait mené consulter et qui s'intitulait: « La paresse est-elle un défaut ou une maladie ? »

Je n'ai jamais pu le lire mais, me l'auriez-vous demandé ma Mère, je vous en aurais fait volontiers cadeau pour votre édification ! J'étais contente qu'on me l’ait pris. Enfin mes professeurs allaient se poser des questions sur ma paresse chronique !

En septième et sixième, le dictionnaire qu'on n'avait pas pensé à expurger était notre meilleure source de connaissances. J'avais, pour ma part, entrepris sa lecture in extenso. Nous ne pouvions pas lire pendant le temps réservé au travail mais quelques fins de cours nous laissaient un peu de temps et le dimanche nous avions une étude dite « libre ».

Les « textes choisis » de nos livres de français nous enchantaient. Même si les grands textes du XVIIe siècle s'offraient les plus nombreux à notre admiration. En quatrième nous lisions Fénelon, Boileau, Bossuet et nous y prenions plaisir : « Madame se meurt, Madame est morte... »

Aucun texte contemporain ne donnait lieu à étude littéraire. Le beau était classique.

L'objectif des chanoinesses de Saint Augustin était de faire de nous des jeunes filles « accomplies » afin que nous devenions des femmes « accomplies ». Cet accomplissement se réalisait quant à sa forme la plus haute dans la vie monastique, aboutissement suprême réservé à quelques élues directement choisies par Dieu qui leur donnait la Vocation. Le reste du troupeau, moins chanceux, trouverait sa réalisation dans le mariage et la maternité, avec le devoir de transmettre aux générations futures les valeurs chrétiennes. Pour ce destin auquel l'institution devait nous préparer, point n'était besoin de trop de science, le Savoir restait l'apanage des hommes, nos futurs maris. Nous devions être bonnes épouses, bonnes mères, bonnes ménagères, bonnes paroissiennes. Mais cela ne suffisait pas, la clientèle du pensionnat était bourgeoise, nous devions donc avoir une éducation raffinée qui nous permettrait de tenir notre rang, voire de « tenir salon » afin d'afficher sur le plan social la réussite de l'époux auquel nous allions être unies pour la vie.

Comme aux siècles précédents, les religieuses pensaient que : « Ce qui fait la bonne éducation, c'est moins l'hypertrophie du savoir que le parfait accomplissement de l'individu par rapport à sa situation, à son état dans le monde, et la mieux éduquée sera celle qui correspondra exactement à la situation qu'elle épouse, afin de participer corps et âme à son état et d'être comme une perle parfaitement régulière » (IV).

À cet objectif, le baccalauréat s'avérait peu adapté. Les religieuses décidèrent de créer une filière d'étude originale. Très solennellement, lors d'une distribution des prix, elles présentèrent leur projet à l'assemblée des jeunes filles et de leurs parents : il s'agissait d'un cycle d'études de même longueur que celui préparant au laïc baccalauréat mais où les matières jugées masculines et donc inutiles pour l'épanouissement de notre destin féminin : mathématiques, sciences naturelles, physique, chimie, etc. seraient remplacées par des activités artistiques : peinture, musique, arts d'agrément, cours ménagers, puériculture, etc. Ce projet était séduisant pour mes camarades et moi-même. J'avais déjà parfaitement introjecté ce rôle secondaire mais indispensable d'épouse qui m'était dévolu, non seulement par l'éducation que je recevais à Notre-Dame, mais surtout par toute ma lignée féminine. J'acquiesçais avec enthousiasme à ce projet.

De retour à la maison, mon père fit preuve d'un réalisme intelligent en me démontrant que ce plan d'étude était un anachronisme, le monde était différent de celui que croyaient connaître les religieuses cloîtrées. Il voulait pour moi de solides études sanctionnées par un diplôme reconnu par l'État afin que je sois capable de gagner plus tard ma vie « en cas de nécessité » (car pour lui aussi, la femme ne devait travailler qu'en cas de besoin, c'est-à-dire en cas de défaillance du mari). La guerre, pendant laquelle les femmes avaient dû compenser l'absence des hommes à tous les postes l'avait convaincu de cette nécessité.

Je lui dois donc d'avoir suivi une filière normale et bien m'en a pris. D'autres ont été moins sagement conseillées et vivent maintenant dans des conditions très précaires, faute d'avoir compris alors que le destin des femmes de cette seconde moitié du XXe siècle allait différer totalement de celui de nos mères et que le travail permettrait notre autonomie. Les religieuses, hors du temps, hors du siècle, ont gravement failli à leur tâche d'éducatrice en mesurant mal ce qu'était la vie dans un monde qu'elles avaient abandonné.
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