4.4 Une fenêtre d’opportunité s’ouvre au Chili : le débat sur l’Assemblée constituante Présentement, dans plusieurs pays d’Amérique latine, des débats sont en cours sur la nécessité de mettre à l’ordre du jour de nouvelles réformes constitutionnelles et de trouver des manières de le faire de façon plus démocratique en incorporant dans les réformes une plus grande diversité d’acteurs provenant à la fois de la société civile et de la société politique. Dans ces débats qui ont cours présentement au Brésil, en Colombie et au Chili, les expériences d’assemblées constituantes vécues récemment au Venezuela (1999), en Bolivie (2006-2009) et en Équateur (2007-2008) —et dont il fut question plus haut— deviennent des sources d’inspiration, pour que ces nouvelles constitutions ne soient pas construites par les acteurs politiques tout seuls, mais co-construites avec la participation des acteurs de la société civile48. Au Chili, à la différence de ce qui se passe au Brésil et en Colombie, l’Assemblée constituante n’est pas seulement un thème de débat parmi d’autres. C’est la priorité politique de l’heure qui a émergé dans l’ensemble du pays au cours des trois dernières années. Elle représente le principal défi auquel doit s’attaquer la Présidente Michelle Bachelet depuis son retour au pouvoir en mars 201449. Pour bien saisir l’enjeu de l’Assemblée constituante pour le nouveau gouvernement de Michelle Bachelet, il faut revenir en arrière et cerner la signification de la Constitution de 1980, en tant qu’héritage laissé par la dictature Pinochet, un héritage qui pèse encore lourd au sein de la société chilienne, 25 ans après la fin de la présidence Pinochet et l’amorce de la Transition vers la démocratie en 1990. L’héritage de la dictature : la Constitution de 1980
Peu de temps après le coup d’État sanglant du 11 septembre 1973, la Junte militaire, présidée par le Général Augusto Pinochet, a mis sur pied une « commission constituante consultative » mandatée pour conseiller la Junte en matière constitutionnelle. Cette commission était composée de juristes ayant appuyé le coup d’État, dont Jaime Guzman, l’un des principaux rédacteurs de la Constitution de 1980 (Couffignal, 2012). Pendant les premières années de la dictature, la Constitution de 1925 était officiellement maintenue, tout en étant contournée par la promulgation de lois édictées par la Junte. Les deux chambres étaient supprimées tandis que la Junte cumulait les pouvoirs législatifs et exécutifs. La répression battait son plein, les partis d’opposition étaient supprimés, les contrepouvoirs de la société civile étaient combattus. Préoccupée de retrouver une légitimité mise à mal par les critiques des institutions internationales, la Junte voulait se doter d’une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 192550. En 1978, en s’appuyant sur les propositions préparées par la « Commission constituante », Pinochet, qui se faisait appeler « président de la république » depuis décembre 1974, annonce l’arrivée prochaine d’une nouvelle constitution, qu’il s’engage à faire approuver par un plébiscite (ou référendum) révocatoire51. En aout 1980, la Junte dispose d’un projet de constitution, appelé à faire l’objet d’un plébiscite, le 11 septembre 1980. Ce plébiscite a été tenu et ratifié par 67% des personnes votantes, avec des modalités bien contrôlées par la Junte, ce qui n’a pas manqué de soulever les critiques de nombre d’observateurs internationaux et nationaux. La nouvelle Constitution est entrée en vigueur le 11 mars 1981. De manière schématique, voici quelques caractéristiques du modèle chilien tel que défini par la Constitution de 1980 (Le Coq, 2007; Chile, 1980).
Le Chili est une « république démocratique » dotée d’un système politique unitaire et composé de 13 régions, lesquelles sont divisées en provinces. La souveraineté du peuple s’exprime par des plébiscites et des élections périodiques (Chile, 1980 : art. 4 et 5).
Une amnistie est accordée aux militaires pour les protéger contre d’éventuelles poursuites pour des délits commis entre 1973 et 197852.
La détermination de lutter contre le terrorisme revient à la manière d’une obsession dans divers articles (art. 9, 17 et pouvoirs transitoires, art. 24).
Des balises visant la reproduction du modèle économique néolibéral sont placées ici et là, par exemple avec des dispositions pour empêcher la création d’entreprises d’État et pour établir la centralité du droit de propriété privée (cf. art. 23 et 24).
La Constitution prévoit que deux régimes politiques pourraient se succéder à l’intérieur d’une période de 16 ans, de 1980 à 1996. D’abord, elle confère à Augusto Pinochet sur un plateau d’argent un mandat de 8 années supplémentaires, à partir de l’entrée en vigueur de la Constitution. En outre, elle permet à la Junte gouvernementale de conserver le « pouvoir législatif » et le « pouvoir constituant » (pouvoirs transitoires, art. 18 et 21). C’est le premier régime politique. Quant au deuxième régime politique, la Constitution prévoit qu’il commencera à la fin des années 1980. Dépendamment des résultats d’un plébiscite révocatoire, ce deuxième régime prendra la forme de l’un des deux scénarios suivants. Le scénario no 1 découlerait d’un plébiscite qui serait gagné par la Junte. Au terme du premier mandat de 8 ans (1980-1988), un autre mandat de 8 ans (1989-1997) serait exercé par un candidat à la présidence proposé par la Junte militaire. Quant au scénario no 2, il découlerait d’un plébiscite qui serait perdu par la Junte. À ce moment-là, la Junte serait obligée d’organiser des élections qui seraient non seulement législatives, mais aussi présidentielles53.
En somme, le premier régime de 8 années imposé par la Constitution devait consister, pour reprendre une formulation du sociologue Manuel Antonio Garreton, « en une cristallisation de la dictature, mais avec une Constitution. Le second était sensé être un régime civil strictement autoritaire avec véto des militaires » (2014a :14). Les formes concrètes de la transition entre les deux régimes politiques n’étaient pas limpides, surtout dans l’hypothèse d’une victoire du NON au plébiscite révocatoire de 1988. Pour s’en rendre compte, il suffit de rappeler que 29 des 120 articles de la Constitution de 1980 auraient pu devenir applicables seulement à partir de l’année 1996, c’est-à-dire pas moins de 16 ans après l’adoption de cette Constitution. Néanmoins, dans le cas d’une défaite du OUI au plébiscite de 1988, la Constitution de 1980 prévoit que Pinochet gouvernerait encore un an pour mettre en place des élections libres (Le Coq, 2007). Ainsi, la Constitution de 1980 fait miroiter une transition à la démocratie qui renvoie à un horizon lointain (pas avant 1996 si le plébiscite révocatoire tenu au bout d’un premier mandat de 8 ans est gagné par la Junte), tout en imposant une prolongation de la dictature militaire pour au moins 8 années (de 1980 à 1988) et, possiblement, pour 16 années (de 1980 à 1996).
La Constitution prévoit qu’avec la transition vers la démocratie, la distinction classique des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) s’appliquerait.
Le pouvoir exécutif relèverait du Président, éligible pour un mandat de 6 ans à partir d’un système d’élection à deux tours permettant d’obtenir une majorité des suffrages (art. 26)54. Le président détient des droits de véto et d’autres pouvoirs importants55.
Le pouvoir législatif renvoyait à un Congrès bicaméral comprenant une Chambre de 120 députés élus et un Sénat composé de 26 élus et, potentiellement, de 10 autres personnes nommées par le régime militaire, ce qui incluait l’addition possible —d’ailleurs faite par la suite pour Pinochet en 1998— d’un ancien président qui pouvait devenir sénateur à vie (art. 42-46).
Un mode de scrutin binominal à un tour est prévu pour les élections législatives, c’est-à-dire pour l’élection des sénateurs et des députés56. Ce mode de scrutin est une véritable arnaque. Voici la description qu’en fait le site du Sénat français en se référant aux sénateurs, même si la description s’applique aussi aux députés : « Dans chaque circonscription, des listes binominales (« tickets ») sont en lice. Sont élus sénateurs [ou députés] les deux candidats d’un même ticket si celui-ci obtient un total de voix au moins deux fois supérieur au score du ticket arrivant en seconde position. Si tel n’est pas le cas, un sénateur est désigné dans chacun des deux « tickets » ayant recueilli le plus grand nombre de voix » (Sénat de la France, 2014)57. Le même mode de scrutin est retenu pour l’élection des députés de la Chambre des représentants. C’est un verrou qui rétrécit la démocratie aménagée par la Constitution et favorisera les intérêts de la dictature longtemps après la fin de la dictature et l’entrée du Chili dans la transition démocratique en 1990.
Les procédures pour amender la Constitution ajoutent d’autres verrous et demeurent complexes selon une diversité de cas de figure pouvant surgir, par exemple, selon que la présidence est d’accord ou pas avec les propositions de modification initiées par les deux chambres. Mais dans tous les cas, une majorité d’au moins les 3/5 des deux chambres est requise. Dans d’autres cas, une majorité d’au moins les 2/3 ou les 3/4 des membres des deux chambres est requise. Dans certains cas, un plébiscite est permis, dans d’autre cas il ne l’est pas (art. 63 et 116-119).
Avant la transition démocratique « restreinte » pouvant survenir 8 ans après l’entrée en vigueur de la Constitution, c’est-à-dire à partir de 1988, la Junte militaire, dans les faits, continuait d’assumer les pouvoirs exécutifs et législatifs et de contrôler le pouvoir judiciaire.
Garreton résume bien les règles du jeu qui restreignaient la portée de la transition démocratique annoncée : « La Constitution a établi un système politique dans lequel la minorité qui soutenait la dictature avait le même poids électoral que la majorité qui y était opposée. Le mode de scrutin est tel qu’il est extrêmement difficile pour les électeurs d’élire deux candidats d’un même parti, quand bien même ce parti obtient la majorité des votes. Donc, les membres du Congrès sont toujours divisés à parts égales entre deux blocs, alors que, pour changer la Constitution, une majorité de 75% est nécessaire. C’est donc impossible. À quoi la Constitution sert-elle après tout? À maintenir le modèle économique. » (Garreton, 2014a :15). C’est ce qui a amené Garreton à dire ailleurs que « l’époque postpinochet n’est pas une époque pleinement démocratique » (2007 :177).
En bref, que s’est-il passé entre l’adoption de la Constitution de 1980 et le retour de Michelle Bachelet à la présidence du Chili en 2014?
Conformément à la Constitution, Pinochet a exercé un mandat présidentiel de 8 ans qui s’est intercalé entre le 11 mars 1981 et le 11 mars 1989. Ce mandat a été prolongé d’un an, à la suite de la victoire du NON lors du plébiscite révocatoire de 1988.
Au cours des années 1987 à 1990, des dispositions transitoires sont adoptées par la Junte, entre autres pour rendre possible la tenue et les suites du plébiscite de 1988 sur la reconduction de Pinochet, dont la candidature avait été annoncée par la Junte dès 1987. Dans le contexte de la préparation du plébiscite, on assiste à la légalisation d’une quinzaine de partis politique d’opposition, à l’établissement des listes électorales etc.
En février 1988, les forces sont enlignées pour le plébiscite. Treize formations politiques forment une coalition appelée Concertation de Partis pour le Non (qui deviendra plus tard la Concertation des Partis pour la démocratie) et mobilisent la population en faveur de la participation au plébiscite référendaire.
La campagne référendaire dure un mois, entre le 5 septembre et le 5 octobre 1988.
Les résultats du plébiscite révocatoire du 5 octobre 1988 sont les suivants : 46 % en faveur du OUI; 54 % en faveur du NON. Officiellement, c’est la fin de la dictature et le retour à la démocratie au Chili qui pointent à l’horizon.
Le mandat de 8 ans de Pinochet à la présidence devait se terminer le 11 mars 1989. Dans les faits, il s’est terminé un an plus tard, le 11 mars 1990, ce qui a donné le temps nécessaire pour organiser des élections présidentielles à un tour et législatives à deux tours. Ces élections ont eu lieu en décembre 1989. Patricio Aylwin du Parti démocrate chrétien et candidat de la Concertation des partis pour la démocratie a été élu Président dès le premier tour avec une majorité de 55% des voix. « Dès lors, le paysage politique devient bipolaire et la junte militaire doit composer politiquement avec les principaux vainqueurs de la consultation, les socialistes et les démocrates-chrétiens (la future Concertation), ce qui laisse augurer une transition exceptionnellement longue et négociée» (Le Coq, 2007).
Entre 1990 et 2013, le Chili a été gouverné par 5 présidents, dont 4 appartenaient à la Concertation (Patricio Aylwin, Eduardo Frei, Ricardo Lagos, et Michelle Bachelet) et un à la droite (Sebastián Piñera).
Au cours des dernières années, certains mouvements sociaux, notamment le mouvement des Indigènes Mapuche et le mouvement étudiant ont fait ressortir le caractère inachevé et incomplet de la transition démocratique réalisée sous les gouvernements de la Concertation depuis 1990 et la nécessité d’une nouvelle constitution. Le mouvement étudiant, qui a commencé avec une révolte des étudiants du secondaire en 2006 (sous Bachelet I) a culminé en 2011 et 2012 avec la mobilisation des étudiants universitaires. Cette mobilisation étudiante, appuyée par une forte partie de la population, a mis en évidence les limites du système politique binominal. Elle a révélé aussi l’incapacité des partis politiques des deux coalitions (la Concertation au centre gauche et l’Alliance à droite) de remédier aux problèmes et de répondre à leurs revendications (pour une éducation publique, gratuite et de qualité) sans favoriser l’adoption d’une nouvelle constitution. Comme le note Georges Couffignal (2012) : « Pour la première fois au Chili depuis 1989, le thème de l’élaboration d’une nouvelle constitution, grâce aux jeunes, commençait à prendre consistance dans les débats politiques. »
De 1980 à 2014, la Constitution de 1980 a été amendée à diverses reprises, notamment en 2005. Certains verrous ont été éliminés, mais d’autres ne l’ont pas été, notamment le système électoral binominal à un tour qui régit l’élection des parlementaires des deux chambres. Pour l’essentiel, l’architecture politique est demeurée la même et favorise les forces sociopolitiques et socioéconomiques rangées du côté de la dictature depuis le coup d’État. Si nous revenons à notre problématique de la co-construction démocratique, nous pouvons dire que la Constitution de 1980 demeure l’exemple parfait d’une constitution non construite démocratiquement et qui bloque le parachèvement du retour à la démocratie au Chili. À ses origines, elle a été construite par un chef d’État et un pouvoir exécutif non élus, qui, en plus, s’appropriaient les pouvoirs législatifs et se préoccupaient nullement de la participation de la société civile, si ce n’est à partir d’un simulacre de plébiscite tenu dans des conditions douteuses. L’enjeu de l’Assemblée constituante pour le gouvernement de Bachelet II
Francisco Javier Estévez Valencia (2013), un historien de gauche proche conseiller de Michelle Bachelet sur la participation citoyenne, réfléchit depuis longtemps sur les processus d’assemblée constituante dans le Chili actuel. À cet effet, il tire des leçons de plusieurs expériences de réformes constitutionnelles antérieures au Chili, en ALC et en Europe. Il fait ressortir que, dans la majorité des cas de figure, le pouvoir exécutif, conquis par les élections ou un coup d’État, se présente comme autorité constituante sans se préoccuper du pouvoir constituant du peuple souverain. Estévez tient compte du fait que la Constitution de 1980, conçue par la dictature militaire, est « verrouillée » ou « hermétique », d’une manière qui bloque la participation d’une partie des acteurs politiques et de l’ensemble des acteurs de la société civile. À la suite de ce constat, il réfléchit aux avenues stratégiques qui permettraient de « déverrouiller » la Constitution et de procéder à une réforme constitutionnelle favorisant sa démocratisation. À sa manière, il cherche les stratégies favorables à la co-construction démocratique d’une nouvelle constitution au Chili. Citons-le, au moment où il livre son diagnostic concernant la source du verrouillage de la Constitution de Pinochet: « Au total, à partir d’une conception démocratique de l’État de droit, le problème principal d’une Constitution hermétique n’est pas l’artifice des majorités qualifiées qui font des difficultés aux réformes substantielles, mais la négation juridique de la volonté constituante du peuple souverain. De telle sorte que —et ici se trouve la serrure antidémocratique— on exclut du texte constitutionnel le droit de la citoyenneté d’approuver directement par la majorité absolue du suffrage universel, libre, secret et informé, l’adoption d’une nouvelle grande charte. » (Estévez, 2013). À la suite d’un tel diagnostic, l’enjeu, selon Estévez, consiste à trouver une façon d’enclencher une démarche novatrice et démocratique qui permettra à la fois de « déverrouiller » la « serrure antidémocratique » de la Constitution de Pinochet et de soutenir l’inclusion de la société civile, en coopération avec la participation de la société politique, dans la co-construction démocratique d’une nouvelle constitution. Mais que faire lorsque la constitution qu’on veut remplacer est verrouillée? Pour Estévez, c’est ici qu’il faut penser « à des mécanismes extraordinaires », à des « formules Deus ex machina, pour le changement institutionnel » et reconnaitre « le pouvoir constituant du peuple souverain ». La piste de solution devra faire sienne une démarche d’assemblée constituante ouverte à la participation citoyenne. Elle s’inspirera, dirions-nous, des principes de la co-construction démocratique (Estévez, 2013). Quant à Manuel Antonio Garreton, le sociologue chilien que nous avons mis à contribution plus haut, il est souvent revenu à la charge ces dernières années pour promouvoir la nécessité d’une nouvelle constitution et d’une démarche novatrice d’assemblée constituante ouverte à la participation de la société civile. À cet effet, il voit la nécessité et l’opportunité de recourir à nouveau à un plébiscite, lequel se situerait toutefois dans un contexte politique distinct de celui dans lequel ont été vécus deux autres plébiscites sous la dictature, l’un en 1980 et l’autre en 1988 (Garreton, 2013a, 2013b, 2013c, 2014a et 2014b). Son propos sur le processus constitutionnel rejoint et complète celui d’Estévez. Citons-le amplement:
« Bien plus que l’idée de la nécessité d’une nouvelle Constitution qui semble faire consensus, sauf pour des minorités récalcitrantes ou pour des gens qui n’ont pas confiance dans la politique, il faut insister sur le fait que celle-ci est la colonne vertébrale de tous les changements. Il en est ainsi non seulement pour les contenus qui doivent être instaurés, mais aussi parce que le processus qui conduit à la Constitution est le seul qui garantit la reconstruction de la communauté politique et l’identification de la citoyenneté avec l’ordre politique institutionnel. Et en ce sens, il n’y a pas d’autre manière pour arriver à une nouvelle Constitution légitime que de recourir à une Assemblée Constituante. En même temps, c’est la formule unique qui peut générer un espace de rencontre entre le monde social et le monde politique, entre l’institutionnel et le participatif, en permettant la réarticulation de leurs relations et le respect de leurs autonomies » (Garreton, 2014b). Ainsi, en plus de miser sur l’Assemblée Constituante, Garreton propose de recourir à un plébiscite, ce qui dans l’imaginaire chilien aurait beaucoup de signification. En effet, comme le plébiscite a été utilisé en 1988 pour amorcer la transition de la dictature à la démocratie, ne pourrait-il pas, 25 ans plus tard, être utilisé à nouveau pour rompre avec l’héritage de la dictature, c’est-à-dire ce modèle de développement économique néolibéral cadenassé dans la Constitution de 1980 et supposément légitimé par le plébiscite tronqué de 1980 ? En somme, « La nouvelle constitution devient l’axe vertébral de tous les changements » (Garreton, 2014b ; El Desconcierto, 2013). L’aspect le plus intéressant dans la conjoncture actuelle, ce n’est pas que quelques intellectuels tels Estévez et Garreton tiennent un beau discours sur la nouvelle Constitution et l’Assemblée Constituante. C’est qu’ils manifestent ainsi l’aspiration de tout un peuple, puisqu’une nette majorité de Chiliens veut présentement une nouvelle Constitution et une Assemblée constituante. Une enquête menée en juin 2013 a révélé que 81% des Chiliens voulaient une nouvelle Constitution et que 64% d’entre eux voulaient une Assemblée Constituante (El Desconcierto, 2013 :91-92). Le Chili est entré dans « un nouveau cycle historique » ouvert par les mobilisations sociopolitiques des années 2011 et 2012. Il reste au gouvernement de Michelle Bachelet à trouver la manière de s’emparer politiquement de la fenêtre d’opportunité ouverte par ce nouveau cycle afin de construire une nouvelle relation entre le politique et le social. Il semble bien que la Présidente soit déterminée à favoriser des démarches de co-construction démocratique des politiques publiques comme en témoigne un décret présidentiel adopté le 7 août 2014. Qu’il nous suffise ici de citer l’article 3 de ce décret : « Notre Gouvernement voit la participation citoyenne comme un processus de coopération à partir duquel l’État et la citoyenneté identifient et délibèrent ensemble au sujet de problèmes publics et de leurs solutions, avec des méthodologies et des outils qui encouragent la création d’espaces de réflexion et de dialogue collectifs, ce qui nous entraîne dans des démarches d’incorporation active de la citoyenneté dans la définition et l’élaboration des décisions publiques. » (Bachelet, 2014).
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