Mésaventures irréelles et autres considérations





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Partie A : De mes parents
Chapitre I : De mon père et de sa famille
Bien, commençons, il se fait fort tard ; et j’aimerai tout autant pouvoir en finir avec cette première partie avant que l’aube ne pointe. (…) »
Tandis qu’il poursuivait, un observateur présent et attentif aurait pu voir sur sa face se dessiner l’admiration, la colère, la haine, la surprise, la désolation ; autant d’expressions qui trahissaient son grand intérêt du texte, qui allait en s’amplifiant. Surtout, il ne cessait de se demander si la petite comptine chantée, ou plutôt récitée par la paysanne comme il la désignait dans son esprit était vraie. Et plus il progressait, plus il tentait de se faire une idée de ce narrateur, qui annonçait pas à pas des aventures qu’il raconterait un rien après. Et ces longues parenthèses tout à propos qu’il semait au travers de ses « mémoires » ! À quoi peut-il bien ressembler, s’il vit encore, mais tout laisserait à le présager ? Il se décrivait jeune en petit gros à lunettes, stéréotype grossier que l’on a tous en mémoire, lorsque l’on n’a pas tenu ce rôle par ailleurs. Charlebois se souvint de nombres de brimades de l’époque au sujet de ses cheveux roux et de sa haute taille, il avait encore sur les lèvres le goût âpre de la cruauté collégiale. On lui avait volé dix ans de sa vie, et il n’avait jamais pu les récupérer. Cette époque insouciante ne lui aura jamais enseigné que le mépris et le dégoût, et il aura tenté tant bien que mal de se retrouver. Mais jusqu’alors, il ne le put pas. Il se retrouvait quelque part dans le narrateur de l’histoire, et cela lui fit une excellente impression : il aimait à ce que les textes qui défilaient inlassablement sous ses yeux l’englobassent totalement, et apparussent comme écrits pour lui et pour lui seul. Certes, ce n’était pas un gage de qualité, mais un passeport obligé pour gravir l’escalier menant au second niveau ; car les éditions AA, initiales sacrées de leur fondateur mythique étaient bâties selon un schéma strict empruntant beaucoup à la fameuse bibliothèque babelienne de légende ; en hexagones, trois bureaux disposés tout autour d’un pylône central sur trois niveaux abritaient trois gardiens successifs que devait affronter tout nouvel auteur ; Charlebois était le premier, il se devait de déceler le potentiel. Mais de l’avis de tous bien trop rustre et inexpérimenté, il ne pouvait convenablement savoir à combien d’exemplaires l’on se devait de tirer.

Tout manuscrit passant « l’étape Charlebois » était assuré de paraître : la question était de savoir quand et combien. Ceci était déterminé par le second bureau, de monsieur Sellière-Juste. Il s’agissait du petit-fils du fondateur, grand homme guindé et toujours tiré à quatre épingles. Il n’y entendait rien en littérature, et pour cause : il touchait un salaire de comptable. Il y avait dans ses façons et ses regards des chiffres emprunts d’une régularité exemplaire, et à l’œil même du titre du roman il savait combien il fallait compter en terme de promotion, de publicité, de production. Il avait en cela une intelligence affûtée comme une lame, qui lui permettait de prédire le demi-succès ou la victoire éclatante de l’œuvre, puisqu’il connaissait les goûts du public, des lecteurs, de leurs lecteurs. Il vivait dans un monde de statistiques, de camemberts et de diagrammes, et admirait par-dessus tout le système métrique, qu’il considérait comme l’apogée de la civilisation moderne. « Si Dieu avait une taille, disait-il, l’on pourrait l’évaluer en mètres », phrase qui n’était pas totalement dénué de sens commun somme toute.

Lorsque Charlebois remit le manuscrit à Sellière-Juste, SJ comme on le surnommait parfois, l’air gêné et timide, son confrère crut à une erreur.
« Le manuscrit a un vrai potentiel, répétait Charlebois, un vrai potentiel. Peut-être un des meilleurs que je n’ai jamais pu lire.

– Hé bien ! fit SJ. Qu’est-ce qui vous indispose alors autant ? Est-ce que vous ne tenteriez pas, mon cher, de faire passer le premier niveau à un manuscrit de famille ?

– Nullement, répondit-il piqué au vif. Nullement. Mais il y a quelque chose d’étrange. Selon la dame qui me l’a transmise, il s’agit d’un récit trouvé par terre, quelque chose de vrai.

– Sans doute écrit par un membre de sa famille, si ce n’est pas elle le vrai auteur. N’allez pas vous faire avoir par les écrivains, mon petit… ce sont des filous, tous à moitié fous. Quand ce ne sont pas des romantiques transis, ce sont des matérialistes visqueux, et ni les uns ni les autres ne devraient avoir droit à notre regard. Mais mon grand-père avait su voir en eux des vaches à lait, que l’on peut traire comme jamais… éditons, ne donnons rien à l’auteur si ce n’est qu’une misère et il en sera ravi, heureux de faire connaître ses idées. À vrai dire, j’embrasse le ciel que les cours d’économie ne soient pas à l’ordre du jour dans les formations littéraires. Sans ça, les maisons comme la notre courraient à la ruine. Bien ; alors… il ne me semble guère épais, ce texte…

– Il n’est pas là dans sa totalité. À toutes les phrases, on nous interpelle pour dire que les explications viendront par la suite ; il s’autorise des débordements dans son histoire, qui bien qu’ils ne soient pas tous dénués de sens commun, nous empêchent de tout lire d’une traite… sans parler du texte en lui-même, compact, dense, lourd : c’est toute une disposition à revoir en profondeur.

– Je croyais que l’on n’acceptait que des manuscrits complets à mon niveau, coupa SJ. Comment voulez-vous que je gère le planning publicité avec un tiers de texte ?

– En fait, je pense que ça serait erreur de vouloir le diffuser en roman directement. Il faut en faire un feuilleton.

– Un feuilleton ? Vous voulez dire, dans un journal ?

– Oui. Écoutez, j’y ai pensé avant de vous l’emmener, et je crois qu’il y a tout un secteur à investir… et ce texte risque d’être porteur. Il faut y songer. Je vais vous expliquer… je sais que vous n’êtes pas très littéraire, mais je vais aller droit au but, en répondant à cette simple question : quel intérêt a le feuilleton vis-à-vis du roman ?

– Je vous écoute.

– Bien… Tout d’abord, l’intérêt indéniable que possède le feuilleton sur le roman, c’est son particularisme : son aspect décousu et morcelé. C’est sa grande force, sa forme est sa force. On en suit un épisode, il peut être tantôt sublime, tantôt moyen : mais on oublie aisément l’épisode qui ne plaît pas pour ne retenir que ceux qui plaisent. C’est là une donnée religieuse, presque : si une phrase ratée dans la masse de la Bible peut la discréditer toute entière, la même phrase donnée un jour, mais perdue entre d’autres lancées et présentées comme individuelles, ne confond pas l’œuvre entière. Le feuilleton est en cela un garde-fou, le plus sûr moyen que peut avoir un auteur pour s’assurer de son succès, et voir ce qu’il doit rectifier. Car il est parfois des mots qu’il entend sonner juste et qui pourtant n’ont aucun écho auprès du public, et d’autres dont il est peu fier et qui sont alors repris en chœur par les masses. C’est un mystère dont on ne peut connaître la juste vérité, on doit l’accepter sans compromis.

« Le feuilleton a cela d’intéressant tout autant dans sa forme morcelée pour ce qui est de la fidélisation du lectorat. Un roman est une créature, un géant dense, titanesque : il faut l’affronter vaillamment, au risque devant la difficulté de renoncer et d’aller vers un monstre bien plus abordable. Dans le feuilleton, on n’affronte pas le titan, on affronte des parties de titans : une jambe, un bras, une tête. Rien ne semble inabordable. Il suffit de balayer la page des yeux pour voir dans un même temps le début et la fin du chapitre. Avec ça, même le plus réfractaire des écoliers à la lecture se sent l’âme d’un dévoreur d’encyclopédies. Et ça permet de ménager du suspense, de vendre plus d’exemplaires, de faire des fictions de fanatiques ! De quémander des illustrateurs pour les scènes-clés, bref, de faire du tapage. Mais il va falloir le découper sévèrement… rien qu’avec son premier chapitre, il y a de quoi faire une seule saison.

– Moi, je suis convaincu – et ce faisant il pianotait sur une calculatrice. Mais il va falloir voir avec mon frère. »
Le frère en question était, comme on pouvait le deviner, le directeur des éditions AA, faux-jumeau de SJ. Il partageait avec lui sa rigueur statistique mais était bien plus au fait de la sensibilité littéraire. Romantique devant Dieu, il se prenait poète, et ne parlait guère autrement qu’en vers, en société comme dans sa plus stricte intimité. Ce qui lui permettait, malgré des façons un peu brusques, d’avoir de nombreuses conquêtes et un carnet de rendez-vous judicieusement rempli. Ce jour-là, il était absent ; si bien que Charlebois préféra préparer une découpe en vue d’une future parution en presse pour le lendemain, dans un des journaux qu’il faisait paraître en kiosque et qui servait bien entendu de plateforme publicitaire pour leurs ouvrages.
La patronne se tortillait sur sa chaise de restaurant, à la frontière de l’absence et de l’interdit. Mordillant sa serviette en scrutant la porte de sortie, elle s’ennuyait de Giorgio et de Sissi, en acquiesçant silencieusement à son amie lui débitant plusieurs âneries à la seconde. Elle avait un avis sur tout ; elle avait surtout des avis. Mais elle n’avait pas pu refuser l’invitation de sa bienfaitrice, et s’efforçait de conserver ses envies de révolution pour se faire obéir des deux têtes de pioche, quand elle devra les avertir des nouvelles orientations du texte. Celui-ci à présent devrait avoir beaucoup d’émotions, du fantastique, un rien de polar. Le narrateur devait se travestir en ce qui faisait fureur à cette époque, un croisement incertain entre Frodon le Hobbit, Arsène Lupin, Jean Valjean et Balthazar Picsou. Il fallait vendre et non innover : ils auraient l’occasion d’être des écrivains une fois devenus des artistes.
« Dis, Giorgio, tu crois que la patronne a réussi à vendre notre manuscrit ?

– Pour sûr ! Hé, tu ne la connais pas assez bien ta patronne pour ça ? Elle t’a recueillie, élevée, donnée un foyer et un travail, et tu doutes d’elle.

– Et toi, tu la connais depuis longtemps ?

– Si je la connais depuis longtemps ? Ouais, possible… tu sais, je ne suis pas venu dans ce bouge uniquement par hasard.

– Ah non ?

– Hé non. Mais ça, je vais te l’expliquer en poésie… il y a des vérités qui ne peuvent se dire qu’en poésie, je t’en avais déjà parlé je crois. Et bien, c’en est de ceux-ci. Je vais te raconter.
« Il est parfois des rencontres que l’on fait sans savoir combien précieuses elles seront ; il est des personnes que tu vois et avec qui tu te brouilles et qui seront de nouveaux amis ; il est des amoureuses dont tu fais patiemment la cour et qui disparaissent le lendemain. Quand je suis venu en ce monde, en ce bagne devrais-je dire, mon corps semblait trop étroit pour contenir toute mon âme et toute ma conscience. J’étais issu d’un univers de bonté et d’intelligence, de bons gardiens : mais afin de vivre, je devais apprendre. Et apprendre, c’est un synonyme de souffrir. Pendant plusieurs années j’ai souffert : dans mon berceau j’ai souffert. J’ai appris à marcher et j’ai souffert. J’ai appris à parler et j’ai souffert. J’ai tout simplement vécu, et cela seul à suffit à me faire souffrir. Alors quoi ? Renoncer ? Je n’ai pas renoncé. Je ne renonce jamais. Ce que je sais faire, je le fais, et je le fais du mieux possible. Alors j’ai vécu, puisque je suis venu pour cela.

« Il y avait dans mon village, dame ! une mère-grand, la mère-bonne, la vierge Marie. Toute auréolée de gloire et de lumière. Elle parlait à Dieu, et quand elle lui parlait, elle disait “tu” et le conseillait. Et le bon Dieu écoutait. “Garde-toi d’aller là”, disait-elle, et le bon Dieu oubliait qu’il était créateur de ce “là”. “Méfie-toi de celui-ci”, disait-elle, et le bon Dieu doutait lui-même de son existence. Cette vierge avait eu un enfant toute seule, disparue depuis des lunes ; une femme, son portrait tout exact. Si bien qu’on ne remit jamais en cause sa virginité, qu’elle protégeait comme vingt nonnes du Vatican : preuve du caractère intact de ses cuisses. Crois-moi : mieux la forteresse est gardée, moins les intrus y rôdent. Elle était bonne comme jamais aucune femme n’avait jamais été bonne avant elle. Elle vivait sans le sou, et à peine en avait-elle un qu’elle le dépensait pour un plus pauvre qu’elle. L’argent lui brûlait les doigts ; elle prétendait qu’il ne pouvait servir que son malheur, et préférait le dépenser. Elle ne s’habillait que d’une écharpe noire, que d’un costume rouge avec une ceinture de cuir passé et d’une jupe à carreaux. Elle disait venir du Sud, mais sans plus de précisions ; d’un pays “sans soleil ni nuage, où le ciel est déjà une promesse”. Toute une journée, elle était à la campagne, marchant, et dispensait conseils et soins. Elle était un peu prêtresse, un peu médecin, un peu comtesse, un peu savante, un peu sainte ; elle était un peu Dieu et un peu Femme, elle était bonne tout simplement. Comme de ces mécènes, qui, parce qu’ils ont connu jadis la misère, savent combien elle prend au ventre, et ne veulent jamais plus la revoir, ni chez eux ni ailleurs. Alors elle courrait les chemins, un sac à malices sur son épaule. Racines de mandragore, feuilles de sauvette, graines de satrape : elle cultivait cet amour des plantes imaginaires comme d’autres polissent leur blason. On disait qu’elle avait rendu la vue à des aveugles, fait marcher des boiteux, sauvé des eaux des distraits ; ainsi on l’appelait “la fille du bon Dieu”. S’en vantait-elle pourtant ? Le moins du monde. Elle ne montrait ses dons qu’en unique cas de besoin, jamais pour qu’on l’aime ou pour convaincre un sceptique. Elle bénissait ces derniers par ailleurs : elle disait que les sceptiques étaient des croyants les plus sains, et les plus proches de Dieu.

« Elle élevait sa fille avec l’aide des villageois, qui lui donnaient fruits, lait, manteaux d’hermine, landaus ; et ainsi, ce petit bout de chair rosée qui babillait continuellement sans pleurer, qui avait appris à sourire avant même de savoir respirer vécut une enfance sublime, au milieu de sucre et de miel. Si bien que quand sa mère disparut mystérieusement, et que personne ne se demanda où elle était partie, la fillette, qui n’avait pourtant que six ans sut que tout était bon, et continua de nager dans un univers de soie.

« Mais le voyage l’appelait ; elle lui semblait que la terre la chassait, qu’elle devait se mettre en route. Et tout comme sa mère disparut sans que quiconque ne le sache, la petite fille quitta mon village en n’avertissant qu’un seul d’entre nous, qu’elle avait choisi parmi tous, par le plus complet des hasards : moi, Giorgio, le rejeté, le frêle, le mignonnet. Elle avait quatorze ans, moi dix ; elle m’embrassa six fois sur les deux joues et quatre fois sur le front, me serra fort dans les bras, et j’ai su alors que je la reverrai sans parfaitement la revoir.

– Cette femme, c’est la patronne ?

– Oui et non. Laisse-moi terminer. Bien entendu, pendant des mois, des années, des siècles ! je perds contact avec ce monde. Je tente en vain d’arrêter de souffrir, d’arrêter de vivre donc, je cherche à revenir dans mon monde de bonté et de félicité suprême, en vain : les portes me sont à jamais closes, on me fait comprendre que je dois encore réaliser avant de repartir. Réaliser non pas une œuvre, mais un chef d’œuvre ; non pas un message, mais un évangile. Alors je me suis mis au travail, mais bientôt la faim, le froid, les déconvenues et, pis que la famine, le gel, les ruisseaux tumultueux, les ponts humides, les pluies tranchantes comme des lames de rasoir sur mes poignets, le doute. Ce doute, cet affreux doute, ce lézard, cette salamandre qui pénètre par le nez, la bouche, s’immisce dans ton crâne et te fait paraître tout ce que tu composes comme sale, noir, banal, sans génie ni talent aucun. Alors tu demandes autour de toi des lecteurs, des auditeurs, des spectateurs. Heureux ceux qui sont heureux, ils n’ont que des amis ! Malheureux ceux qui ne sont pas heureux, ils n’en ont aucun. Et moi, j’étais bienveillant mais malheureux, malheureux et seul, sans talent. Un germe d’idée s’est alors infiltré par mon oreille, aux côtés du lézard du doute, une graine qui allait le combattre avec puissance et malice : elle seule pouvait m’aider, pouvait me dire, pouvait m’éclairer. Bon sang ne saurait mentir. J’ai alors cherché, dans toute la France, en Navarre, en Andorre, j’ai rencontré des voyous, des bagarreurs, des usuriers, aucun ne pouvait me renseigner. Et un bon matin d’automne, je l’ai vue. Ce n’était pas elle, mais c’était son essence, son âme, son aura : son soleil.

« Autour des purs, autour des éveillés, il y a comme un soleil puissant, pas aussi lumineux que l’astre du jour mais qui réchauffe bien plus, et sans jamais brûler. C’est une psyché, un psi, un inconnu, mais tout à la fois un savoir immense, que tu crois posséder avant de t’apercevoir, quand tu t’en éloignes, que tu n’en sais rien. C’est comme si ces purs étaient constamment entourés d’eau fraîche, le bassin des nymphes ou des narcisses, et toi d’être une brebis perdue qui vient s’y rafraîchir, et qui y reste parce que l’herbe est douce et croquante. La grand-mère et sa fille avaient la même aura, et la patronne l’avait. Mais ce n’était pas elle : elle était plus vieille que la fille de la fille du bon Dieu, le visage, bien que ressemblant, était moins féminin, plus rude : elle avait vécu, et la vie l’avait usée. Je l’ai observée, en silence, pendant très longtemps, et j’ai compris que cette femme, qu’elle vienne d’Italie ou de Mangalore, avait été éprouvée, mais qu’elle avait été divine un jour. Et cela, rien ne peut l’ôter. J’ai poursuivi encore mes recherches, et puis un jour, je suis rentré dans le bar. »
Sissi restait silencieuse, comprenant à mi-mot tout ce qui se cachait derrière l’histoire de Giorgio, qu’elle ne voulait pas croire dans sa totalité. Giorgio était un saltimbanque, sa patronne le lui avait toujours répété, et par-dessus tout, un menteur. Il faisait parti de ces êtres à la mémoire prodigieuse qui peuvent s’inventer autant de vies que de connaissances, d’anecdotes, d’enseignements sans jamais se discréditer ni se contredire. Fort heureusement pour l’humanité, ils possèdent, et cela pourrait surprendre, un sens aigu de l’éthique et de la morale, et s’interdisent de faire un métier de menteur, où l’on fait des promesses sans pouvoir les tenir, publicitaires, politiciens, dragueurs ; ainsi, même dans leurs mensonges, qu’ils savent mensonges, ils restent sincères, ils mentent en restant de bonne foi. L’on ne peut les confondre, si bien que lorsqu’un tiers met en garde contre de tels individus, soit la raison dicte que personne ne peut faire cela et ne jamais se tromper, ce en quoi ils s’égarent lourdement, soit la foi les oblige à remettre la moindre de leur parole en doute. Ils ont ainsi, sans demi-mesure, des groupies et de farouches rivaux, certains passant même sans scrupules d’une entité à l’autre, et personne n’y voit d’ennuis : Giorgio avait également une grande capacité de pardon, qui confinait au débonnaire ou à la naïveté mais jamais à la faiblesse. Il étouffait, égratignait, titillait mais n’achevait jamais : c’était un boa qui commence à serrer, et à l’instant où les os sont sur le point de craquer, défait son étreinte et apporte des pissenlits à manger à son lapin. Nature étrange, équivoque, individualiste qui collait parfaitement à son personnage. S’il n’avait pas été pauvre, se disait-elle à mi-voix, il aurait pu être très riche.
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