Mésaventures irréelles et autres considérations





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Chapitre IV
Il a commencé à prendre du galon, tout simplement. Oh, pas grand-chose ! Il était en ce temps caporal, un rien au-dessus du simple troufion, le grade au-delà de la distinction de « première classe ». Cela lui permettait de toucher quelques sous en fin de mois, et il considéra que cela était largement suffisant pour entretenir une épouse. Il s’habilla du mieux possible, tenue de sortie, képi, souliers cirés, teint glabre, crâne impeccablement rasé – pas totalement, mais largement ; quelques millimètres de touffes brunes pouvaient se discerner tout au long de sa tête, coiffure qu’il gardera du reste jusqu’à la fin de son existence, refusant même à la retraite de se laisser pousser les mèches. Plusieurs raisons à cela, du moins, s’en était-il convaincu ; il les répétait par ailleurs avec force et conviction, à plusieurs reprises, à celui qui restait dubitatif quant à ses choix esthétiques.

Il considérait de prime abord la beauté de la chose, argument on ne peut plus sujet à discorde mais que l’on pouvait taire, considérant qu’après tout, des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Il est vrai que de n’avoir jamais vu mon père coiffé autrement, je ne saurai l’imaginer, même à titre posthume ou grâce aux miracles de la retouche numérique, avec une queue de cheval ou une frange. Il considérait également, et c’était généralement son deuxième argument qui devait contrebalancer l’aspect personnel, modal, unique de sa coiffure par une logistique bien plus grinçante, qu’en cas de fortes chaleurs, il n’en était que moins incommodé comparé à celles et ceux qui balayaient le plancher sans même se pencher. Ce à quoi on lui rétorquait qu’il ne voyageait plus guère, et plus du tout même une fois à la retraite, et que les pics de chaleur observables dans l’hexagone n’étaient pas des plus hauts jamais enregistrés.

Dernier argument dans sa besace : la propreté. Il est vrai qu’il n’utilisait que peu de shampoing et qu’ainsi, ses cheveux restaient propres longtemps malgré la sueur et les pellicules, si bien qu’il gagnait quelques temps sur sa toilette matinale. Et on lui rétorquait qu’il ne savait quoi faire de ce temps de toutes manières, et que son gain, surtout l’exploitation de ce gain, était nul. Si une discussion sur le sujet durait jusque là, il se cloîtrait comme à sa fâcheuse habitude dans un silence désapprobateur et toisait son interlocuteur de haut, de bien haut, d’en l’espoir, comme ces roquets ou ces yorkshires, de les intimider suffisamment pour opérer une retraite réfléchie – et mouchoir parfumé, et revint, en taxi cette fois-ci, au fameux village et demanda la main de ma mère à la sienne, sans trembler ni frémir, se dressant au garde-à-vous, sans un seul autre mot d’explication.

La réaction de ma grand-mère fut d’abord teintée d’incompréhension, puis elle éclata d’un profond rire qui le frustra énormément et qui, j’en suis maintenant intimement persuadé, le frustrera toute sa vie durant, et le fera se sentir inférieur, largement inférieur à sa belle-mère jusqu’à la mort de celle-ci ; si bien qu’il ne pleurera pas lors de son enterrement, mais rigolera à plusieurs reprises avant et après la mise en terre, un sujet particulièrement douloureux sur lequel je ne reviendrai pas je pense : j’en garde encore une profonde tristesse, qui m’aura certes rempli sur l’instant de haine, mais qui avec le temps n’aura amené en moi que du dégoût et de la pitié. Il n’aura pourtant pas un seul mot de colère, ou de mépris envers elle : il se contenta de réitérer sa demande à deux reprises avant de finalement forcer le passage vers la maison elle-même, qui était adjointe à l’épicerie, si bien qu’en sortant par la porte de derrière on se retrouvait directement dans le plus grand des deux salons de la demeure, là où ma mère demeurait en général pour se reposer, lire ou travailler selon ses goûts de la journée.

Avec une mémoire qui m’aura toujours étonné, elle m’assura qu’à l’instant où son futur époux rentra dans le salon, alors qu’au loin le rire tonitruant de la maîtresse de maison se faisait entendre inexplicablement, elle lisait un célèbre recueil de poésies, Les fleurs du mal, et plus particulièrement le poème « Chanson d’après-midi » (section « Spleen et Idéal ») et plus précisément encore le second couplet,
Je t’adore, ô ma frivole,

Ma terrible passion !

Avec la dévotion

Du prêtre pour son idole.
Elle leva alors les yeux et l’aperçut, le front bas mais le menton haut, les yeux bleus pétillants d’orgueil, la face bouffie, le costume empestant la naphtaline et la sueur séchée. Elle se demanda qui était cet homme qui venait de faire irruption dans sa maison sans dire un mot, comme si son arrivée était attendue, espérée, réclamée et qu’il n’était ni utile de se présenter, ni d’expliquer les raisons de sa venue. Elle était seule dans le salon : sa sœur courait la campagne avec son époux, et son père avec le camion de livraisons. Elle concéda parler de cette curieuse entrevue devant un appareil d’enregistrement. Comme de coutume, les symboles « […] » signalent une intervention de ma part.
« Quand j’y repense, ça aurait pu être n’importe qui… peut-être même un voyou, ou un assassin, ou pire ! Va savoir. Si ç’avait été le cas, on n’aurait pas pu se défendre. Maman était en train de rire comme un bossu dans le magasin, et moi ce n’est pas avec ma force ou mon recueil de poésies que j’aurai pu me défendre efficacement. Ç’aurait été la fin.

[…]

« C’est amusant, oui, que je me rappelle précisément du passage que j’étais en train de lire. En fait, ça m’est revenu que bien plus tard, après mon mariage. Un peu comme si j’avais cru voir dans ce quatrain un semblant de prophétie, ou de prémonition… Il faut dire que lors de mes premières années de couple, j’étais bien comme le prêtre devant l’idole, je peux te l’assurer. J’étais très attachée. Mais pas ton père. À croire que je lui faisais honte. Et maintenant qu’il voudrait se rapprocher, moi, il me fait honte. Vois comme sont les choses. Enfin… tu voulais savoir comment j’ai pu épouser ton père ? Par stricte jalousie. Je te le dis à présent, je n’ai jamais été totalement amoureuse. Jamais. Je n’ai jamais ressenti tout ça, les papillons dans le ventre, le besoin d’avoir toujours l’autre à tes côtés. Pour m’aider à régler des affaires, ça, bien sûr ; pour soulever les meubles, déménager, oh oui, son absence m’a paru bien cruelle. Mais sinon, j’ai toujours préféré ma solitude, et mon indépendance. Si je l’ai épousé, ça a été par désœuvrement, facilité et, je dois dire également, jalousie à l’égard de ta tante. Elle paraissait si heureuse avec ton oncle, si épanouie… je me suis dit, pourquoi pas. J’aurai pu trouver un prétexte pour divorcer, mais je ne l’ai pas fait. Car ton père était…

[…]

« Ce n’est rien. Ça ne te dérange pas si on arrête ? »
Ma mère commençait à pleurer. J’avais réveillé en elle de troublants souvenirs, si bien que je ne connais pas totalement les entières raisons pour lesquelles elle décida d’épouser ce petit soldat. Sûrement pas pour l’argent, du moins l’argent présent : peut-être espérait-elle qu’il montât rapidement en grade et fût associée à sa gloire prochaine. À moins que ce ne fût le prestige de l’uniforme. Ce qui était certain, c’est que sa grossesse l’empêcha de divorcer comme elle l’aurait voulu, et comme elle aurait volontiers dû le faire : une fois mariée, elle négligea ses études, et se borna à rester femme au foyer, alors qu’elle avait de brillantes dispositions pour le calcul et qu’une carrière toute tracée comme mathématicienne ou femme d’affaires lui tendait les bras. Pendant plusieurs mois, elle dut supporter les absences répétées de son époux en manœuvre, alors qu’elle portait mon frère en son sein, ce qui se traduisit par de profondes et longues périodes de dépression, au cours de laquelle elle se laissait doucement mourir de faim, entraînant son fils avec elle. Elle ne mangeait plus que quelques feuilles de salade, tous les trois ou quatre jours, sans boire rien de plus que de l’eau et en très faible quantité : si bien que plusieurs fois l’on aura dû les amener à l’hôpital subir quelques observations à cause d’une très grande faiblesse, et l’on a plusieurs fois discuté de confisquer l’enfant à sa mère si elle se révélait incapable de s’en occuper.

Outre l’absence répétée de son « époux » et les discussions houleuses dans la famille le concernant et qui, directement ou indirectement lorsqu’ils s’agissaient d’insultes à son encontre – à noter que toutes ces réprimandes et ces noms d’oiseaux ne surgissaient qu’en sa stricte absence, et que de nombreux membres de la famille qui étaient des plus farouches et les plus réservés à son égard devenaient brutalement lorsqu’il revenait, de temps à autre, embrasser sa femme et s’adonner aux plaisirs de la chair, car c’était avant tout de cela qu’il s’agissait, ses plus chauds partisans. Je prétends qu’il ne s’agissait que de cela, car c’était hélas ! pour ma pauvre mère bel et bien le cas.

Mon père était un homme (en cet emploi-ci et dans ma propre bouche ce n’a jamais été un compliment, bien au contraire) et avait par le fait des besoins corporels, disons, certains ordres de besoins corporels « essentiels » que je comprends tout à fait pour les avoir moi-même ressenti lors de ma jeunesse (j’aurai sans doute l’occasion de les évoquer par la suite, mais je remercie dès à présent les nombreuses muses, et ma déesse, la Marquise [je t’embrasse six mille fois ma bien aimée, que les séraphins soient toujours à tes ordres pour te plaire à chaque instant] qui m’aidèrent à satisfaire ces besoins) et que je ne blâme pas. Mais moins que l’existence de ces besoins, que l’on ne peut guère supprimer autrement qu’avec l’ablation de certains des organes incriminés, c’est la manière dont mon père crut bon de les apaiser qui est sujet à de nombreuses critiques de ma part.

J’ai déjà eu l’occasion de parler plus haut de son rapport avec les femmes, et notamment de sa vision sur les « objets de plaisir » qu’elles seraient censées être de façon exclusive (qu’il se trompait, qu’il se trompait lourdement ! Et que jamais je ne comprendrai que quiconque, même une femme, songe cela !), mais c’est à rajouter sur son côté algophobe, la crainte de la moindre douleur, de la moindre piqûre, de la moindre hospitalisation. Si bien que, de peur d’avoir une quelconque maladie, il n’osa jamais, pour satisfaire ses fortes pulsions sexuelles de jeune homme vigoureux d’aller consulter les services d’une masseuse ou d’une prostituée, au risque de contracter une quelconque infection ou une maladie plus grave. Il vit alors dans ma mère, et elle me le confirmera à plusieurs reprises, une source de plaisir « inépuisable » et « saine », au détriment de son propre plaisir.

J’ai notamment souvenir que ma mère m’assura que la veille de la naissance de mon frère ils firent l’acte (du moins, mon père l’obligea à subir l’acte ; cette formulation est du reste bien plus correcte concernant la vérité de la chose), et qu’elle en ressentit une très grande douleur. Les médecins du reste, je l’ai appris depuis, lui avaient déconseillé vivement toute forme de rapport à partir du sixième mois sous peine de complications, mais mon père n’avait jamais voulu rien entendre, jugeant mieux connaître sa femme que les médecins eux-mêmes –, l’affaiblissaient énormément, cela a véritablement été les rumeurs sur cette douloureuse histoire qui aurait dû rester interne à la famille comme le préconise avec sagesse l’adage, et les formalités administratives propres au fonctionnement logistique de la légion étrangère qui causèrent son plus grand malheur.
Concernant la « mauvaise réputation » dont ma mère écopa du jour au lendemain, alors qu’elle n’était que la seconde fille de l’épicière, silencieuse, discrète, celle dont on ne savait presque rien – pas une mésaventure, pas d’aventure du tout, une amitié prude et sans ambiguïté avec un voisin dénommé Serge, dont elle conservera un souvenir chaleureux, partageant nombre de ses jeux d’enfants, cache-cache, goûters et promenades à vélo –, celle-ci était tout simplement du fait de la « célébrité » que les femmes de légionnaires avaient à cette époque, ont toujours par ailleurs et qui est commune à plusieurs pays, non seulement en Europe mais partout où l’on peut apercevoir le béret ou le képi d’un soldat ; à savoir que, pour reprendre la stricte expression de ma mère, et j’entends encore sa voix trembler en prononçant cela, « une femme de soldat, c’est une putain ». Du jour au lendemain, comme je l’ai déjà dit, ma mère s’est retrouvée ainsi qualifiée par tout son village, partout où elle était connue : même ses « amies » de classe l’appelaient ainsi, pas une seule ne resta de son côté à la défendre. Et son ami Serge avait quitté la région deux ans plus tôt pour poursuivre ses études non loin de Paris. Elle se retrouvait seule, avec le soutien davantage physique qu’affectif ou psychologique de sa famille.

Des mois de « galère », encore une fois pour reprendre ses mots, où elle pesa lourdement le prix de ses erreurs et sut délibérément, refusant de se séparer de son enfant, qu’à jamais sa vie serait placée sous ce signe, sous le sceau de cette erreur ; le jour où elle dit « oui » devant le maire, le jour où elle l’épousa – je précise, car cela aura son importance, qu’aucun membre de la famille de mon père n’assista à ce mariage : il ne leur avait donné aucune nouvelle et de leur côté n’auront pas essayé dans cet intervalle de rentrer en communication avec lui. Elle eut conscience de « foutre sa vie par terre », et joua pendant plusieurs semaines avec l’idée de mettre fin à ses jours. En ce qui concerne les ennuis « administratifs », il convient de savoir qu’un soldat, lorsqu’il entre dans la légion étrangère est dépossédé de son identité : ne reste que ses initiales, auxquelles on adjoint un nouveau nom et un nouveau prénom. L’épouse, ou les enfants, ne sont dès lors pas reconnus lors de cette période, ce qui occasionne de nombreux ennuis pour l’administration et la juridiction en général. Je n’aurai jamais obtenu de plus amples détails concernant les situations délicates auxquelles ma mère a dû faire face à cause de cette caractéristique étrange de l’enrôlement ; mais je me l’imagine assez aisément, quand je ne suis pas frappé et bousculé par l’invraisemblance même de la pratique.

Brutalement, elle reprit du poil de la bête, tout brusquement, et elle-même fut dans l’incapacité de m’expliquer clairement pourquoi, ou comment ; mais elle décida au septième mois de considérer que quoi qu’il advienne, elle devait se montrer forte et accepter son sort. Elle m’avoua qu’alors, à la moindre de ses apparitions en rue, partout où on aurait pu la juger elle se figeait, son visage devenait de cire, ses yeux froids et absents. Et souvent elle pleurait une fois revenue chez elle, dans sa chambre ou, plus tard et sur « ordre » de son mari, qui jugeait que sa famille exerçait une pression bien trop malsaine sur elle, dans un petit appartement de Poitiers, non loin du centre-ville. Mon frère naquit fin Janvier, tandis que toute la ville était bordée de neige ; mon père assista lui-même à sa naissance, et le prénomma Luc, selon l’apôtre. Ma mère aurait préféré l’appeler « Alexandre » ou « Jérôme » mais ne fut bien évidemment pas consultée.

Tandis que tout semblait s’arranger, une nouvelle décision tomba : elle devait l’accompagner en Corse, plus précisément à Calenzana où il avait été judicieusement muté. « Judicieusement », car il s’avéra que la ville était le point géographique le plus éloigné de Poitiers existant au sein de la métropole où il pouvait espérer échoir. Il s’agissait d’une tentative, qui s’avéra fructueuse, pour éloigner la femme de la présence familiale et ainsi mieux la contrôler. La contrôler, car lors de ses premiers jours en Corse il n’hésita pas à révéler un visage de dominateur, lui donnant strictement l’ordre de rester enfermée dans le logement minable que l’armée avait mis à leur disposition, la frappant pour la faire accepter et la menaçant même avec un fusil « prêté » par l’armurier de la garnison, sous prétexte d’entraînement lors des cérémonies officielles. Contre toute attente, et faisant ainsi preuve d’une détermination farouche, elle se rebiffa. Il changea dès lors sa technique d’approche : il menaça, en cas de rupture ou de divorce, de se donner lui-même la mort. À l’idée de priver son fils d’un père, elle accepta ses conditions, et commença alors pour elle un long calvaire, qui de la Corse l’amena en Guyane française, puis dans le midi de la métropole avant de revenir dans de tragiques circonstances, après une absence d’une trentaine d’années dans son village natal, auprès des siens.
Avant de m’étendre plus en détail sur le récit de la vie de ma mère et de mon frère, puis de ma propre personne – je ne reviendrai que peu sur mon père. Je n’ai, je pense, pas à me justifier de ce choix. Lorsque je l’évoquerai, et seulement alors, je présenterai tel que ce qu’il a fait, et encore, l’on pourra m’accuser de noircir un tableau. Ce à quoi je me permets de répondre par avance que le tableau n’a, en aucune manière, besoin d’être obscurci et qu’il est suffisamment éloquent pour se suffire à lui-même – je pense terminer cette première partie, traitant des personnalités de mes parents et grands-parents, de ma famille en général et racontant les prémices de la vie de couple à laquelle j’ai plus ou moins eu la joie – le malheur parfois – d’observer, en évoquant du mieux possible mon frère, les rapports tumultueux que j’ai entretenus avec lui au fil des ans, sa personnalité complexe, plus complexe que la mienne ou celle de tout autre de ma connaissance – si bien que je ne pense pouvoir, même en le voulant avidement, être exhaustif. Mais je m’attacherai particulièrement, en souvenir de sa personne, et au nom de tout le respect que j’ai pu éprouver pour lui, de l’admiration même, étant continuellement pour moi au cours de mes jeunes années un modèle d’indépendance, de sagacité, de liberté, à trouver les mots et les mots justes pour le décrire dans son entière personne, encore une fois sans mentir, obscurcir ni embellir ; je promets de rester en tout instant sincère et juste, droit, sans compromis ni invention : non pas tel que je l’ai perçu mais toujours tel qu’il a été. C’est une tâche difficile, et tandis que j’énonce avant de commencer l’écriture la ligne directrice que je me dois de tenir, je me rends compte qu’inconsciemment, j’aurai placé en toute fin de cette première et large partie cette description nécessaire et importante, pour ma personne tout du moins : après, peut-être jugera-t-on que l’influence de mon frère a été moindre que celle de mon père ou de ma mère – influences dont j’ai eu déjà largement le temps de discuter – mais à mes yeux, sa présence a été toute aussi primordiale, et je ne me bornerai pas à vouloir classer ou ranger les biens que m’auront donné, consciemment ou non, les proches membres de ma famille.

Si j’ai choisi de mettre mon frère ici, en toute dernière position, c’est uniquement par facilité et par paresse. J’aurai pu organiser cette première partie bien différemment : et voilà que j’entame déjà ma troisième nuit d’écriture et je doute avoir plus d’un mois, ou d’une année, ou de dix ans pour finir. Si bien qu’en repoussant autant que raison les parties délicates de mon texte, parties anachroniques et n’entachant pas le déroulement progressif et logique de la lecture, je me laisse progressivement toucher par la fatigue et la lassitude, et peut-être serais-je ainsi tenté par l’envie de « bâcler » mon texte, de l’achever plus tôt que prévu et manquant ainsi de décrire de longs passages essentiels, anecdotes et autres données que j’ai pourtant jugées primordiales lors de la préparation de ces mémoires – un point peut-être concernant ma méthode de travail. Je ne sais pas si j’aurai à aborder tôt ou tard ce sujet particulier, et si cela était, cela n’aurait été qu’à la toute fin de ce texte. Dans l’éventualité où je ne parvenais, pour une raison ou pour une autre, à l’achever et que je doive confier à quelques amis ou quelques éditeurs un manuscrit inachevé, je préfère prendre le parti de l’exhaustivité et m’amuser à décrire non pas les raisons qui m’ont poussé à composer, mais bel et bien ma méthodologie, celle que j’aurai toujours suivi pour écrire au cours de mon existence.

J’ai toujours eu avec moi, et ce depuis mes vingt ans, un petit carnet de croquis qui me sert à noter quelques phrases, quelques mots et qui, le cas échéant en un prodigieux retour à son utilité première, accueille mes griffonnages désordonnés. Je me défendais un rien en dessin, ou plutôt en esquisse : car je croquais plus que je dévorais du papier, et un rotring ou un crayon gras à la main, je m’amusais à dessiner de mémoire surtout, selon modèle parfois, un visage qui m’a marqué, un dessin abstrait, une caricature, mon propre portrait, en une situation particulière souvent cocasse et un rien dévalorisante pour celui qui s’y essaie. Je ne dessine guère plus hélas ; mes mains à présent tremblent plus qu’elles ne tiennent. Les notes concernant mes futurs textes apparaissent difformes, dans un sens puis dans l’autre, se chevauchent, s’interconnectent au moyen de flèches savamment placées, courent d’une page à l’autre, si bien qu’il faut bel et bien se trouver à ma place pour d’une part pouvoir déchiffrer la mienne écriture (une de mes professeurs en terminale me répétait que j’avais une « écriture de ministre » : des lettres étroites, menues, aux pattes longues et tordues, si bien que chaque mot ressemble à une signature et que ma signature ne ressemble à rien) et d’autre part dénicher parmi les nombreux indices directs et indirects le sens de lecture, le « bon » sens de lecture : car je ne cache pas que plus d’une interprétation est possible de page en page, et on aura pu croire lire tout le contraire de ma pensée en parcourant ces feuillets sans le vouloir et sans s’en rendre compte. Je n’ai jamais eu un sens pratique, et je rature plus que je ne compose, si bien que tout texte de ma main n’est jamais réellement un premier jet mais un deuxième, troisième, quatrième jet, car entre temps je lis et relis, corrige, rectifie, revient, perce souvent le papier à force de reprendre ; mais jamais sûr de moi, je finis toujours par persister et à relire encore et encore, et mon texte finit par n’être jamais achevé. Si bien que si je m’écoutais, je ne ferai jamais rien lire à personne et je n’aurai jamais rien fait lire à quiconque, et il me faut faire souffrance pour m’obliger à considérer à un moment donné que le texte est achevé et bien achevé, et que si ce n’est pour des corrections d’ordre orthographo-syntaxique, je n’y reviendrai pas en profondeur.

En parallèle à ces notes éparses qui composent, je dois dire, la grande majorité du « brouillon » de ce qui sera le texte final, et qui se composent donc des différents titres de section si j’ai jugé utile de les nommer, du contenu desdites sections, des principales idées et de quelques citations, phrases, extraits que je trouve agréable à la lecture et que je désire insérer à tout prix, il m’est souvent arrivé de chercher l’inspiration au cours de longues promenades, qui s’échelonnaient souvent du matin au soir, en ville, dans les parcs ou, plus tard, à la campagne, contemplant les environs, parlant à moi-même silencieusement ou à voix haute, même en présence d’inconnus, et m’enregistrant, une fois seulement mes idées en place sur un dictaphone que j’avais acheté il y a de cela fort longtemps et qui m’a, miracle ! jamais trahi encore, si bien que je l’ai encore utilisé régulièrement pour préparer ce texte. Une fois que je le juge bon, je commence la rédaction à proprement dite en ayant toutes ces données devant moi, et je m’efforce de composer le plus continûment possible, afin de ne pas briser mon style (si style je possède, bien entendu) et de ne pas m’affaiblir et de repousser, pire : de m’arrêter au sein d’une phrase, d’une ligne, d’un paragraphe (je m’autorise en revanche des coupures au sein d’un même chapitre, afin de me reposer et de choisir l’orientation future dudit chapitre. J’essaie au maximum de rester en un même sujet, mais je m’éparpille souvent : je palabre, m’autorise des parenthèses et des écarts, je m’en excuse : mais je n’ai jamais été capable de faire preuve de mesure et de raison de toute mon existence, et à présent il me semble tard, bien tard, même si le dire me semble à moi-même arrogant, pour modifier cela) ; une fois le texte entièrement composé, je le relis une première fois afin de modifier, déplacer, supprimer les parties qui le nécessitent, puis je confie à quelques amis grammairiens le soin de reprendre mon orthographe et mon expression, et me donner quelques primes avis sur ce qu’ils ont lu. En corrigeant encore une fois le fichier informatique je relis une ultime fois, puis je l’imprime et relis le « tapuscrit » avant d’en disposer comme je le juge utile.
Il conviendrait donc, pour parler de mon frère, d’être tout à la fois proche de lui et totalement étranger, de l’admirer sensiblement et de le repousser violemment, de le frapper de peur d’être frappé : car il conciliait en lui bien des contradictions, les affirmait et les condensait, les juxtaposait et affichait deux visages particulièrement opposés ; il était atteint d’un trouble terrible, dont une forme bénigne me frappa étant jeune et dont j’ai pu me débarrasser par volonté et chance je dois dire, une maladie mentale à la frontière du dédoublement et de la schizophrénie et qui a revêtu, pendant les dernières années de sa vie, le nom de « trouble bipolaire ». La maladie n’est pas orpheline, et plus d’un est frappé de ce désordre, parfois même en l’ignorant totalement et l’assimilant à quelque chose d’entièrement différent, anodin, sans importance : mais il s’agit d’un mal bien connu mais très difficilement soigné dans ses formes les plus malignes, et si elle n’est pas mortelle en soi elle peut pousser à l’automutilation, à la dépression et au suicide. Si l’on ne s’y intéresse pas, on peut passer une vie en ne connaissant pas son existence, en ne connaissant pas le péril dans lequel elle plonge ses victimes ; si bien que je préfère, avant d’aborder plus en détail le cas de mon frère, de le décrire du mieux possible, de l’expliquer du mieux possible, n’étant pas médecin moi-même et faisant sans aucun doute de nombreuses erreurs quant à sa description. Je m’en excuse par avance : bien qu’ayant été atteint du même trouble, je me suis toujours refusé à en connaître davantage, préférant aller à l’essentiel avec mes psychiatres, ne voulant parler que de ma guérison et non de ma maladie. Voici donc ce que je sais concernant ce mal dont mon frère a été gravement atteint, et qui aura eu pour lui une issue toute aussi fâcheuse que désespérée.

Ainsi, ceux atteints par ce que l’on appelle « trouble bipolaire » ou encore « cyclothymie » traversent de façon cyclique et aléatoire, et souvent sans phénomène déclencheur et sans que rien ne laisse présager d’une quelconque crise à venir deux états totalement opposés en substance mais qui sont tous deux « anormaux » en marge d’un comportement « normal », « de repos ». Le premier trouble semble s’affirmer comme une dépression, avec tout ce que cela comporte : troubles du sommeil ou insomnies, idées noires constantes, grande fatigue, volontés de se mutiler et de se tuer. L’état de déprime est ici particulièrement frappant et immédiat : il apparaît, comme je l’ai dit plus haut, brutalement, ou bien sans raison particulière, ou via un mot ou un évènement qui aura été mal interprété – comme certains individus atteints de paranoïa peuvent le faire – et est particulièrement dérangeant tant on ignore comment remonter le moral à celui-ci. Il n’est aucune solution, rien : quel que soient les moyens mis en œuvre pour rassurer, affirmer ou apaiser ils seront tous voués à l’échec le plus total, ne laissant qu’une grande frustration et pour le déprimé, et pour son ami. Mais tout aussitôt, en un éclair, à cet état de déchéance physique et morale incroyable succède une improbable joie, un bonheur de vivre et un optimisme dérangeant : le patient chante, danse, est heureux et devient doué d’une incroyable énergie qui semble ne jamais se tarir : ils entreprennent, rient, s’amusent, s’affirment les plus heureux du monde et semblent totalement détachés de l’univers qui les entoure, ne craignant ni les regards hautains, ni les courroux, ni les colères, ni les moqueries, ni les sarcasmes. Et tout aussi brutalement ils peuvent retomber en déprime ou bien revenir à un état « normal », et le cycle recommence encore et encore.

Ces cycles n’ont pas de durées fixes : ils peuvent durer quelques heures, quelques jours ou plusieurs mois et plusieurs années, en fluctuant, tantôt plus fort tantôt moins, sans qu’aucun élément extérieur ne puisse modifier cela : seules la patience et la volonté même de la victime sont capables de changer ce comportement. Mais lors des crises les plus aiguës, ou bien lorsque le trouble lui-même est en soi particulièrement violent il est difficile, pour ne pas dire impossible, de remédier à cet état. Et il convient alors aux proches d’user eux-mêmes d’énormément de patience et de volonté pour veiller et rester auprès des patients, afin de les aider et de les protéger surtout : car ils peuvent, dans un brusque accès de déprime ou au contraire d’euphorie, attenter pour des raisons bien distinctes à leur propre existence.

Deux pratiques sont couramment rencontrées : la scarification et l’écriture d’inscriptions diverses à même la peau grâce à des stylos, des marqueurs etc., les deux considérations se rencontrant principalement sur les avant-bras et sont en réalité les deux faces d’une seule et même pratique. J’ai pu de mes yeux voir de près les traces sordides qu’opérait sur lui-même mon frère aîné, au moyen de lames tranchantes, rasoirs, ciseaux et cutters : tout du long du bras gauche, de l’épaule à la main, on pouvait toujours trouver un bandage rougi, un mouchoir. Il portait souvent un seul gant à la main pour dissimuler ses blessures, constamment des chemises à manches longues et jamais de T-shirts. Les blessures étaient régulières et parallèles, profondes, infectées parfois. Il révélait qu’il lui arrivait souvent de brûler les cicatrices, une manière de cautérisation, et que lorsqu’il se faisait cela il en ressentait un certain plaisir, qui le transcendait, qui descendait le long de ses reins jusqu’au bas de son dos avant de remonter en un frisson délicieux jusqu’à la nuque. Souvent du pus venait, et l’infection le tourmentait d’autant plus : mais d’autre par il en ressentait du plaisir, et avait honte de ce plaisir.

Il lui arrivait tout également d’inscrire au stylo, en appuyant sur la pointe le plus possible – et préférant pour cela le « bonheur » d’un stylo à plume – des mots, des lignes sans sens aucun pour le profane mais qui pour lui étaient teintés de douleur et de cruels souvenirs. Il garda l’habitude d’inscrire sur ses membres et ses mains jusqu’à la toute fin de sa vie, que ce soient des informations anodines qu’il devait noter en urgence sans avoir de papier sous la main ou pour les fins que j’ai pris soin de décrire sans trop entrer dans le détail. À présent que j’ai expliqué le trouble dont souffrait mon frère Luc, je m’en vais parler plus en détail de sa personne, assuré qu’à présent vous comprendrez toutes les difficultés que je peux avoir à dépeindre sa personnalité, les souvenirs troubles et apparemment contradictoires, les nombreuses anecdotes : mais j’aimerai que l’on soit sûr qu’à jamais il a une place toute particulière dans mon cœur, dans ma tête, et que je pense à lui régulièrement, que je l’embrasse et le bénis, ici même et dans mes rêves.
Quand je repense à mon frère, et Dieu sait si je pense à lui régulièrement ! il me vient toujours une image qui me fait fortement penser à celle de mon père. Comme je crois l’avoir déjà dit plus haut, ils se ressemblaient physiquement si bien qu’on aurait pu sans aucun mal les prendre pour des frères, et bien que l’on savait tout pertinemment qu’ils étaient bien père et fils, la génétique s’était bel et bien exprimée de la manière la plus ambiguë qui soit. Cette ressemblance couvrait d’ailleurs bien d’autres domaines en marge de la simple similitude photographique, externe : attitudes, gestes, goûts en musique et cinéma – jusqu’à un certain point, puisque mon frère n’aimait guère Michel Sardou, ni les westerns dont j’ai déjà parlé –, voix – à plus d’une reprise moi et ma mère avons confondu au téléphone mon père et mon frère, en les vexant chacun généralement, ne voulant à aucun moment n’être mépris pour le second : et plus ils se ressemblaient et plus ils se détestaient, c’est je crois une des caractéristiques fondamentales de leur relation et, je dois le dire, celle qui m’a le plus marqué. Il y avait une haine tantôt sévère, tantôt tacite, sournoise, comme un serpent entre eux deux : ils évitaient soigneusement de se regarder en présence l’un de l’autre, chacun plongé en profonde discussion avec un tiers, ou bien regardaient la télévision, ou lisaient, en un mot attiraient leurs regards ailleurs que sur « l’ennemi ». Quand ils ne pouvaient ainsi s’éviter, tout était propice à la concurrence, au combat : à table, c’était à qui boirait le plus ou qui mangerait le plus vite, c’était celui, lors des réceptions ou des grands évènements qui serait le mieux habillé, celui qui parlerait le plus fort, qui chanterait le mieux, qui danserait le plus tranquillement du monde ; c’était celui enfin qui parvenait à avoir le dernier mot dans la conversation. Mais là le conflit dégénérait rapidement pour en venir aux mains, et comme ils étaient tous deux de force égale, ils finissaient par s’infliger des dommages équivalents et par repartir, les joues gonflées, les tempes rouges et les poings en feu chacun de leur côté pour se laver et remettre leurs habits en ordre.

Il semblerait, aux dires de ma mère que j’ai très tôt interrogée, ne pouvant avec mes simples yeux d’enfant voir la stricte vérité quand le drame se jouait devant moi, que mon frère n’ait jamais pardonné à son père quelques offenses subies dans le passé, ni quelques paroles blessantes à son égard et que pour sa part, il lui en aurait toujours voulu d’avoir répondu et d’avoir ainsi contesté son autorité, d’être une forte tête et un « libre penseur ». Car mon frère était une version « meilleure » de mon père, je pense le dire : que ce soient en actions, en convictions, en pensées, en intelligence, en culture, en amour, il le surpassait et le surclassait sans aucun mal, et si mon parent entreprenait quoi que ce soit, mon frère faisait de même et était assuré de faire mieux. Et quand bien même cela ne lui était en aucun cas utile de suivre la même voie, il le faisait néanmoins, pour avoir le strict plaisir sadique pourrait-on dire de faire comprendre à mon père toute son impuissance. J’ai notamment le souvenir – encore que ce ne soit qu’un souvenir flou et qu’il peut s’avérer parfaitement que ma mémoire ne me joue des tours – que mon père, pour les besoins de sa carrière militaire avait dû passer le permis poids lourd pour je ne sais quelle raison. Apprenant cela, mon frère jugea bon de faire de même : il l’obtint plus rapidement et à moindre effort, mais ne s’en sera par la suite plus jamais servi.

En la matière, ce qui agaça je présume le plus mon père, du moins je me souviens distinctement des confidences que ma mère m’aura fait à ce sujet, ce furent les talents de composition de mon frère. Mon père était un auteur raté : pendant longtemps il essaya, sans succès, de composer des poèmes, des pièces de théâtre, des romans, mais ils étaient médiocres et n’attiraient aucune sympathie, que ce soit parmi les amis, la famille ou les professeurs. Il n’en garda qu’une profonde amertume et se mit à admirer les grands auteurs, mais à détester les petits et les amateurs, et à décourager quiconque se trouvant autour de lui ayant des « stupides prétentions d’écrivain ». Comble de malchance, j’en fis mon métier et mon frère se trouva bien plus doué et précis que je ne l’ai jamais été. Et il se faisait un malin plaisir de dissimuler et de distribuer ses pièces au travers de la maison, en dissimulait dans les poches et les sacs si bien qu’il était impossible pour mon parent de ne pas les voir, même s’il avait tout entrepris pour ne jamais les apercevoir. Et le talent de mon frère était tel qu’il pouvait en un instant et sans jamais y revenir coucher un quatrain divin, qui aurait fait frémir Baudelaire, Plutarque et Rimbaud réunis, un sonnet, toute une ode. Son vocabulaire semblait intarissable – c’est grâce aux lectures des poèmes de mon frère que j’ai acquis quelques mots formidables, comme « incoercible », «  lovelace » ou encore « thaumaturge » –, ses figures de style innombrables, les sujets choisis multiples, souvent anodins – De la fenêtre de ma chambre, Le ciel et les nuages, La tristesse de la Dame-jeanne sont autant de titres utilisés par mon frère – parfois grands mais toujours traités avec dévotion, justesse, mélancolie.

La mélancolie était un des thèmes récurrents de l’œuvre de mon frère. Je dis « œuvre » car il s’agit bien de cela : on doit lui compter – j’avais fait l’inventaire il y a fort longtemps mais, hélas ! encore une fois, cette satanée mémoire me joue des tours – plus de huit cent poèmes de taille et de « qualité » variable. Je ne les ai jamais compilés, ni jamais montrés à quiconque, et je m’en vais l’expliquer. J’ai abordé la maladie de mon frère, et j’ajoute qu’il était atteint d’une forme maligne, qui n’alla qu’en s’empirant avec son âge. Et atteint ses trente ans, après une violente crise qui dura plus d’un an, et qui n’aura poussé sa fiancée qu’à fuir ce visage dont elle prit peur, il se pendit dans son appartement à l’aide de sa ceinture. Posée sur une commode, en appui contre un vase contenant deux roses, l’une noire et l’autre pourpre, une enveloppe contenant une lettre, une épitaphe et un semblant de testament. Il y faisait mention claire de ne jamais diffuser ses écrits et désirait qu’ils restent à jamais au sein de la famille. Et en dessous de ce mot rapide, ce quatrain, qu’il précisait vouloir que l’on inscrive sur sa tombe :
Au loin le corbeau siffle et je le rejoins.

Ma mère, mon frère, ne soyez pas tristes :

J’ai lutté, mais il ne faut plus que je résiste.

Joignez vos mains, et priez pour moi.
Il n’y avait rien de plus. Aucun mot concernant sa fiancée, qui passé l’enterrement ne nous donna plus jamais de nouvelles, que nous ne revîmes jamais et que nous tentâmes jamais plus de retrouver, et pas un mot pour mon père. Ce dernier n’en fit jamais la réflexion mais nous comprenions en lisant son regard tandis que nous parlions, à titre posthume, de mon frère, qu’il enrageait de ne plus pouvoir prendre sa revanche et qu’une dernière fois, Luc avait eu le dernier mot.
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