Les Cahiers n° 4
Enseignement Militaire Supérieur de l’Armée de Terre
                     
     
      

SOMMAIRE Page
Le mot du Général de division BALERIN 3
Général de corps d’armée CUCHE
Activités récentes et à venir 7
Témoignages et points de vue 9
Relancer l’étude de l’histoire 11
Par le Colonel YAKOVLEFF
Pour que la citoyenneté française n’ait pas de frontière 21
Par le Président A.WATTIN
La France face au déclin des États-nations 25
Par M. le Professeur R TEBIB
La disparition de la NVA 29
Par le Président A.WATTIN
Articles d’intérêt général 31
Rapports sino-américains 33
Par le Général (2°s) EYRAUD
Les rapports stratégiques entre la Chine et la Russie 39
Par le Général (2°s) PARIS
La stratégie militaire américaine en Asie Pacifique 43
Le redéploiement des troupes américaines en Europe 45
L’organisation du commandement de le défense britannique 47
(Trois notes du CEREMS) EMSST 51
Ouverture de la séance de rentrée 53
Par le Colonel PESQUÉ
Cours inaugural sur les nanotechnologies 55
Par Monsieur le Professeur J.-P. DUPUY
Allocution du Général d’armée THORETTE, CEMAT 61
Voyage en Chine des stagiaires du mastère HEC 65
Par le Chef d’escadron HELLUY
ESORSEM 69
Adresse du Ministre de la défense à la promotion « Lt-Col P. FLANDRE » 71
CSEM 73
Présentation de la 119° promotion 75
La Bataille de Mareth (Tunisie) 16 – 26 mars 1943 77
Par le Colonel BEMELMANS
The 1st CAV in Vietnam 83
Par le Chef d’escadron D. CRUZILLE
Gardons le sourire Fiches aux Officiers d’Etat-Major 87
Texte fourni par le Colonel (H) DECLOQUEMENT Par le Général de corps d’armée SORRET
Mot du Général de division BALERIN
Commandant le CESAT
L ’année qui se termine a été cruciale pour le CESAT. Le collège devait en effet trouver son rythme et son âme comme toute nouvelle formation créée. C’est fait ! N’en tirez pas comme conclusion que 2006 sera l’année du rythme de croisière. Non ! 2006 sera l’année d’un dynamique « déséquilibre avant » et d’un engagement permanent. Engagement pour dispenser un enseignement toujours plus pertinent, engagement pour provoquer la réflexion et « rayonner l’armée de terre », engagement dans les travaux liés à l’évolution de l’enseignement militaire supérieur.
Le numéro des « cahiers » qui vous parvient est le numéro quatre. Je tiens à remercier l’équipe de conception pour sa qualité et le général CUCHE, inspecteur de l’armée de terre, pour avoir bien voulu en écrire l’éditorial. Les cahiers perdureront en 2006, mais sous une forme et avec un objectif qui évolueront..
L’équipe de rédaction vous en dira davantage dans le prochain numéro.
Alors que 2005 s’efface, je vous souhaite une année 2006 fructueuse, riche en satisfactions tant professionnelles que familiales.
Général de division J-P. BALERIN
L’hôte du trimestre:
le Général de corps d’Armée CUCHE,
Inspecteur de l’armée de terre.
« A mesure que s’étend le domaine de la guerre,
l’esprit de ceux qui la font doit s’élargir aussi. »
Maréchal Foch
Le Collège vient de fêter son premier anniversaire. Sous l’impulsion du CoFAT, le CESAT aura donc réussi, en peu de temps, à devenir la « maison-mère » des officiers brevetés, de la grande majorité des officiers diplômés « technique » et des ORSEM. Tous, d’active ou de réserve, auront, au cours de leur deuxième partie de carrière, à tenir des fonctions importantes. Il était donc essentiel de créer unité et cohérence dans leur formation au service d’une même finalité opérationnelle. Car les défis de demain sont clairement identifiés : continuité dans la formation des officiers, cohérence entre l’enseignement dispensé et les emplois tenus mais aussi sélection de cadres à haut potentiel.
Néanmoins, cette volonté d’unité et de cohérence ne portera pas tous ses fruits si elle s’arrête à la seule armée de terre. En effet, la recherche d’une synergie avec les écoles « sœurs » de l’armée de l’air, de la marine et de la gendarmerie serait une garantie d’efficacité interarmées. Au-delà du rapprochement des différentes scolarités qui se poursuit, le CESAT participe également depuis l’été 2004, au titre de son expertise, à une réflexion sur l’enseignement militaire supérieur (EMS). Ces études s’attachent à mieux adapter la formation au nouvel environnement, essentiellement interarmées. Aussi les réflexions en cours sur la rénovation de l’EMS ont pour objectif de garantir le niveau d’excellence des officiers de l’armée de terre, notamment ceux mis à la disposition des Armées. Les modalités précises de cette réforme prendront naturellement en compte les évolutions de l’enseignement militaire supérieur interarmées. Ainsi, après les derniers avis du Conseil de perfectionnement de l’EMS (CPEMSAT), les premières décisions pourraient être effectives dès l’été 2006. L’évolution de la formation des officiers brevetés s’avère donc nécessaire mais resterait inachevée sans une réflexion sur les postes qu’ils doivent tenir. Dans ce domaine également, le CESAT pourrait apporter sa contribution. En effet, la gestion des officiers brevetés est dès à présent délicate. L’armée de terre est confrontée à des demandes de plus en plus nombreuses de certains organismes internationaux, interministériels ou interarmées. Cette situation pourrait générer une double « fuite des cerveaux » de l’armée de terre : non seulement qualitative mais aussi quantitative avec un transfert important de brevetés considérés comme « haut potentiel » vers des postes extérieurs. Il ne faut pas craindre cette tendance mais l’encadrer. C’est pourquoi, il est, dès à présent, indispensable de respecter les principes de subsidiarité et de partager des compétences entre les Armées. De plus, seule une répartition harmonieuse des brevetés, du régiment à l’administration centrale, peut créer les conditions de l’efficacité.
Néanmoins, quelles que soient les évolutions de l’enseignement dispensé et la fonction occupée, l’officier breveté ou diplômé, d’active ou de réserve, cultivera toujours, durant sa scolarité au CESAT, les mêmes valeurs immuables : la curiosité intellectuelle et la réflexion, l’humilité et le courage de ses opinions, la clairvoyance et la volonté de convaincre.
Activités récentes et à venir
5: Colloque du CDEF « Armées; Faire campagne en ville » dans le cadre des rencontres « Retour d 'Expérience et Prospective », organisé en partenariat avec l’Association « Amicale de l’EMSST ».
6: Conférence de l'IGA J.P. Gillyboeuf « Un projet ambitieux : la nouvelle DGSIC en préparation » (organisée par l’ AAT en partenariat avec l’AEMSST)
6 et 7 : Séminaire de la conférence des grandes écoles à Toulouse
10-12: Voyage d'études .des stagiaires « mastère Armement » de l’EMSST, organisé par l’Association « Amicale de l’EMSST » (Colonel (H) Mouneyrat) dans la Région « Centre ».
17 : Conférence cycle ORSEM par le GCA de Saqui de Sannes.
19: Conférence de Monsieur Michel Godet « L'avenir à contre courant des idées reçues » (organisée par l’Association « Amicale de l’EMSST »).
7: - Visite du GDI Garrigou-Grandchamp, général adjoint du CoFAT.
- Conférence de Monsieur X Raufer « Contre qui se bat-on ? » (organisée par le Forum du Futur en partenariat avec l’AEMSST) .
- Début des épreuves orales d'admission au BT (jusqu’au 1° décembre).
8 et 9 : Réunion des commandants d'écoles au CoFAT.
10 : Dernier jour et départ du colonel Lagache, ancien Commandant de l’EMSST.
14 : - Conférence cycle ORSEM.
- Reconnaissance du futur voyage d’études du CSEM en Corée (jusqu’au 20)
17: Journée d’Actualisation des Connaissances « Droit » sur la fonction militaire aujourd’hui ».
21 : Stage BTEMG au CSEM (jusqu’au 25).
23 : Séminaire "enseignants-officiers" organisé par la commission « Armées-Jeunesse ».
24: - Conférence du Général J.L. PY « Le Corps Européen, son déploiement en Afghanistan et sa place dans l'Europe de la Défense », (organisée par l’Association « Amicale de l’EMSST »).
(et 25) Participation aux journées internationales de Saint-Cyr Coëtquidan.
28 : Visite de travail de la DPMAT.
5 : Conférence cycle ORSEM.
6 : Conférence de Madame Brugère-Picaux sur la « grippe aviaire » (organisée par l’ AAT en partenariat avec l’AEMSST).
7 : Séminaire de commandement du CESAT (jusqu’au 9).
23 : Fermeture administrative CESAT pour Noël et nouvel an (jusqu’au 2 janvier).
3 : Accueil des stagiaires alliés au CSEM.
5 : Début du stage de la 119° promotion du CSEM.
6 : Ouverture solennelle du stage CSEM par le Général Commandant le CoFAT.
9 : Oral du concours du CSEM (jusqu’au 6 février)
25 Assemblée Générale Ordinaire de l’Association « Amicale de l’EMSST ».
4 : Mission d’études du cours armement aux USA (jusqu’au 11).
2 Conférence de Monsieur E. Chiva sur les « enjeux de la simulation dans la gestion des crises » (Titre non définitif), (organisée par l’Association « Amicale de l’EMSST »).
TÉMOIGNAGES et POINTS de VUE

Pour une relance de l’histoire militaire
Un besoin négligé par l’institution LePar le Colonel YAKOVLEFF de l’EAABC.
Général d’Armée Shinseki, chef d’état-major de l’US Army, prenant son mandat en 2000, a diffusé sa « liste de lecture » (commander’s reading list). Il s’agit d’une recommandation bibliographique, articulée en quatre séries de dix ouvrages, chaque série étant orientée vers un auditoire spécifique (la troupe, les sous-officiers, les officiers, les commandeurs). Il s’agit là d’une pratique courante, et même doctrinale aux Etats-Unis : à chaque niveau de commandement, le chef se doit d’indiquer à ses subordonnés quelques livres dont il juge la lecture enrichissante. Bien évidemment, on y retrouve les « tubes éternels », dont l’inoxydable Clausewitz ; et parfois quelques perles étonnantes, dont notre Colonel Trinquier, qui a la stature, outre-Atlantique, de maître à penser de la guérilla0. Il n’y a aucun but prescriptif, au sens où chacun serait tenu de lire ces livres, c’est, très simplement, un encouragement. La façon dont le haut commandement s’investit ainsi directement dans la culture des subordonnés n’est pas unique aux Etats-Unis : c’est même une constante chez la plupart de nos alliés de l’OTAN. Cette petite anecdote est révélatrice d’une culture, et précisons-le bien, d’une culture militaire :
elle est fondée sur le travail personnel, sur le long terme, à base essentiellement de lecture ;
elle est considérée comme une responsabilité individuelle, que chacun doit assumer à sa façon, sans forcément avoir à en rendre compte. Simplement, l’éthique militaire veut que chacun développe ses capacités : c’est la parabole des talents appliquée à l’institution militaire ;
elle est centrée sur l’étude de l’histoire, avec une prédilection naturelle pour l’histoire militaire, mais avec un sens du détail, une richesse de production, qui laissent pantois l’observateur français.
Mon opinion est que l’institution militaire française souffre d’une grave carence dans ce domaine, mais qu’elle pourrait la corriger à peu de frais, sous réserve d’un effort de long terme soutenu fermement par le commandement. J’en veux pour preuve la qualité de la production des colonels (leur grade de l’époque) Francart et Desportes, témoignant de ce que peut faire l’institution militaire dès lors qu’elle s’en donne la peine. Les auteurs sont là, c’est le marché qui reste à créer, ou à relancer. Une véritable carence française
L’histoire militaire : un enseignement, ou une passion ?
Il est clair qu’une telle liste de lecture, en France, n’est pas dans les mœurs. A cet égard, comme en bien d’autres choses, on peut véritablement parler d’exception française : l’attitude qui consiste à cantonner la formation générale aux périodes scolaires rythmant la carrière militaire, et qui considère que le travail personnel est une affaire individuelle, dans laquelle l’institution n’a pas à s’immiscer, pas même au point de donner des conseils autres que très génériques (« faites quelque chose », « la culture c’est important »). La vérité des prix, c’est que la plupart de nos cadres aiment l’histoire militaire lorsqu’elle est au programme, mais ne considèrent pas qu’une fois sortis de l’école, c’est à eux de s’investir, personnellement. Par ailleurs - autre aspect de l’exception française - notre culture militaire a un fondement géographique : la géopolitique est sans doute la discipline la plus pratiquée par nos officiers, à tous les niveaux. Elle n’est pas sans avantages manifestes, d’ailleurs, notamment dans ce monde changeant et ambigu dont on nous rebat les oreilles. Il est reconnu que nos unités, et plus visiblement leurs officiers – car les contacts entre unités étrangères se font généralement par le biais des officiers, dont dépend largement l’opinion que « les autres » se font -, ne déméritent pas en opération, et qu’ils font preuve d’une sensibilité à l’environnement qui nous est généralement enviée. Il y a une question de fond : pourquoi étudie-t-on l’Histoire ? Dans notre culture nationale (pas seulement militaire), on étudie souvent l’Histoire pour le plaisir, ou pour alimenter son admiration pour le Grand Homme (Napoléon, par exemple). D’où une prédilection pour une histoire descriptive.
Les Anglo-Saxons, les Allemands, les Russes ont une approche opérative : on étudie l’Histoire pour en tirer des enseignements, pas pour admirer telle œuvre d’art. Evidemment, cela mène facilement à l’excès : l’Histoire livre de recettes, l’Histoire de détail. Toutefois, une telle approche est plus productive en terme de formation des cadres. Enfin, nos amis et alliés n’hésitent pas à fonder leur étude historique sur une théorie de l’Histoire. Le marxisme a fait long feu, certes. Au moins, il reste Clausewitz, Engels, Fukuyama… En revanche, accepter de s’impliquer dans la théorie permet d’élever le débat, d’encourager la confrontation d’idées, et en finale, d’atteindre un niveau de perception supérieur. La doctrine américaine vise explicitement la compréhension du phénomène guerrier.
En France, s’intéresser à la théorie passe pour une perte de temps ou un dangereux intellectualisme. Clausewitz est souvent un quolibet, pas un nom propre. Pourtant, des auteurs francophones (Aron, Bouthoul) ont une réputation mondiale et ont contribué de façon décisive à la théorie de la guerre. Sont-ils lus et étudiés à Coëtquidan ? Il reste qu’on est loin, en France, de la véritable pression sociale encourageant à lire, à travailler personnellement. Et on est loin de la richesse historiographique de nos alliés. L’idée générale est que la culture militaire, ou en tout cas l’histoire militaire, est un sujet qui s’enseigne (dans les organismes de formation) et non une passion qui s’entretient, à charge de l’individu.
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