Colloque de Strasbourg sur la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille « Aléas du changement de nom »
La doctrine, aujourd’hui, tend à voir dans le droit au nom un droit de la personnalité. On rapporte, par exemple, que le Professeur Léon Mazeaud, résistant et déporté à Buchenwald, reprend cette idée après 1945 en constatant, à la vue du tatouage portant son numéro de déporté sur son bras gauche, que, non, vraiment, le nom ne pouvait pas être une simple institution de police mais que, face à l’entreprise de déshumanisation dont il venait de faire la terrible expérience, son nom était une partie de lui-même, une partie de sa personnalité. Plus qu’un droit de la personnalité, le nom, à suivre les désidératas de certains, aurait vocation à devenir un droit librement disponible, dont la modification serait le simple résultat d’une manifestation de volonté. La question du changement de nom se pose avec une acuité d’autant plus grande que les bouleversements sociologiques dans les familles se multiplient. On peut constater une certaine demande de changements qui ne sont souvent pas liés à la filiation. Les aspirations à de tels changements sont légion : qui n’a jamais entendu parler de l’adulte qui regrette de ne pas porter en plus du nom de son père, le nom de sa mère qui n’est plus porté par personne ? Plus avant : de la fille voulant porter le nom de son beau-père qui finance ses études et son éducation depuis sa plus tendre enfance ? Le nom, qui serait révélateur de la filiation, tendrait à devenir de facto le reflet des bouleversements sociologiques des familles. Le droit doit-il alors admettre ces changements de nom au gré de considérations socio-affectives ? Cette question, qui appellera sûrement des réponses encouragées par les sentiments que peuvent faire naître de telles situations, doit quand même trouver sa réponse dans le rôle que doit avoir le nom dans notre société. Selon Madame Gobert, « on a cru que le nom devait régler un problème d'identification. La réalité est fondamentalement différente : le nom règle un problème d'identité, c'est-à-dire de rapport avec soi-même » (M. Gobert, « Rapport de synthèse », in La nouvelle loi sur le nom, p. 197). Il reste que ce n’est pas comme cela que le nom est conçu par le droit. Le nom est avant tout un élément d’identification de la personne. Donner suite aux demandes de tels changements ne portera-t-il pas une atteinte particulière à ce pouvoir identifiant du nom ?
L’enjeu de telles questions qui ne concerne qu’une partie du droit du nom, à savoir le changement de nom, n’en demeure pas moins crucial pour tout le droit du nom et ce qui le fonde, à savoir son pouvoir identifiant. Or, ce pouvoir identifiant ne peut se concrétiser que par une certaine immutabilité. Cela semble avoir été compris dès la fin de l’Ancien Régime quand des restrictions ont été apportées à la mutabilité très rependue de l’époque, mutabilité qui permettait notamment d’échapper à l’impôt. La réaction de la Révolution a été d’ouvrir à nouveau les possibilités de changement de nom avec le décret du 24 Brumaire an II mais la loi du 6 fructidor an II, encore en vigueur aujourd’hui, est revenue dessus en posant le principe de l’immutabilité du nom. Néanmoins, pour atteindre cet objectif d’immutabilité, il faut un critère d’attribution du nom, critère lui-même qui ne doit pas être instable. Or, le nom ayant toujours inscrit l’individu dans une famille, la filiation est apparue comme le critère naturel, de par sa stabilité. Il reste que c’est un critère parmi d’autres critères envisageables. Néanmoins, si on change, il faut trouver un critère plus pertinent. On ne peut pas admettre que ce soit la seule volonté. On n’a pas trouvé à ce jour de critère propre à concilier la nécessité du caractère identifiant du nom et la volonté d’adapter le nom au gré des évolutions des liens socio-affectifs. Il semble bien que la loi de 2002 ait préservé ce pouvoir identifiant du nom et que notre droit positif reste orienté sur cette voie. Si l’on regarde le domaine du changement du nom en effet, celui-ci est particulièrement restreint. Un large domaine du changement de nom a été évincé, comme il a été expliqué par Madame Lamarche et Monsieur Plazy, la loi de 2003 étant revenue sur la possibilité pour les majeurs d’adjoindre à son nom le nom du parent qui n’a pas été transmis et les dispositions transitoires permettant le changement de nom ayant pris fin. Il ne reste alors plus qu’un domaine résiduel du changement de nom. Mis à part les domaines classiques du changement de nom (noms ridicules, francisation), le changement de nom, tel que nous l’envisageons ici à l’aune du double nom, relève du cas exceptionnel et est particulièrement incertain. Reste seulement la déclaration conjointe de changement de nom en cas d’établissement différée de la filiation (I.) et l’application de l’article 61 du Code civil réservée à des cas très particuliers (II.) I. La déclaration conjointe de changement de nom en cas d’établissement différée de la filiation Le champ d'application de la règle de l'article 311-21 mis en place par la loi de 2002 a été élargi par la loi du 18 juin 2003 : initialement, la liberté de choix ne concernait que les enfants nés de parents mariés ou non ayant été simultanément reconnus par leur père et mère ainsi que les enfants légitimés par mariage ou par autorité de justice et les enfants adoptés par deux conjoints. L'article 2 de la loi du 18 juin 2003 modifiant l'article 311-21, la faculté de choix sera aussi ouverte aux parents de l'enfant dont la filiation aura été établie successivement à leur égard. Lors de l’établissement du second lien de filiation de l’enfant, puis pendant sa minorité, ses parents peuvent ainsi souscrire pendant la minorité de l’enfant une déclaration conjointe de changement de nom devant l’officier de l’état civil du lieu où demeure l’enfant et ainsi choisir soit de lui substituer le nom de famille du parent à l’égard duquel sa filiation a été établie dans un deuxième temps, soit de lui attribuer le nom de famille de ses deux parents accolés dans l’ordre choisi par eux (C. civ., art. 311-23, al. 2). Un aléa subsiste alors, celui de l’impossibilité pour l’un des parents qui est hors d’état de manifester sa volonté, de participer à cette déclaration. De même pour l’articulation avec la reconnaissance prénatale du père, rien n’est prévu. Notons que la déclaration conjointe de changement de nom n’est recevable que s’il a pour effet de donner à l’enfant le même nom que celui de l’enfant aîné (C. civ., art. 311-23 in fine). II. L’application de l’article 61 du Code civil Selon l’article 61 du Code civil qui prévoit le changement de nom par décret, « Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom ». La notion d’ « intérêt légitime » étant particulièrement vague, et un seul exemple étant donné par l’article (celui consistant à éviter l’extinction du nom porté par un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré), cette notion est laissée à l’appréciation du garde des sceaux, dont la décision est susceptible de recours devant le Conseil d’Etat, la procédure de changement de nom étant une procédure administrative. C’est au travers des recours que l’on peut voir comment l’intérêt légitime est apprécié par le Ministre. Pour résumer, les demandes de changement de nom sont accueillies lorsque le nom est ridicule, grossier ou ridiculement célèbre, lorsqu’il a une connotation étrangère ou gênante, ou encore lorsque la personne demande la transformation d’un pseudonyme l’identifiant clairement en nom de famille. La lecture de la jurisprudence du Conseil d’Etat permet d’affirmer que les demandes se fondant sur d’autres considérations n’aboutiront pas. Dans la jurisprudence la plus récente, on a trois types de décisions : des décisions qui carrément refusent, des décisions qui pourraient admettre avec une possession d’état prolongée, et des décisions qui admettent un changement de nom dans des cas extrêmes, tels que le viol de l’enfant par un parent. On ne peut donc pas dire qu’est admis ce changement de nom pour des raisons socio-affectives.
Le débat ne peut pourtant pas être clos ici, les conceptions s’opposant à cette position restrictive étant particulièrement présentes. Le ministre de la Justice, à l’occasion d’une réponse ministérielle (JO Sénat du 12/02/2009 - page 392) s’était montré très libéral en considérant que dans le cas d’un abandon du père n’ayant plus donné de signe de vie, il était possible pour la mère de demander le changement de nom de son enfant mineur sur le fondement de l'article 61 du code civil en justifiant sa demande par des éléments probants le désintérêt du père à son égard. Cette libéralisation n’est pourtant pas la voie choisie par le juge, ni par le législateur. En effet, avec la loi de 2002, nous sommes restés sur un système d’immutabilité et on ne peut pas dire que les juges soient revenus sur ce système. Il est pourtant vrai que se diriger vers une liberté de détermination du nom serait la seule solution capable de répondre à la diversité des envies. La liberté de détermination du nom conférée par le droit de common law (dans lequel le mineur comme l'adulte peut changer de nom pour adopter celui qui lui plaît, sans aucune formalité) permet d’aboutir à un tel résultat. Mais le danger est conséquent. S’il n’est plus possible d’identifier la personne par son nom, s’il n’est plus possible pour les tiers de suivre les traces de la personne par son nom, est-il opportun de donner suite aux désirs personnels des individus ? Ce ne serait acceptable que via une procédure de publicité particulièrement efficace, destinée à avertir les personnes pouvant avoir des intérêts divergents du fait du changement de nom et leur octroyer une faculté d'opposition, est mise en place. Le retour à un système tel que celui du décret du 24 Brumaire an II, qui permettait le changement de nom par simple déclaration à la mairie, doit être écarté selon nous, d’autant plus que ce ne sont pas les seules considérations d’ordre sociologiques qui pourraient encourager de telles changements, la fraude permettant d’échapper aux créanciers étant aussi une motivation de changement non négligeable. Mais, en dernier lieu, et en dépit de tout, il peut être décidé de tout libéraliser et faire perdre sciemment au nom son pouvoir identifiant. Mais il ne faut pas s’y méprendre : d’autres moyens seront trouvés pour identifier les personnes (ADN, biométrie), et il n’est pas sûr que la liberté gagnée d’un côté ne soit pas au prix d’atteintes plus graves à la vie privée… |