RFDA
RFDA 2006 p.1219
| Les lois du service public : entre tradition et modernité Virginie Donier, Maître de conférences à l'Université de Franche-Comté ; Membre du Centre de recherche juridique de l'Université de Franche-Comté
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L'essentiel
A la trilogie dégagée par Louis Rolland s'ajoutent aujourd'hui de nouveaux principes, parmi lesquels figurent notamment la neutralité, la transparence, l'accessibilité, la participation ou encore la qualité. Cela incite à s'interroger sur l'émergence de nouvelles lois du service public : le triptyque établi par Louis Rolland est-il aujourd'hui insuffisant ? Si ces principes nouveaux constituent le plus souvent de simples règles de bonne gestion, ils exercent une influence sur les lois du service public.
| Les lois du service public désignent l'ensemble des principes fondamentaux applicables à tous les services publics, indépendamment de leur caractère administratif ou industriel et commercial, et indépendamment de leur mode de gestion. Il s'agit d'un socle commun à tous les services publics, censé guider et encadrer leur fonctionnement dans l'intérêt des usagers (1). Ces principes, généralement désignés sous le vocable de « lois du service public », ont été dégagés par Louis Rolland au début du XXe siècle avant d'être ensuite repris par la doctrine, puis par la législation.
Au premier rang de la trilogie élaborée par Louis Rolland, figure le principe de continuité qui suppose que tous les services publics « doivent fonctionner sans heurts, sans à-coups, sans arrêts » (2). La continuité implique la régularité du service, et dans certaines hypothèses, la permanence : tel est notamment le cas lorsque le service permet d'assurer l'ordre public comme la police, ou lorsqu'il vise à satisfaire des besoins vitaux, comme les services de secours. Quant aux services publics ne répondant pas à ces impératifs, le principe de continuité a vocation à s'appliquer dans le cadre des horaires d'ouverture. Mais dans tous les cas, les usagers ont droit au fonctionnement normal du service (3).
A ce principe de continuité, il faut également ajouter le principe d'adaptation ou de mutabilité, que Louis Rolland qualifiait de « loi de changement ». Certains auteurs privilégient quant à eux les termes d' « adaptation constante du service », soulignant par là même la nécessité de le faire évoluer en fonction des changements qui affectent l'intérêt général (4). Ce principe suppose que les usagers n'ont pas de droit acquis au maintien du service : celui-ci peut être supprimé (5), sous réserve qu'il ne s'agisse pas d'un service public constitutionnel. Enfin, la trilogie élaborée par Louis Rolland inclut le principe d'égalité devant le service public, qui régit tant l'accès que le fonctionnement du service. Ce principe prohibe les distinctions fondées sur l'origine, la race ou la religion des usagers. Par ailleurs, le principe d'égalité suppose que deux usagers placés dans une situation identique puissent revendiquer un traitement identique, ce qui ne s'oppose pas à l'établissement de catégories fondées sur l'existence d'une différence de situation objective ou sur une nécessité d'intérêt général en rapport avec l'objet du service (6). Ainsi, le principe d'égalité n'interdit pas à l'administration d'établir des différences de traitement entre les usagers d'un même service public, dès lors que ces distinctions sont justifiées.
Au-delà des lois du service public mises en lumière par Louis Rolland, de nouveaux principes régissant le fonctionnement des services semblent avoir émergé sous l'influence du droit communautaire et à la suite de l'évolution des pratiques administratives. En effet, la mise en oeuvre d'une politique de modernisation de l'administration et des services publics a contribué à faire apparaître de nouvelles règles de fonctionnement, ce qui conduit à s'interroger sur le point de savoir si ces nouveaux principes constituent autant de nouvelles lois du service public. En d'autres termes, le triptyque dégagé par Louis Rolland serait-il aujourd'hui insuffisant pour définir le droit commun des services publics ?
Afin de rénover l'action administrative, la circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public (7) n'hésite pas à définir un programme d'action reposant sur la transparence et la simplification de l'action administrative, ainsi que sur l'amélioration de la productivité des services publics.
La charte des services publics adoptée le 18 mars 1992 se réfère, quant à elle, à de nouveaux « principes d'action du service public », aux côtés des « principes fondamentaux » (8). Parmi ces « principes d'action », le texte mentionne la transparence et la responsabilité, la simplicité et l'accessibilité.
Par la suite, la circulaire du 26 juillet 1995 est venue compléter cette liste (9) : ce texte estime qu'il faut donner corps à de nouveaux principes au nombre desquels figurent la qualité, l'accessibilité, la simplicité, la rapidité, la transparence, la médiation, la participation et la responsabilité. Plus récemment, la circulaire du 2 mars 2004 a permis l'élaboration d'une charte de l'accueil des usagers afin d'assurer le respect des principes de transparence et d'accessibilité, et afin de promouvoir un accueil de qualité (10). Le Premier ministre a également annoncé l'élaboration d'une nouvelle charte dans le courant de l'année 2006 visant à rappeler les lois du service public (11).
Ce foisonnement de nouveaux principes tend à « complexifier » le droit commun des services publics puisque de nouvelles règles s'imposent désormais au côté des principes fondamentaux.
Mais peu d'auteurs considèrent que ces nouvelles règles constituent toutes de véritables lois du service public ; la classification adoptée dans les différents ouvrages distingue généralement les principes fondamentaux et les nouvelles règles de fonctionnement. Stéphane Braconnier établit ainsi une distinction entre les « lois réelles » du service public et les « principes virtuels » qu'il qualifie « d'exigences a-juridiques » (12). Pierre-Laurent Frier estime, quant à lui, que les nouveaux principes ne peuvent être élevés au rang de loi du service public, il s'agit simplement de « règles de bonne gestion » (13). A cet égard, il faut d'ailleurs rappeler que la charte des services publics du 18 mars 1992 n'associait pas expressément ces nouvelles règles aux principes traditionnels puisqu'elle établissait une distinction entre les « principes fondamentaux » et les « principes d'action ». De manière générale, la doctrine apparaît rétive face à l'émergence et à la consécration de nouvelles lois du service public, même si certains auteurs n'hésitent cependant pas à admettre l'apparition de nouveaux principes fondamentaux (14).
Face à ces hésitations et aux divergences doctrinales, la question de l'apparition de nouvelles lois du service public mérite d'être posée ; mais pour tenter d'y répondre, il faut, au préalable, définir la notion de loi du service public, afin d'établir un cadre de référence permettant d'analyser ces nouveaux principes. En d'autres termes, quels sont les critères communs aux principes fondamentaux, critères auxquels doivent satisfaire les nouvelles règles de fonctionnement pour appartenir aux lois du service public ?
Ces lois se caractérisent de prime abord par leur généralité dans la mesure où elles ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des services publics, ce qui ne signifie pas, pour autant, qu'elles s'appliquent avec la même intensité à toutes les activités (15). En outre, il s'agit de principes généraux du droit, ce qui leur confère une valeur et donc une force juridiques. Le principe de continuité a été élevé au rang de principe « fondamental » dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 13 juin 1980, Mme Bonjean, et il a valeur constitutionnelle (16). Le principe d'égalité revêt lui aussi une double qualification juridique au regard de la jurisprudence administrative (17) et constitutionnelle (18). Quant à la valeur juridique du principe d'adaptation, certains auteurs lui dénient toute qualification de principe général du droit (19), mais en raison des conséquences attachées à ce principe à l'égard des agents du service, des usagers et des cocontractants de l'administration, il semble constituer lui aussi un principe général du droit (20). En revanche, à la différence des principes d'égalité et de continuité, il n'a pas fait l'objet d'une consécration constitutionnelle.
A l'aune de ces différents critères, il sera possible d'élaborer une classification des principes émergents : si certains semblent devoir être érigés au rang de loi du service public, d'autres sont en revanche des lois en devenir. En outre, une troisième catégorie peut être mise en lumière, regroupant l'ensemble des nouvelles règles de fonctionnement qui sont a priori exclues des lois du service public puisqu'il s'agit de principes inconsistants.
Cependant, cette évolution ne remet pas en cause la trilogie dégagée par Louis Rolland ; les nouveaux principes viennent en effet s'ajouter aux lois traditionnelles qui n'ont pas perdu de leur acuité, même si leur signification a évolué avec l'émergence de nouvelles règles de fonctionnement. Toutefois, le maintien théorique de la trilogie s'est accompagné d'une application diversifiée de ces principes ; cela invite à s'interroger sur la pérennité du droit commun des services publics.
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