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« Entre l’être vivant et son milieu, le rapport s’établit comme un débat. » G. Canguilhem PEUT-ON VOULOIR SUPPRIMER LE HANDICAP ? HANDICAP ET CITOYENNETE DOSSIER POLLENS Préparé par Hélène Harder et Florent Buisson. Séances du 26/11 et 03/12. « Je suis handicapé. Démarche chaloupée, voix hésitante ; jusque dans mes gestes les plus infimes, mouvements abrupts de chef-d’orchestre drôle et sans rythme : voilà le portrait de l’infirme. Dans cette quête, l’expérience de la marginalité peut ouvrir une singulière porte sur notre condition. Partir à la rencontre du faible pour forger un état d’esprit capable d’assumer la totalité de l’existence, telle est l’intuition fondamentale et hasardeuse de ce périple. » Alexandre Jollien, Le métier d’homme. « Le vivant et le milieu ne sont pas normaux pris séparément, mais c’est leur relation qui les rend tels l’un et l’autre. Le milieu est normal pour une forme vivante donnée dans la mesure où il lui permet une telle fécondité, et corrélativement, une telle variété de formes, que, le cas échéant de modifications du milieu, la vie puisse trouver dans l’une et l’autre de ces formes la solution au problème d’adaptation qu’elle est brutalement sommée de résoudre. Un vivant est normal dans un milieu donné pour autant qu’il est la solution morphologique et fonctionnelle trouvée par la vie pour répondre à toutes les exigences du milieu. Relativement à toutes autres formes dont il s’écarte, ce vivant est normal, même s’il est relativement rare, du fait qu’il est, par rapport à elle, normatif, c’est-à-dire qu’il la dévalorise avant de l’éliminer. » Canguilhem, Le normal et le pathologique. MISE EN PERSPECTIVE : « La représentation que l’on se fait du mal, est toujours plus terrible que le mal lui-même. » Sénèque. Avant même de commencer, nous voudrions vous soumettre une question qui ne nous a pas lâchés durant la préparation de ce séminaire : de qui ou de quoi allons-nous parler ? Du « handicap », des « personnes handicapées », de « personnes en situation de handicap» ? Le terme, si commode et pourtant si trompeur, ne recouvre-t-il pas des réalités trop multiples, diverses, voire contradictoires pour soutenir une approche d’ensemble ? Quoi de commun entre un jeune homme trisomique de trente ans, une jeune femme paraplégique à la suite d’un accident de voiture et un père de famille handicapé moteur cérébral ? Sans parler du handicap qui ne se voit pas, les séquelles cognitives d’un traumatisme crânien lourd par exemple, qui peuvent tout aussi bien empêcher quelqu'un de mener une vie « normale ». Faut-il d’autre part, différencier le handicap acquis du handicap inné ? Et à quoi aboutirait cette distinction ? A réfléchir ainsi, on s’aperçoit vite que le handicap recouvre toutes les situations possibles (mais non pas encore et malheureusement, imaginables) et fait se réfracter sous l’illusion d’un seul terme les singularités infinies de toute vie humaine. Derrière le mot, ne l’oublions pas, ce sont des vies, des choix, des visages, des souffrances, mais aussi bien souvent des joies, tout ce qui rend l’existence humaine quelle qu’elle soit, irréductible à aucune définition ni à aucun déterminisme. Refuser de voir le mal revient souvent à croire que certains seraient voués au malheur ; inversement qui s’attaque au mal, s’aperçoit avec stupeur, que le bonheur n’est pas un état mais une histoire, non pas une donnée mais une conquête, non un privilège de groupe mais une victoire individuelle… Qu’on nous comprenne donc bien : nous ne serons pas amenés à définir une catégorie, soi-disant spécifique, de personnes, mais à décrire des situations, à tenter d’analyser les schémas politiques et socio-culturels qui les produisent et à exposer les solutions politiques visant à les améliorer. D’un point de vue philosophique, cela signifie que nous refusons la confusion entre l’accident et la substance : être handicapé n’est pas une essence, même si cela reste dans nos sociétés une destinée. Le langage fait cependant une différence, (on dit « être handicapé » ou « avoir un handicap »), qui nous oblige à affiner un peu. Il est en effet des handicaps dont on peut supprimer les causes1, sans supprimer la personne, et d’autres, où l’un n’irait pas sans l’autre.2 Par ailleurs, certaines déficiences peuvent créer un rapport au monde vécu comme « essentiel » et irremplaçable : la surdité par exemple, surtout si elle est de naissance, peut ne pas être vécue sur le mode du manque, mais sur celui du « autrement ». Difficile aussi pour celui dont les conditions de vie ont basculé du jour au lendemain, d’affirmer que l’événement ne résume pas soudain l’essentiel3. Où passe dès lors la frontière ? Le poète Joe Bousquet, tétraplégique après avoir été blessé au combat, résume cette difficulté dans une formule saisissante : « Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner. » Cette ombre projetée comme une fatalité, pourrait expliquer, mais non justifier, que l’on ait mis si longtemps à envisager le handicap d’un point de vue social et politique. En conséquence, l’appartenance à la communauté des « personnes handicapées » se constitue sur un fragile équilibre, une tension unique et forte qui innerve de manière très différente, les engagements de chacun (il ne peut y avoir de perception unique du handicap, toute la question étant de réussir à mener néanmoins, une action politique unique) : tension entre la revendication du droit à la différence4 et le désir d’être considéré « comme un semblable », l’appel à l’autre sans le regard duquel nul n’existe et le refus de sa pitié qui au contraire annule la dignité de cette existence, la nécessité de point minimiser la souffrance ni de la voir valorisée5 et la célébration exigeante de la vie et des ressources infinies de l’homme6 , l’espoir que tout soit mis en œuvre pour supprimer le handicap et le risque de renforcer par-là même le diktat de la norme, avec le risque d’avoir un jour à se justifier d’exister… ou encore une volonté politique d’intégration dans la vie de la cité et un certain sentiment de fierté identitaire7. Tension certes, mais qu’il faut se garder d’interpréter comme contradiction : elle est en réalité la dynamique propre de l’action, une source de résistance fragile mais inventive qui nous pousse à interroger, refonder et adapter notre idée du vivre ensemble. Ce sont les habitudes de pensée qui génèrent la contradiction dans le champ du politique. Ainsi, bien que la nécessité d’une cohésion entre les différentes associations et groupements se fassent de plus en plus sentir, le « monde du handicap » est traversé de dissensions, sensibilités et querelles d’intérêt très diverses : nous ne prétendons pas en donner un éclairage exhaustif. Pris dans une perspective politique et sociale, le terme de « handicap » recouvre bien une réalité qui peut faire l’objet d’un discours autre que médical : celui-ci ne peut bien sûr se prétendre unique et essaiera d’être le moins caricatural possible. Nous traiterons donc du handicap en tant que condition ou situation donnée à vivre à un grand nombre d’entre nous : plus de 5 millions de personnes se déclarent handicapées en France, 2,3 millions perçoivent une allocation8 ! Le nombre de personnes handicapées dans toute l’Europe s’élèvent à plus de 50 millions… Définition : Commençons par clarifier nos habitudes de langage en donnant une définition précise du handicap. Il en est une sur laquelle tomber d’accord, qui apparut pour la première fois dans La classification internationale des handicaps élaborée par le britannique Philip Wood, en 1980 ; et elle fut bientôt reprise et affinée par l’ONU : « Le handicap est fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels et sociaux qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside dans la perte et la limitation des possibilités de participer, sur un pied d’égalité avec les autres individus, à la vie de la communauté. » Rappelons l’idée essentielle de Canguilhem : la norme n’est jamais biologique, mais est produite par le rapport d’un vivant à son milieu. Ainsi « le milieu est normal du fait que l’individu y déploie mieux sa vie, y maintient sa propre norme. » Il nous amène donc à distinguer la norme dite « naturelle » qui n’est en fait que la capacité infinie et autonome d’adaptation du vivant, de la norme socialement instituée qui est toujours normative. La question est donc de savoir si le champ politique est le règne de la norme silencieuse ou celui de la loi, celui du droit ou celui du nombre. Cette définition marque la prise de conscience progressive de l’importance des facteurs sociaux et politiques dans la réalité effective du handicap. Ce n’est donc pas un hasard si la première grande loi française sur le handicap, dont la réforme est actuellement débattue, est adoptée dans les mêmes années, en 1975. Elle va permettre de donner enfin une expression politique aux combats que les associations avaient jusque là mené dans l’ombre. Elle pose les distinctions décisives qui seront la matrice de toutes les nouvelles mesures:
Dés lors, il faut différencier ce qui est définitif (la déficience), du moins en l’état actuel de la science, de ce qui peut être atténué ou supprimé : les améliorations techniques peuvent annuler une incapacité (de l’écriture en braille au fauteuil roulant en passant par le synthétiseur vocal9), de même que l’aménagement du milieu de vie, qui passe aussi bien par l’adaptation de l’espace que par le changement des mentalités, pourrait supprimer le handicap. Gardons-nous cependant de tomber dans l’extrême inverse en niant que le handicap reste une souffrance psychique et physiologique, que la simple prise en charge sociale ne suffit à effacer. Nous partirons en tout cas de cette définition pour mener notre réflexion. Un discours objectif mais engagé : Il nous reste encore à dévoiler nos choix et nos buts : Notre intuition (une réflexion politique sur le handicap ne peut à notre sens faire l’économie d’un questionnement individuel plus large) est que la situation des personnes handicapées, du fait de sa marginalité exigeante, est le fondement de notre propre condition et nous pousse à interroger, à travers nos peurs et nos certitudes, l’accueil et la place que nous réservons dans nos sociétés, à l’altérité de notre semblable, ce qui veut dire aussi à notre altérité : c’est elle qui délimite l’identité singulière et par-là fragile de chacun, qui ne peut se construire qu’en dehors des normes et des obligations de la « reproduction10 ». Comme l’écrit J. Kristeva, « la différence d’autrui est non seulement reconnue et respectée, mais nous la recevons comme un appel à la reconnaître en nous-mêmes. C’est ainsi que la reconnaissance de notre commune ressemblance avec les handicapés, au-delà des déficits et des désavantages, mais avec eux, tisse ce lien d’amitié et de solidarité qui définit la dignité humaine11. » Il faudrait donc réfléchir à ce que nous mettons derrière le principe de solidarité, qui oriente la législation actuelle sur le handicap : solidaires par peur que ça n’arrive pas qu’aux autres ? Mais dans ce cas, la solidarité sera cotée, comme les sociétés d’assurance en bourse, suivant l’efficacité de la prévention (accidents du travail, de la route, ménagers…) et du dépistage à la naissance. Et puis, si, d’une certaine manière, ça n’arrive qu’à l’autre ! Rassurons-nous, personne n’a l’intention de faire du prosélytisme dans ce domaine !…Solidaires par générosité imposée ? Les calculs de M. Raffarin, qui prévoient la suppression d’un jour de congé pour financer des mesures sociales essentielles à la simple survie de certaines personnes, rappellent étrangement cette savante organisation de la « charité » dont l’église s’est pendant longtemps chargée et qui justifiait le maintien d’une partie de la population dans un état de non-droit. Malheureusement, rares sont ceux qui croient encore au paradis. Solidaires par principe ? Comme on est anti-raciste ? Par respect du droit à la différence ? Ou encore, solidaires par reconnaissance des limites de l’individu et de sa finitude, qui appellent le regard et le visage de l’autre ? Solidarité nourrie aux sources de la pensée grecque, teintée d’humanisme dépassé ? Très loin en tout cas, reconnaissons-le, de nos pratiques sociales habituelles et de nos aspirations à l’épanouissement individuel, qui sont aussi, le fruit de progrès sociaux et politiques. A chacun de vous de répondre. Le choix du point de vue : Ceci posé, il nous est apparu évident que nous ne saurions traiter le handicap sous toutes ses facettes, et notamment dans toute sa dimension humaine, sans partir d’un point de départ précis. C’est assez naturellement que nous avons choisi de confronter la notion de citoyenneté à celle de handicap, étant donné les buts et les principes de Pollens. D’autres raisons plus profondes ont émergé peu après :
Ainsi, réfléchir aux enjeux et défis politiques que pose le handicap, amène à éclairer, de manière plus vitale et urgente sûrement, des questions qui nous nous concernent tous, et que nous avons pour certaines d’ailleurs, déjà traitées à Pollens :
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