Loi sur le travail des enfants et des filles mineures dans l'industrie (1874)
Présentation par Christian Chevandier
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L'indispensable
La loi du 19 mai 1874 " sur le travail des enfants et filles mineures dans l'industrie " fut votée au début de la IIIe République. Elle interdisait ou limitait leur emploi dans certaines conditions, mais comportait aussi des mesures de prévention sanitaire. Son application ne fut pas satisfaisante et a nécessité le vote d'un nouveau texte moins de vingt ans plus tard.
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Le document
SECTION 1ère - Age d'admission. Durée du travail
Art. 1 - Les enfants et filles mineures ne peuvent être employés à un travail industriel, dans les manufactures, fabriques, usines, mines, chantiers et ateliers, que sous les conditions déterminées dans la présente loi.
Art. 2 - Les enfants ne pourront être employés par des patrons ni être admis dans les manufactures, usines, ateliers ou chantiers avant l'âge de douze ans révolus. Ils pourront être toutefois employés à l'âge de dix ans révolus dans les industries spécialement déterminées par un règlement d'administration publique rendu sur l'avis conforme de la commission supérieure ci-dessous instituée.
Art. 3 - Les enfants, jusqu'à l'âge de douze ans révolus, ne pourront être assujettis à une durée de travail de plus de six heures par jour, divisées par des repos. À partir de douze ans, ils ne pourront être employés plus de douze heures par jour, divisées par des repos.
SECTION II- Travail de nuit, des dimanches et jours fériés
Art. 4 - Les enfants ne pourront être employés à aucun travail de nuit jusqu'à l'âge de seize ans révolus. La même interdiction est appliquée à l'emploi des filles mineures de seize à vingt et un ans mais seulement dans les usines et manufactures. Tout travail entre neuf heures du soir et cinq heures du matin est considéré comme travail de nuit. Toutefois, en cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle et de force majeure, I'interdiction ci-dessus pourra être temporairement levée, et pour un délai déterminé, par la commission locale ou l'inspecteur ci-dessous institués, sans que l'on puisse employer au travail de nuit des enfants de moins de douze ans. Art. 5 - Les enfants âgés de moins de seize ans et les filles âgées de moins de vingt et un ans ne pourront être employés à aucun travail, par leurs patrons, les dimanches et fêtes reconnues par la loi, même pour rangement de l'atelier.
Art. 6 - Néanmoins dans les usines à feu continu, les enfants pourront être employés la nuit ou les dimanches et jours fériés aux travaux indispensables. Les travaux tolérés et le laps de temps pendant lequel ils devront être exécutés seront déterminés par des règlements d'administration publique. Ces travaux ne seront, dans aucun cas, autorisés que pour des enfants âgés de douze ans au moins. On devra, en outre, leur assurer le temps et la liberté nécessaires pour l'accomplissement des devoirs religieux.
SECTION III- Travaux souterrains
Art. 7 - Aucun enfant ne peut être admis dans les travaux souterrains des mines, minières et carrières avant l'âge de douze ans révolus. Les filles et femmes ne peuvent être admises dans ces travaux. Les conditions spéciales du travail des enfants de douze à seize ans dans les galeries souterraines, seront déterminées par des règlements d'administration publique.
SECTION IV- Instruction primaire
Art. 8 - Nul enfant, ayant moins de douze ans révolus, ne peut être employé par un patron qu'autant que ses parents ou tuteurs justifient qu'il fréquente actuellement une école publique ou privée. Tout enfant admis avant douze ans dans un atelier devra, jusqu'à cet âge, suivre les classes d'une école pendant le temps libre du travail. Il devra recevoir l'instruction pendant deux heures au moins, si une école spéciale est attachée à l'établissement industriel. La fréquentation de l'école sera constatée au moyen d'une feuille de présence dressée par l'instituteur et remise chaque semaine au patron. Art. 9 - Aucun enfant ne pourra, avant l'âge de quinze ans accomplis, être admis à travailler plus de six heures chaque jour, s'il ne justifie, par la production d'un certificat de l'instituteur et de l'inspecteur primaire, visé par le maire, qu'il a acquis l'instruction primaire élémentaire. Ce certificat sera délivré sur papier libre et gratuitement.
SECTION V- Surveillance des enfants - Police des ateliers
Art. 10 - Les maires sont tenus de délivrer aux père, mère ou tuteur un livret sur lequel sont portés les nom et prénoms de l'enfant, la date et le lieu de sa naissance, son domicile, le temps pendant lequel il a suivi l'école. Les chefs d'industrie ou patrons inscriront sur le livret la date de l'entrée dans l'atelier ou établissement, et celle de la sortie. Il devront également tenir un registre sur lequel seront mentionnées toutes les indications insérées au présent article.
Art. 11 - Les patrons ou chefs d'industrie seront tenus de faire afficher dans chaque atelier les dispositions de la présente loi et les règlements d'administration publique relatifs à son exécution.
Art. 12 - Des règlements d'administration publique détermineront les différents genres de travaux présentant des causes de danger ou excédant leurs forces, qui seront interdits aux enfants dans les ateliers où ils seront admis.
Art. 13 - Les enfants ne pourront être employés dans les fabriques et ateliers indiqués au tableau officiel des établissements insalubres ou dangereux, que sous les conditions spéciales déterminées par un règlement d'administration publique. Cette interdiction sera également appliquée à toutes les opérations où l'ouvrier est exposé à des manipulations ou à des émanations préjudiciables à la santé. En attentant la publication de ce règlement, il est interdit d'employer les enfants âgés de moins de seize ans : 1° Dans les ateliers où l'on manipule des matières explosibles et dans ceux où l'on fabrique des mélanges détonants, tels que poudre, fulminantes, etc., ou tous autres éclatant par le choc ou par le contact d'un corps enflammé. 2° Dans les ateliers destinés à la préparation, à la distillation ou à la manipulation de substances corrosives, vénéneuses et de celles qui dégagent des gaz délétères ou explosibles. La même interdiction s'applique aux travaux dangereux, ou malsains, tels que : l'aiguisage ou le polissage à sec des objets en métal et des verres ou cristaux ; le battage ou le grattage à sec des plombs carbonatés, dans les fabriques de céruse ; le grattage à sec d'émaux à base d'oxyde de plomb dans les fabriques de verres dits de mousseline ; l'étamage au mercure des glaces ; la dorure au mercure
.Art. 14 - Les ateliers doivent être tenus dans un état constant de propreté et convenablement ventilés. Ils doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la santé des enfants. Dans les usines à moteurs mécaniques, les roues, les courroies, les engrenages ou tout autre appareil, dans le cas où il aura été constaté qu'ils présentent une cause de danger, seront séparés des ouvriers de telle manière que l'approche n'en soit possible que pour les besoins du service. Les puits, trappes et ouvertures de descente doivent être clôturés. Art. 15 - Les patrons ou chefs d'établissement doivent, en outre, veiller au maintien des bonnes mœurs et à l'observation de la décence publique dans leurs ateliers.
SECTION Vl - Inspection
Art. 16 - Pour assurer l'exécution de la présente loi, il sera nommé quinze inspecteurs divisionnaires. La nomination des inspecteurs sera faite par le gouvernement, sur une liste de présentation dressée par la commission supérieure ci-dessous instituée, et portant trois candidats pour chaque emploi disponible. Ces inspecteurs seront rétribués par l'Etat. Chaque inspecteur divisionnaire résidera et exercera sa surveillance dans l'une des quinze circonscriptions territoriales déterminées par un règlement d'administration publique.
Art. 17 - Seront admissibles aux fonctions d'inspecteur les candidats qui justifieront du titre d'ingénieur de l'Etat ou d'un diplôme d'ingénieur civil, ainsi que les élèves diplômés de l'école centrale des arts et manufactures et des écoles des mines. Seront également admissibles ceux qui auront déjà rempli, pendant trois ans au moins, les fonctions d'inspecteur du travail des enfants ou qui justifieront avoir dirigé ou surveillé pendant cinq années des établissements industriels occupant cent ouvriers au moins.
Art. 18 - Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements manufacturiers, ateliers et chantiers. Ils visitent les enfants ; ils peuvent se faire représenter le registre prescrit par l'art. 10, les livrets, les feuilles de présence aux écoles, les règlements intérieurs. Les contraventions seront constatées par les procès-verbaux des inspecteurs, qui feront foi jusqu'à preuve contraire. Lorsqu'il s'agira de travaux souterrains, les contraventions seront constatées concurremment par les inspecteurs ou par les gardes-mines. Les procès-verbaux seront dressés en double exemplaire, dont l'un sera envoyé au préfet du département et l'autre déposé au parquet. Toutefois, lorsque les inspecteurs auront reconnu qu'il existe, dans un établissement ou atelier, une cause de danger ou d'insalubrité, ils prendront l'avis de la commission locale ci-dessous instituée, sur l'état de danger ou d'insalubrité, et ils contresigneront cet avis dans un procès-verbal. Les dispositions ci-dessus ne dérogent point aux règles du droit commun quant à la constatation et à la poursuite des infractions commises à la présente loi.
Art. 19 - Les inspecteurs devront chaque année adresser des rapports à la commission supérieure ci-dessous instituée.
SECTION Vll - Commissions locales
Art. 20 - Il sera institué dans chaque département des commissions locales, dont les fonctions seront gratuites, chargées : 1° de veiller l'exécution de la présente loi ; 2° de contrôler le service de l'inspection ; 3° d'adresser au préfet du département, sur l'état du service et l'exécution de la loi, des rapports qui seront transmis au ministre et communiqués à la commission supérieure. À cet effet, les commissions locales visiteront les établissements industriels, ateliers et chantiers ; elles pourront se faire accompagner d'un médecin quand elles le jugeront convenable.
Art. 21 - Le Conseil général déterminera, dans chaque département le nombre et la circonscription des commissions locales ; il devra en établir une au moins dans chaque arrondissement ; il en établira en outre, dans les principaux centres industriels et manufacturiers, là où il le jugera nécessaire. Le Conseil général pourra nommer un inspecteur spécial rétribué par le département ; cet inspecteur devra toutefois agir sous la direction de l'inspecteur divisionnaire.
Art. 22 - Les commissions locales seront composées de cinq membres au moins et de sept au plus, nommés par le préfet sur une liste de présentation arrêtée par le Conseil général. On devra faire entrer, autant que possible, dans chaque commission un ingénieur de l'Etat ou un ingénieur civil, un inspecteur de l'instruction primaire et un ingénieur des mines dans les régions minières. Les commissions sont renouvelées tous les cinq ans ; les membres sortants pourront être de nouveau appelés à en faire partie.
SECTION VlII - Commission supérieure
Art. 23 - Une commission supérieure, composée de neuf membres dont les fonctions seront gratuites, est établie auprès du Ministère du commerce ; cette commission est nommée par le Président de la République ; elle est chargée : 1° de veiller à l'application uniforme et vigilante de la présente loi ; 2° de donner son avis sur les règlements à faire et généralement sur les diverses questions intéressant les travailleurs protégés ; 3° enfin, d'arrêter les listes de présentation des candidats pour la nomination des inspecteurs divisionnaires.
Art. 24 - Chaque année, le président de la commission supérieure adressera au Président de la République un rapport général sur les résultats de l'inspection et sur les faits relatifs à l'exécution de la présente loi. Ce rapport devra être, dans le mois de son dépôt, publié au Journal officiel. Le gouvernement rendra compte chaque année à l'Assemblée nationale de l'exécution de la loi et de la publication des règlements d'administration publique destinés à la compléter.
SECTION IX- Pénalités
Art. 25 - Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels qui auront contrevenu aux prescriptions de la présente loi et des règlements d'administration publique relatifs à son exécution seront poursuivis devant le tribunal correctionnel et punis d'une amende de 16 à 50 francs. L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura eu de personnes employées dans les conditions contraires à la loi, sans que son chiffre total puisse excéder 500 francs. Toutefois, la peine ne sera pas applicable si les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels et les patrons établissent que l'infraction à la loi a été le résultat d'une erreur provenant de la production d'actes de naissance, livrets ou certificats contenant de fausses énonciations ou délivrés par une autre personne. Les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 22 juin 1854, sur les livrets d'ouvriers, seront, dans ce cas, applicables aux auteurs des falsifications. Les chefs d'industrie sont civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs ou gérants.
Art. 26 - S'il y a récidive, les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels et les patrons seront condamnés à une amende de 50 à 200 francs. La totalité des amendes réunies ne pourra toutefois excéder 1 000 francs. Il y a récidive quand le contrevenant a été frappé, dans les douze mois qui ont précédé le fait qui est l'objet de la poursuite, d'un premier jugement pour infraction à la présente loi ou règlements d'administration publique relatifs à son exécution.
Art. 27 - L'affichage du jugement pourra, suivant les circonstances et en cas de récidive seulement, être ordonné par le tribunal de police correctionnelle. Le tribunal pourra également ordonner, dans le même cas, l'insertion de sa sentence, aux frais du contrevenant, dans un ou plusieurs journaux du département.
Art. 28 - Seront punis d'une amende de 10 à 100 francs les propriétaires d'établissements industriels et les patrons qui auront mis obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur, des membres des commissions, ou des médecins, ingénieurs et experts délégués pour une visite ou une constatation.
Art. 29 - L'art. 463 du Code pénal est applicable aux condamnations prononcées en vertu de la présente loi. Le montant des amendes résultant de ces condamnations sera versé au fonds de subvention affecté à l'enseignement primaire dans le budget de l'instruction publique.
SECTION X- Dispositions spéciales
Art. 30 - Les art. 2, 3, 4 et 5 de la présente loi sont applicables aux enfants placés en apprentissage et employés à un travail industriel. Les dispositions des art. 18 et 25 ci-dessus seront appliquées aux dits cas, en ce qu'elles modifient la juridiction et la quotité de I'amende indiquée au premier paragraphe de l'art. 20 de la loi du 22 février 1851 ; ladite loi continuera à recevoir son exécution dans ses autres prescriptions.
Art. 31 - Par mesure transitoire, les dispositions édictées par la présente loi ne seront applicables qu'un an après sa promulgation. Toutefois, à ladite époque, les enfants déjà admis légalement dans les ateliers continueront à y être employés aux conditions spécifiées dans l'art. 3.
Art. 32 - À l'expiration du délai sus indiqué toutes dispositions contraires à la présente loi seront et demeureront abrogées.
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Pour en savoir plus
o Le travail des enfants
Habituel dans l'agriculture et dans une moindre mesure dans l'artisanat, l'emploi des enfants dès l'âge de 6 ans s'est développé dans les usines à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Le travail des enfants, mal rémunéré, fut un élément indispensable de l'industrialisation. Ils œuvraient souvent dans le même atelier que leurs parents, auxquels ils remettaient leur salaire (entre le quart et la moitié de celui d'un adulte). Ce travail était considéré comme formateur et, dans les verreries par exemple, un poste de " gamin " était la première étape d'un cursus professionnel.
o Le contexte politique
L'Assemblée nationale, qui discute et vote cette loi en novembre 1872, en février 1873 et en mai 1874, a été élue en février 1871, au lendemain de la défaite. Composée en majorité de monarchistes, elle siège à Versailles d'où elle a animé le combat contre la Commune de Paris en mars, avril et mai 1871. Il s'agit alors de la seule assemblée parlementaire du pays, dans un contexte de transition politique que s'éternise. Elle est surtout préoccupée par la perspective d'une nouvelle Constitution, pour laquelle elle a désigné en novembre 1873 une commission de 30 membres chargée de la préparer. C'est un monarchiste de centre droit, Ambroise Joubert, député du Maine et Loire et manufacturier, qui présenta la proposition de loi lors de la séance du 19 juin 1871, moins d'un mois après la Semaine sanglante. En s'attaquant aux abus les plus rebutants de l'économie libérale, mais aussi en d'autres aspects, cette loi relève de l'Ordre moral de la majorité monarchiste de l'Assemblée. Ainsi, le travail du dimanche est limité et, lorsqu'il a néanmoins lieu, " on devra […] assurer le temps et la liberté nécessaire pour l'accomplissement des devoirs religieux ", tandis que " les patrons […] doivent […] veiller au maintien des bonnes mœurs et à l'observation de la décence publique dans leurs ateliers ". Une proposition prévoyant une limitation du travail féminin a été repoussée.
o La loi
Votée aux lendemains de la défaite, cette loi s'inscrit dans le questionnement de la nation sur les origines de ce désastre. Parmi les causes, la supposée faiblesse des conscrits français face aux Prussiens étaient mise en avant. En limitant le travail des enfants, le pays leur permettrait une saine croissance et les soldats n'en seraient que plus vigoureux. Comme toutes les réformes, celle-ci est à situer dans une histoire plus longue. Ainsi, la proposition déposée par Ambroise Joubert reprend dans ses grands traits un projet de loi déjà examiné par le Sénat du Second Empire avant la défaite. Le caractère relativement serein des débats qui ont précédé l'adoption de la loi est significatif, d'une part de sa portée limitée, en second lieu du fait qu'elle ne rencontrait pas véritablement d'opposition. En cette courte période de reprise économique, la bourgeoisie industrielle, bien que moins influente dans l'Assemblée que les notables ruraux et une bourgeoisie plus traditionnelle, mena largement ces débats en faisant valoir ses intérêts. Ce serait un contresens de voir dans cette loi la satisfaction donnée à une revendication ouvrière. Le mouvement ouvrier français était sorti considérablement affaibli après la répression sanglante de la Commune de Paris et n'était pas en mesure d'imposer une réforme. D'autre part, nombre de travailleurs n'étaient pas hostiles au travail des enfants qui apportait un complément de ressources aux familles ouvrières, qui constituait un mode de garde et permettait d'acquérir une formation professionnelle.
o Réglementer
Bien que proscrivant globalement l'emploi d'enfants de moins de douze ans dans les établissements industriels, la loi le permet dès l'âge de dix ans dans certains cas qui restent à déterminer. Avant douze ans, la durée maximale de travail quotidien est de six heures, de douze au-delà. Dans les mines et carrières, il n'y a pas de dérogation d'âge et le travail féminin est prohibé. Le travail de nuit (définit par la loi entre 21 heures et 5 heures) et celui des jours fériés et des dimanches est interdit avant l'âge de seize ans, de vingt et un ans pour les filles dans les usines et manufactures. Aucune restriction n'est envisagée hors du secteur industriel. La loi conditionne l'emploi d'enfants de moins de douze ans à la fréquentation d'une école. Les mineurs de moins de quinze ans peuvent travailler plus de six heures s'ils justifient par un certificat de l'acquisition d'une instruction élémentaire. Associant une formation scolaire et un travail perçu comme formateur, les législateurs tentent de restaurer l'esprit de l'apprentissage. Une telle formule permettrait au patronat de disposer plus tard d'une main d'œuvre mieux instruite, donc plus efficace. Ce texte présente des aspects préventifs, qui renvoient à la volonté de " régénération " de la population française après la guerre franco-prussienne. Ainsi, les charges à porter sont limitées, l'exposition aux produits risquant d'exploser ou d'empoisonner (notamment en causant le saturnisme) est esquivée, et les risques d'accidents mécaniques sont pris en compte. C'est la première fois que de telles dispositions se trouvent dans une loi.
o Surveiller
Des commissions, locales et supérieure, dont les membres ne sont pas rémunérés, sont instituées. La commission supérieure est surtout un lieu de réflexion. Elle a aussi pour fonction de veiller à l'application de loi, de contrôler les inspecteurs et d'effectuer un premier tri parmi les candidats. Les commissions locales, dont le pouvoir de contrôle n'est pas négligeable, sont largement dépendantes des conseils généraux. Un des éléments fondamentaux de cette loi est la création d'un corps relativement hétérogène d'inspecteurs rémunérés par le département ou l'Etat. Une inspection salariée par l'Etat existait déjà en Angleterre et en Prusse, mais c'est en France une innovation pouvant laisser présager une certaine indépendance, donc une possible efficacité. Les inspecteurs divisionnaires sont nommés par le gouvernement sur proposition de la commission supérieure et sous condition de diplôme ou d'exercice professionnel dans l'encadrement du travail industriel. Sous leur direction peuvent exercer des inspecteurs départementaux nommés par le Conseil général. Ils peuvent (et doivent) visiter les établissements industriels. Leur autorité s'exerce sur une partie du territoire, une des quinze circonscriptions pour les inspecteurs divisionnaires ou un département pour leurs subordonnés. Certains prendront à cœur leur mission de contrôle et de prévention et tenteront d'outrepasser leurs faibles pouvoirs. L'institution d'un livret individuel pour ces enfants se situe dans la continuité du livret ouvrier, instauré au début du siècle et qui ne sera supprimé qu'en 1890. Des registres doivent préciser l'emploi de ces enfants, et les historiens qui aujourd'hui les utilisent les trouveraient encore plus précieux si leur tenue, en dissimulant les pratiques illégales, n'avait été avant tout formelle. La loi multiplie les dérogations. Ainsi, en cas de " force majeure ", non définie dans la loi, l'âge minimal pour le travail de nuit est ramené à douze ans, comme pour le travail du dimanche et des jours fériés dans les usines à feu continu. Des règlements ultérieurs devaient déterminer les conditions d'application de la loi, qui n'entre en vigueur qu'une année après sa promulgation. Elle prévoit des sanctions pécuniaires après condamnation par un tribunal correctionnel, mais le plafonnement des amendes, les conditions émises, les dérogations possibles et les réticences des magistrats en limiteront grandement la portée.
o La deuxième parmi trois lois
Une première loi limitant le travail des enfants avait été votée en 1841. Il s'agissait de la première incursion sérieuse de l'Etat dans les relations professionnelles après une période de libéralisme intense. Son application peu satisfaisante, parce que l'inspection était assurée par des bénévoles peu motivés, avait rendu nécessaire celle du 19 mai 1874, complétée la même année par les lois du 7 octobre et du 7 -20 décembre. Mais celle-ci était encore trop imprécise pour être exécutée rigoureusement et les trop nombreuses exemptions et limitations comme le fait que les inspecteurs dépendaient en ce cas des notables des conseils généraux, au sein desquels les industriels exerçaient une indéniable influence, en avaient limité la portée. Ne satisfaisant personne, cette loi fut mise en cause cinq ans plus tard et les longs travaux pour sa révision aboutirent en 1892 à la loi " sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels ". La loi votée en 1892, alors que le régime républicain était bien consolidé, interdisait le travail industriel avant l'âge de douze ans et apporta de nombreuses restrictions aux travail des mineurs de moins de dix-huit ans. Elle fut plus efficace car le contrôle de son exécution fut confié à un corps d'inspecteurs indépendants des autorités locales. Elle était complémentaire des lois votées au début de la décennie précédente sur l'obligation de scolarité. Au début du XXe siècle, le travail des enfants dans l'industrie était en très forte régression.
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Pour aller plus loin
ROBERT Jean-Louis (dir. de), Inspecteurs et Inspection du travail sous la IIIe et IVe République, Paris, La Documentation française/Ministère de l'emploi et de la solidarité, 1998, 262 p. VIET Vincent, Les voltigeurs de la République. L'Inspection du travail en France jusqu'en 1914, Paris, CNRS Editions, 1994, 2 tomes, 630 p. BARRAU Patrick, HORDERN Francis, Histoire du droit du travail par les textes, De la Révolution à la 1ère Guerre Mondiale, tome I, Université Aix-Marseille II, Cahiers de l'Institut régional du Travail, n°8, 1999, 232 p. BONNECHERE Michèle, Le droit du travail, Paris, Editions La Découverte, 1997, 123 p. MANIER Bénédicte, Le travail des enfants dans le monde, Paris, Editions La Découverte, 1999, 123 p.
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