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RESUME des romans de Mme de Villedieu pp. 1 182 Alcidamie p. 2 Lisandra p. 15 Carmente p. 17 Journal amoureux p. 39 Annales galantes p. 68 Les Exilés de la Cour d'Auguste p. 101 Galanteries grenadines p. 120 Nouvelles afriquaines p. 129 Le Portefeuille p. 135 Mémoire de la vie de Henriette Sylvie de Molière p. 141 Désordres de l'Amour p. 160 Portrait des faiblesses humaines p. 171 Annales galantes de Grèce p. 178 INTRODUCTION On s'étonnera peut être de voir consacrer tant d'intérêt à un auteur de second, voire de troisième ordre. A vrai dire, les pages qui suivent sont nées d'un plus large dessein : l'étude du sentiment amoureux dans le roman de la période dite classique, jusqu'à La Princesse de Clèves inclusivement. Les premières lectures nous ayant fait découvrir Mme de Villedieu, il est vite apparu que sa personnalité et son oeuvre, inséparables d'ailleurs, constituaient un champ d'investigation suffisant, sans même invoquer les lacunes de l'érudition à son endroit. La production de cette romancière représente en effet un document précieux, et à divers titres. Les historiens de métier nourrissent une juste méfiance à l'égard des grands créateurs que leur génie sollicite à disposer de la nature au profit de l'art. Or voici justement un de ces tempéraments moyens, ductile mais intelligent, aussi éloigné de l'obéissance aveugle que de l'anticonformisme de principe, et qui suit la mode avec franchise et lucidité. Certes, les grands esprits ne hantent pas ces régions tempérées, mais ce qu'on peut perdre sur le plan esthétique, on le gagne au niveau du témoignage. Est ce à dire alors que l'étude littéraire n'est point ici en son lieu ? Nullement. Mme de Villedieu n'appartient pas à la catégorie de ceux dont les modes pression sont trop frustes pour se voir accorder la dignité littéraire, et dont le message se trouve stérilisé par la pauvreté du discours : on en jugera sur pièces. Il se trouve justement que dans cette oeuvre, en raison de qualités intrinsèques, tout un public se reconnut. Elle méritait donc de retenir tout spécialement notre attention. Mais ces connexions vivantes imposaient des démarches originales : faire une assez large place aux réseaux de relations qui ont permis, et même déterminé la naissance de récits exem 12 plaires ou significatifs; retrouver quelques canaux transmetteurs de ces informations non écrites dont l'importance est aussi considérable que malaisée à définir; approfondir à l'occasion certaines notions clés qui imprégnèrent la vie de société et les ouvrages de fiction. Doit on se plaindre d'avoir dû dépasser le strict cadre de la monographie pour tenter de faire revivre le climat moral, la vie affective d'autrefois ? Et surtout n'est il pas enthousiasmant d'avoir pu constater que l'analyse même des formes littéraires apportait à cette résurrection une contribution inégalable ? Celles du roman paraissent prédestinées à cette vocation. N'étant pas soumis, comme la littérature dramatique, à une tradition auguste et contraignante, il peut librement recueillir et actualiser les aspirations diffuses d'une société qui se cherche et se trahit à travers ses représentations mentales. Mme de Villedieu fut témoin d'une époque qui portait un regard nouveau sur l'existence, qui, découvrant après la Fronde une autre manière de vivre et d'aimer, élaborait, fort consciemment d'ailleurs, une doctrine adaptée à ses nouveaux besoins. Lorsque le jeune Louis XIV, prince de la paix, fit son entrée à Paris, Mlle Desjardins écrivait son premier roman. Sur cette femme sans lignage et qui ne cessa de lutter pour vivre, il n'est pas exagéré de dire que presque tout était à reprendre ou à établir. Peu de personnes, même parmi les plus cultivées, connaissent Mme de Villedieu. Lorsqu'elles en ont par hasard entendu parler, c'est à propos de Molière et de Mme de Lafayette; elles ont lu, dans ce cas, que cette femme de lettres était aussi, était d'abord "galante", et elles ont pu fort légitimement penser que ses lointains dévergondages présentaient aussi peu d'intérêt que son mince talent. On risque donc d'être surpris par les pages qui suivent, car elles invitent à renoncer à la fois aux truculences et au dédain; mais le nouveau visage de Mme de Villedieu, moins vulgaire et plus singulier, ne fera pas regretter l'ancien. La légende biographique s'est constituée non pas même du vivant de la romancière, mais dès l'instant où elle fit parler d'elle. Tallemant a pris ses informations à bonne source, mais les faits sont déjà interprétés tendancieusement. Un témoin aussi 13 sérieux que Pierre Richelet, qui a rencontré Mile Desjardins, amie d'Olivier Patru dont il était le secrétaire, ne se donne même pas la peine d'ajouter à la notice de Barbin1, qu'il recopie en grande partie, ce dont Bayle se scandalise2. Barbin lui même, son éditeur, son familier, ne paraît pas en savoir bien long sur elle et ne peut s'empêcher de glisser, dans les compliments obligés, quelque concession à l'opinion générale3. Dès que Mme de Viliedieu quitte la scène littéraire pour vivre dans l'obscurité, les bruits les plus extravagants circulent elle sombre dans la débauche, elle s'adonne à la boisson, elle est emprisonnée4. Toutes ces fantaisies seront fidèlement consignées par les frères Parfait au début du siècle suivant5. Ainsi au moment même où l'oeuvre de Mme de Villedieu est le plus commercialement exploitée, où les éditions complètes se succèdent à Paris comme en province, personne ne sait plus qui elle est 14 vraiment. Cet état de choses va durer jusqu'en 1911, date à laquelle un officier, s'ennuyant dans la petite garnison de Mamers mais aimant les vieux livres, réunit une abondante collection de romans sortis des fonds de bibliothèques ou des greniers de la région beaucoup portaient le nom de Mine de Villedieu, qui avait précisément terminé son existence non loin de Mamers, dans la propriété de Clinchemore. Il s'attacha patiemment et passionnément à cette mémoire, dépouilla les minutes notariales en corrigeant avec indignation les erreurs des historiens6. L'ouvrage d'Emile Magne, si précis sur la vie littéraire de l'époque7, allait se trouver ébranlé par deux articles qui passèrent complètement inaperçus8, sauf de l'éminent homme de lettres. Après avoir correspondu avec le capitaine Derôme, et tenté, après la mort de ce dernier, de récupérer ses notes, E. Magne s'apprêtait à récrire son livre sur nouveaux faits quand la mort, à son tour, l'empêcha de mettre la main à l'oeuvre9. En 1947, les éléments nouveaux sont encore mal connus, et B. Morrissette n'intègre pas dans son travail les lumières déterminantes apportées par le capitaine Derôme dans ses articles de 1912. Il était donc nécessaire de rassembler les trouvailles éparses, de procéder à d'autres explorations pour tenter d'arracher au passé ce qu'il cachait encore. Il faut avouer que si le résultat n'est pas négligeable, il est quantitativement décevant. Outre le petit nombre de documents 15 actuellement accessibles, beaucoup de pièces essentielles, tenues en main et décrites par les chercheurs, semblent avoir disparu depuis le début du siècle. Il demeure des incertitudes jusque sur le lieu et la date de naissance de Marie Catherine Desjardins, que la disparition de l'ancien état civil de Paris laisse peu de chances de dissiper10. Cependant le peu qu'on a de sûr dessine de Mme de Villedieu une image assez nette, et, espérons le, fidèle. Un même retour aux sources a été opéré pour l'oeuvre romanesque. En ayant systématiquement recours aux éditions originales chaque fois que c'était possible, on a tiré ample profit des avis au lecteur ou dédicaces, qui ont permis d'effectuer un certain tri parmi les oeuvres attribuées à la romancière. La critique interne n'a été appelée au secours qu'en cas désespéré. Peu à peu s'est dégagée la véritable physionomie d'auteur que nous cherchions, débarrassée de ce qui l'alourdissait et la déformait. La voie devenait alors libre pour entreprendre dans d'honnêtes conditions une étude littéraire spécifique qui devait elle aussi réserver bien des surprises, déblayer bien des pistes, mais s'achever sur bien des résignations. On ne manquera pas d'observer que certains aspects de l'oeuvre ont été sacrifiés, l'étude du personnage par exemple. Répartie, suivant les besoins de l'analyse, tout au long des chapitres, elle n'a été présentée globalement qu'en conclusion. Inversement, on pourra déplorer aussi le parti choisi pour la distrubution de la matière. L'investigation s'étant faite suivant une démarche plus méthodique que problématique dans une intention de clarté qui n'échappera sans doute pas , il peut arriver que les mêmes documents ou les mêmes textes soient invoqués à plusieurs reprises. D'autres lecteurs regretteront de ne trouver qu'en notes des comparaisons qu'ils auraient souhaitées à une place plus éminente; certains souligneront l'absence presque totale d'une étude, évidemment utile, de la langue de Mme de Villedieu. Ce travail ne prétend pas être une somme. 16 Le rôle de pionnier est ingrat. Puisse t on dire plus tard que ces modestes recherches ont eu le mérite d'exister. Ce serait un signe que d'autres en auraient comble les lacunes et corrigé les défauts, et surtout qu'elles auraient suscité un regain d'intérêt pour la période la plus brillante sans doute, mais, mis à part quelques grands noms, la plus méconnue de notre histoire littéraire. CHRONOLOGIE 1632 Naissance à Paris d'Antoine Boësset, 2ème fils d'Antoine Boësset et de Jeanne de Guesdron. 1637 (15 janvier) Mariage de Guillaume Desjardins et de Catherine Ferrand, à l'hôtel de Montbazon. 1640 (?) Naissance (à Paris 7) de Marie Catherine Desjardins. 1643 Mort d'Antoine Bosset le père. 1648 A. de Boësset est émancipé et prend le titre de sieur de Viliedieu. 1648 Installation de la famille Desjardins à Alençon. 1655 (janvier) Marie Catherine se lie à son cousin, François de Saint Val, par une promesse de mariage. (22 février) G. Desjardins assigne F. de Saint Val devant le Parlement de Paris et obtient condamnation. (24 mars) Jugement en séparation de corps des époux Des jardins. (7 juillet) Séparation de biens. Catherine Ferrand s'installe à Paris avec ses deux filles. Marie Catherine vit "sous sa bonne foi". 1658 Rencontre avec A. Boësset, sieur de Viliedieu. Composition du sonnet de Jouissance, première poésie à succès. 1659 11 pièces poétiques paraissent dans le t. V du Recueil de Sercy, et 4 portraits dans La Galerie des peintures. Version inédite du Récit de la farce des précieuses. 1660 Relations suivies avec les Boileau, O. Patru et Conrart. Publication chez de Luynes et Barbin du Récit. 1661 (7 janvier) Publication d'Alcidamie (deux premières parties, l'oeuvre demeurera inachevée). (sept. oct.) G. Desjardins est emprisonné pour dettes. Brouille avec Villedieu, qui refuse d'honorer sa promesse. 1662 Le Carousel de Mgr le Dauphin, dédié à Mile de Montausier. (5 février Privilege du Recueil de poésies de Mlle Desjardins, dédié à la duchesse de Nazarin. 18 1662 (avril) Manlius Torquatus (tragédie) est représenté à l'H6tel de Bourgogne. Succès. 1663 (avril) Echec de Nitétis au même théâtre. Rencontre avec le duc de Saint Aignan. (mai) Rencontre à Beaumont avec Mademoiselle. (juin) Villedieu achète une compagnie a régiment de Pi cardie, s'endette et rompt officiellement ses promesses. (septembre) Lisandre, dédié à S.A.R. Mademoiselle. (octobre) Mlle Desjardins invitée à Versailles. 1664 Rééditions augmentées du Recueil de poésies de 1662. Edition complète des Oeuvres. (avril) Molière met en répétitions la tragi comédie du Favory. Voyage précipité en Provence. (21 juin) Solennelle promesse de mariage entre Villedieu et Marie Catherine. 1664 1665 Séjour à Carpentras. Correspondance et relations avec R. Le Pays. 1665 (avril) Retour à Paris. (2 avril) Première du Favory au Palais Royal. (mai) Catherine Ferrand rachète à son mari la propriété de Clinchemore, près d'Alençon, et s'y installe avec ses autres enfants. 1666 (novembre) Mort de Jeanne de Guesdron, mère d'A. de Villedieu. Début de la protection de la duchesse de Nemours. 1667 (5 février) Rupture définitive avec Villedieu. (mars) Départ de M. C. Desjardins pour les Pays Bas et la Hollande. (mai) Villedieu, au départ pour la campagne des Flandres, se marie et remet peut être à Barbin les lettres de Marie Catherine. Mlle Desjardins reçue par la plus haute aristocratie bruxelloise, et chez Constantin Huygens. (juin) Privilège de Carmente, dédié à Mme de Nemours. Privilège des Lettres et billets galants. 1668 (20 juillet) Privilège d'Anaxandre, dédié aux dames de Bruxelles. Correspondance assidue avec les amis français. (août) Mlle Desjardins, malade, séjourne à Spa. Mort de Guillaume Desjardins. (25 août) Mort de Villedieu au siège de Lille. 1667 1668 Mlle Desjardins séjourne hors de France, peut être chez la duchesse de Nemours. 1668 Publication des Lettres et billets galants. (juillet) Recueil de quelques lettres et relations galantes. Retour à Paris. Mlle Desjardins prend officiellement le nom de Mme de Villedieu. 19 1668 Grandes difficultés matérielles. 1669 (1er avril) Cléonice, dédié à la duchesse de Nemours. Nouveau recueil de pièces galantes. (25 septembre) Journal amoureux (1ère partie). 1670 Annales galantes. Journal amoureux (II, V et VI). Début de la composition des Exilés. Fables, dédiées au Roi. 1671 Les Amours des grands hommes, dédiés au Roi. Début de la composition des Exilés. 1672 Les Exilés, trois premiers tomes. Les Mémoires de la vie d'Henriette Sylvie de Molière, trois premiers tomes. Mme de Villedieu entre au couvent. 1673 Mme de Villedieu rentre dans le monde. Les Exilés (suite et fin). Les Nouvelles afriquaines. Les Galanteries grenadines. 1674 Les Mémoires de la vie d'Henriette Sulvie de Molière (suite et fin). Le Portefeuille. Mme de Villedieu mène une vie dévote et retirée. 1675 Les Désordres de l'amour. 1676 (6 avril) Brevet de pension royale. 1677 (17 août) Mariage avec Claude Nicolas de Chaste, chevalier, sieur de Chalon. 1678 (30 juin) Naissance de Louis de Chaste. (décembre) M. de Chaste est Gouverneur des Invalides. 1679 (5 janvier) Mort de M. de Chaste. 1680 (8 mai) Baptême de Louis de Chaste em la chapelle royale de Saint Germain. Mme de Chaste se retire à Clinchemore avec son fils et sa famille. 1683 (20 octobre) Mort de Mine de Chaste. Claude Barbin recueille tous ses manuscrits. 1685 (14 novembre) Le Portrait des faiblesses humaines. 1687 (24 mars) Les Annales galantes de Grèce. ABREVIATIONS Oeuvres romanesques de Mme de Villedieu Ale. Alcidamie AG Annales galantes AGG Annales galantes de Grèce AGE Les Amours des grands hommes Anax. Anaxandre Carm. Carmente Cléon. Cléonice DA Les Désordres de l'amour Ex. Les Exilés de la cour d'Auguste GG Les Galanteries grenadines JA Le Journal amoureux Lis. Lisandre MHSM Mémoires de la vie d'Henriette-Sylvie de Molière NA Nouvelles afriquaines Port. Le Portefeuille PFH Le Portrait des faiblesses humaines Divers AA L'Amoureux africain (S. Brmond) Ab. Abrégé de l'histoire de France de Mézeray BC Bibliographie critique (G. Turbet-Delof) BE Bibliothèque française (Ch. Sorel) BUR Bibliothèque universelle des romans CAIEF Cahiers de l'Association internationale des études françaises CALC Cahiers algériens de littérature comparée Guerres civ. de Gr Guerres civiles de Grenade (Perez de Hita) HAG Histoire amoureuse des Gaules (Bussy-Rabutin) Hist Histoire de France (Mezeray) HLF Histoire de la langue française (F. Brunot) 22 Poles . Polexandre (Gomberville) éd. 1637 P. de C La Princesse de Clèves (Mme de Lafayette) RHLF Revue d'histoire littéraire de la France RSH Revue des sciences humaines VPA Vie de la princesse d'Angleterre (Mme de Lafayette) PREMIERE PARTIE UNE FEMME EN SON TEMPS CHAPITRE I MARIE CATHERINE DESJARDINS Celui qui tente de faire revivre Marie Catherine11 Desjardins doit d'abord se résigner, pour l'instant du moins, à traverser une zone d'ombre, qui couvre l'enfance et une partie de l'adolescence de la future "femme de lettres". Heureusement, quelques documents renseignent sur ses origines familiales. De petite noblesse terrienne12, la famille Jardins des Jardins servait depuis deux generations la cause huguenote. Le grandpère paternel de Marie Catherine, François, bien que de religion catholique, avait été attaché aux Saint Denis, tout acquis à Henri de Navarre (3)13. Odet, baron de Hertré, neveu par alliance du duc de Rohan Montbazon, avait fait de ce notable alençonnais son homme de confiance. A la mort du baron, en 1611, c'est François Desjardins qui se charge de la tutelle des biens de sa fille 26 mineure tandis que le gouverneur du Poitou, Henri II de Rohan, s'attache à son tour ses services. Ce dévouement coûtera la vie à ce loyal serviteur il mourra assassiné en 1617 lors des troubles qui, dans cette province, suivirent la mort du roi Henri IV. Concurremment, François Desjardins avait été échevin d'Alençon et "secrétaire de la feue reine Marguerite"14. A sa mort, il laissait deux fils encore bien jeunes, et une succession difficile qu'il faudra trente trois ans pour régler15. L'aîné, François, hérite du titre de sieur de Saint Val, se marie en sa ville natale et y fait souche. Le sort du cadet est tout autre. Contraint de quitter le pays, il gagne la capitale pour y faire des études de droit qui lui permettront de se parer plus tard du ttre d'avocat en Parlement. Mais les choses s'arrêtent là. De nature aventureuse, Guillaume décide de s'engager sur un navire ; il semble avoir navigué quinze années16. Après quoi, plus désargenté que jamais, il revient à Paris pour frapper à la porte de l'hôtel du Lude où résidait Hercule de Rohan Montbazon. Il n'eut pas de peine à rappeler les services de son père le duc le garde comme écuyer, et cherche à l'établir par un mariage avantageux. Son choix se porte sur Catherine Ferrand, première femme de chambre de la duchesse. Beaucoup plus jeune que son futur époux (elle ne disparaîtra qu'en 1692, après vingt cinq ans de veuvage), elle est d'origine poitevine. Son père, Guillaume, est établi marchand à Saint Maixent, et son grand père André Ferrand avait constitué, comme capitaine de navire, une petite fortune qui lui avait permis l'achat d'une terre noble : il était sieur de Rambure17. Catherine n'était donc pas une domestique quelconque. Elle avait su se concilier les bonnes grâces et la confiance de sa maîtresse, car celle ci va la doter 27 richement18. Sur le contrat, où l'on cherche en vain l'apport du futur conjoint, de très hauts et très puissants seigneurs lui font l'honneur d'apposer leur signature Hercule de Rohan et Marie de Bretagne son épouse, comme ii se doit, mais aussi Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, le fils du Balafré; deux jours après, le mariage est célébré à Saint Eustache19. Le mois n'est pas écoulé que Guillaume Desjardins est installé rue des Petits-Champs et fait signer à sa femme une donation mutuelle qui lui permet de disposer sans délai des biens de son épouse20. Cependant, les Rohan lui obtiennent, par arrêt du Conseil du Roi21, un emploi honorable : la charge des coupes et revenus de la forêt de Perseigne, tout près de sa ville d'Alençon. Il déménage alors pour un domicile plus bourgeois, et fait choix d'une maison sise exactement en face de l'hôtel de Rambouiliet, appartenant à un gentilhomme manceau. Voiture y était déjà locataire. C'est lé que naquit la fille aînée, Aymée22, et que Marie Catherine passera ses premières années. L'illustre voisin remarque cette petite fille à la mine éveillée, la trouve un peu "folle", mais pleine d'esprit23. L'enfant n'a guère le temps de le faire admirer : la Fronde commence à agiter Paris. La famille Desjardins a toutes raisons 28 de se replier en province, dans sa résidence alençorinaise du faubourg de Montsort (lit)24, c'est là que naîtra le troisième enfant de la famille, François, le 6 février 1651. Mais Marie Catherine, où est elle née ? Parisienne, elle le sera d'éducation, de goût, d'esprit, on dirait même de vocation. Dans ses romans, on la voit partager, avec quelque complaisance d'humoriste, les préjugés des habitants de la capitale. On la croit pourtant née à Alençon25. Mais il y a plus grave : la date même de sa naissance est incertaine, les actes passés par elle ne l'indiquent jamais, et les doucments les plus irrécusables se contredisent. L'acte de décès qui lui donne 5 ans en octobre 1683 la fait donc naître en 1638. Le père, lui, donne une autre date, 1640, confirmée par sa fille, beaucoup plus tard, au détour d'une phrase26. De son enfance normande nous ne savons rien. Sans doute s'est elle écoulée sans histoire, près des arbres et des ruisseaux de la douce campagne alençonnaise, sans histoire jusqu'en janvier 1655. Le 15 de ce mois, la famille entière était en fête on baptisait à la cathédrale Notre Dame un nouveau François des Jardins, quatrième du nom. C'était le premier fils d'un troisième mariage de l'oncle François; deux ans auparavant, Madeleine Fauqueron lui avait donné une fille, prénommée Catherine, dont sa cousine germaine, Marie Catherine, avait été marraine27. Pour ce petit garçon, on arrête comme parrain un jeune officier de vingt sept ans28, son demi frère, fils de François des Jardins et de Renée de Cléré, sa première épouse, comme 29 on est en plein hiver, il a pu se dégager pour tenir l'enfant sur les fonts, et faire briller sur les registres de la paroisse sa qualité de lieutenant de cavalerie au glorieux régiment de la Vieuvill29. Marie-Catherine est charmée, et le jeune officier n'est pas moins séduit. Ils décident en secret de s'épouser. Les parents, sans être vraiment brouillés - on vient de voir que l'esprit de famille est bien vivant, du moins dans les grandes occasions - sont divisés par des questions d'intérêt : Guillaume en effet se considère comme lésé dans le règlement de la succession paternelle dont il n'a retiré qu'une somme ridicule, six cent cinquante livres. Mais les jeunes gens ne peuvent longtemps cacher leur idylle. Un beau jour de février, le père de Marie-Catherine apprend que sa fille s'est promise à son cousin. Il refuse de régler le différend à l'amiable et prend une initiative sans précédent dans cette famille honorable et respectée : il assigne son neveu, déposant au Châtelet une violente requête qui n'épargne pas sa propre fille, accusée de "criminelle désobéissance"30. Même en admettant que guillaume soit d'un tempérament bouillant, on ne peut s'empêcher d'être surpris du procédé. Cette union est convenable aux deux partis, consanguinité mise à part; et si c'est là le vrai motif de cette réaction brutale, il y a disproportion entre la cause et les effets. Le scandale est tel que Catherine Ferrand se désolidarise rapidement de son époux, dont ce n'était peut être pas la première incartade, et introduit aussitôt une instance en séparation de 30 corps. Un jugement du 24 mars lui donne très vite satisfaction. Elle s'installe alors à Paris, dans le pied à terre de la rue Saint-Thomas du Louvre, emmenant avec elle ses deux filles31. Puis elle engage une seconde procédure en séparation de biens, et là encore, gagne la partie32. Marie Catherine est d'autant plus bouleversée qu'elle apprend que François de Saint Val a été incarcéré. Elle tente de lui faire parvenir des billets passionnés33. Par bonheur, l'emprisonnement ne dura que peu de temps, car un an plus tard, il épousait l'unique héritière d'une noble famille du Perche34. Catherine Ferrand, sans grandes ressources, garde ses deux filles auprès d'elle : elles y seront encore en 1661. C'est pure fantaisie que d'imaginer Marie Catherine, après ce drame qui la marquera, courant la province dans la troupe de Molière. Cette hypothèse, appuyée sur une mauvaise lecture de TaliLemant35, 31 défie le plus élémentaire bon sens. Tout porte à croire plutôt qu'elle demeura près de sa mère et s'employa avec elle en sollicitations pour faire exécuter le jugement dont l'application leur était vitale. Mais Guillaume Desjardins ne songe guère à se mettre en règle. Bien au contraire, il ne peut résister à l'envie d'acheter à Jacques de Saint Denis la terre seigneuriale de Clinchemore : mais pour une fois, c'était une bonne affaire. Sise à l'orée de la forêt de Perseigne, dans une large et riante vallée, elle comportait une maison à tourelles, des dépendances diverses et des métairies36 : il s'y fixe à demeure, sans doute avec son jeune fils de quinze ans. Pendant ce temps, Marie Catherine griffonne, de chagrin, ses premiers vers37. De son côté Catherine Ferrand reprend ses habitudes. Plus que jamais, elle a besoin de Marie de Bretagn38. Elle lui présente sa fille, qui a bien grandi; il en est de même de la petite Anne de Rohan, qui a tout juste quinze ans, comme MarieCatherine. Mlle de Montbazon éprouve aussitôt une vive sympathie pour elle, partagée par sa demi soeur la duchesse de Chevreuse (29)39, dont l'admirable hôtel40se dresse aussi en face du logis des Desjardins. Mal remise de la mort brutale de Charlotte41, 32 Marie de Rohan prend plaisir à la présence de cette jeune fille tellement vivante. Mais brusquement le destin frappe cette famille si proche que Marie Catherine l'a faite un peu sienne. Funeste année 1657 ! Le 2 janvier meurt le duc de Chevreuse; le 5 mai, en une nuit, la duchesse de Montbazon; puis tout se désagrège. Incapable de subvenir aux frais de l'hôtel parisien, la duchesse de Chevreuse le vend au duc de Candale42, qui lui même, à peine propriétaire, trouvera la mort en Catalogne. Vieillie par les deuils et les déceptions politiques, en proie aux embarras financiers, la duchesse n'est plus que l'ombre d'elle même. Elle se retire à ampierre qu'elle vient d'acquérir43. Non loin de 12, son fils, le duc de Luynes, vit pieusement dans sa superbe "solitude" de Vaunurier. Marie de Rohan entraîne avec elle la jeune orpheline, Anne, qui ne demande pas mieux, car elle nourrit aussi le goût de la retraite. MarieCatherine est navrée de ce départ; elle épie le retour de son illustre amie, et la prie, en vers, de revenir à Paris44. Il n'en est guère question45. Aussi est ce l'inverse qui se produit on invite à Dampierre la fille de Catherine Ferrand, qui "divertira"46 ces dames. Elle en est fort capable, car 33 à Paris, sa mère ne la tient pas en laisse47. Elle lui a concédé rue Saint Thomas du Louvre une petite chambre garnie où elle reçoit48. Son pétillant esprit lui attire des admirateurs, et qui sait si cette fille si douée ne réparera pas les injures de la fortune à l'égard de toute la famille ? L'aînée, faute de dot, n'est pas encore mariée : seule la cadette peut, avec un peu de chance, tirer tout le monde d'affaire49. Il se trouve que le Paris d'après la Fronde a changé de visage. Le bel esprit y règne en maître; la vie littéraire, la vie mondaine, la vie de la cour, stimulées par la jeunesse du roi, reprennent comme jamais. Que de choses à raconter à Dampierre! On questionne la petite Desjardins, moins il est vrai sur les nouvelles littéraires que sur celles du coeur, à commencer par le sien, car Marie Catherine est amoureuse. Il ne faut pas moins que le désir de ses grandes amies pour lui faire quitter Paris à une date où son "tendre" risque d'y séjourner. Son "tendre" ? Antoine Boësset , sieur de Villedieu vient d'entrer dans sa vie50. Il est superflu de présenter longuement son père, Antoine Boësset, que tous les musicologues connaissent bien51. Né à Blois en 1589, il avait pu mettre ses dons à l'épreuve auprès de l'illustre Pierre de Guesdron, alors maître de la Musique des Enfants du Roi. Boësset plaît au jeune Louis XIII qui le voit avec plaisir épouser Jeanne, la fille du maître, et recueillir 34 ainsi la survivance de la charge. Antoine devient bientôt célèbre : ses airs de Cour, ses chansons, d'une écriture à la fois savante et voluptueuse, ravissent les connaisseurs52, et surtout le roi qui, de plus, éprouve pour leur auteur une affection toute personnelle53. Le fils aîné du musicien, Jean Baptiste, est bientôt introduit à la Cour, et accompagne le monarque dans ses voyages54. Antoine Boësset est couvert d'honneurs. Maître de musique de Sa Majesté dès 1617, il était devenu en 1632 son conseiller privé et son maître d'hôtel, charges qu'il cumulait avec la surintendance depuis la mort de Pierre de Guesdron. Aussi, lorsqu'en 1643, la même année que son cher prince, il quitte ce monde, laisse t il sa veuve et ses cinq enfants fort à 35 l'aise55. Jean Baptiste a près de trente ans et habite seul rue Neuve. Le reste de la famille réside rue du Mail, c'est à dire deux fils, Jacques56 et Antoine, et deux filles57 qui mourront en 1649. Le testament du père spécifiait que les fils devaient être élevés selon leur rang. On les destine évidemment à la carrière militaire. Antoine, dès 1647 il a quinze ans est pourvu d'une charge d'enseigne dans le prestigieux régiment de Picardie58, et fait d'amples dépenses pour paraître avec éclat lors de la première campagne59. L'année suivante il est émancipé : on lui constitue, ainsi qu'à son frère, un avoir personnel de douze milles livres, dans lequel il puise à pleines mains pour participer à toutes les opérations où son régiment se trouve engagé. Le 8 juin 1656, il acquiert une lieutenance60. De son côté, Jean Baptiste épousait en 1647 Marie Boisseau de Courtemont qui lui apportait en dot la belle terre de Dehaut, dans la baronnie de la Ferté Bernard. Des relations ont pu se nouer très tôt entre les Desjardins et les Boësset, car Dehaut a justement été acheté aux Saint Denis, comme Clinchemore, dont elle n'est distante que de quelques lieues. De fait, c'est sans doute en 165861 que Marie Catherine vit Antoine de Villedieu62 pour la première fois. 36 Ce fut un éblouissement. Séduisant, il devait l'être infiniment. Il était "bien fait" de sa personne, et avait reçu une éducation raffinée. Doué pour la musique comme son père, il dansait, chantait et jouait du luth à ravir, sans, ô miracle, donner dans la galanterie de mauvais aloi que stigmatise alors Ch. Sorel. En effet, il n'aime pas les mondanités, du moins pas encore. Aux fausses valeurs de la vie de cour, il préfère non seulement la gloire militaire, dont il arrive déjà tout auréolé, mais la solitude à deux dans la campagne63. Tout de suite, c'est entre eux la grande passion, le sonnet de Jouissance en fera foi64. Et la paix, la bienheureuse paix, va favoriser l'éclosion d'un sentiment qui n'avait pu mûrir encore. Pour la première fois depuis vingt quatre ans, au printemps 1659, les hostilités ne reprenaient pas, et Marie Catherine, qui jusque là avait bien défendu son coeur65, ne put le contenir. Cet hiver 1659, à Paris, l'on dansa comme jamais, et le régiment de Picardie étant cantonné sur la Somme, le jeune lieutenant ne se privait pas d'escapades vers la capitale. Riche66, installé à son aise rue des Vieills 37 Augustins, il ne se refuse aucun plaisir. Un soir, après un bal, il trouve sa porte fermée. Quoi de plus naturel, pour Marie Catherine, que de lui offrir sa chambre ? Laissons parler Tallemant : "Elle alla coucher avec sa soeur. Ce garçon tombe malade, cette nuit là, et si malade qu'il fut six semaines sans pouvoir être transporté. Elle eut tant de soins de lui durant son grand mal que ne croyant pas en réchapper, il pensa être obligé à lui dire qu'il l'épouserait, s'il en revenait. Il en revint; il coucha trois mois avec elle assez publiquement."67 Tallemant, que cette situation scandalise, aligne une "preuve" de ce qu'il avance : on les a vus, au lit, échanger leurs chemises! Est il possible qu'une jeune fille descende si bas ? Elle a beau clamer partout que Boësset est son époux, celui ci s'en défend énergiquement; mais elle est assez effrontée pour "ne s'en tourmenter que médiocrement" et dire : "S'il ne le veut pas être, qu'il ne le soit pas." Cette fille, décidément, ne ressemble à aucune autre. L'amant est sincère, mais léger. Au bout de trois mois, "Villedieu s'est lassé". Où tourne t il les yeux ? La réponse se trouve dans l'élégie |
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