Une fois déterminé le juge compétent, IL faut s’interroger à nouveau sur la loi applicable. L’enjeu du règlement du conflit de lois est important en ce domaine, car le domaine de la loi applicable





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Chapitre 2 : La loi du délit
Une fois déterminé le juge compétent, il faut s’interroger à nouveau sur la loi applicable. L’enjeu du règlement du conflit de lois est important en ce domaine, car le domaine de la loi applicable s’élargit progressivement, recouvrant des questions qui pouvaient relever dans le temps d’une qualification procédurale. Ainsi, outre les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité, la loi du délit régit la prescription de l’action en justice, la définition des chefs de préjudice réparable (mais l’évaluation des dommages-intérêts reste soumise à la loi du for, du moins lorsqu’elle ne résulte pas d’une règle juridique, par ex, mitigation ; on ne conçoit pas non plus que le juge américain renonce à imposer des dommages-intérêts punitifs dans des cas où une loi étrangère est applicable au fond) et (mais on peut discuter...) le cercle de personnes ayant qualité pour agir en tant que victimes. Sur ces différents points, on peut constater des divergences en droit comparé, génératrices de conflits de qualification (cf l’affaire Mobil : v. fiche TD)...

Mais comment déterminer la loi du délit ? La dissociation des compétences juridictionnelle et législative n’a été que tardivement acquise, l’origine répressive de la responsabilité civile expliquant la faveur doctrinale pour la loi du for (depuis Savigny jusqu’aux traité de H et L Mazeaud) comme la propension des tribunaux à appliquer leur propre loi (comp. aussi la qualification procédurale de certaines questions importantes). Aujourd’hui, une tendance à la convergence des compétences se constate à nouveau, pour des raisons différentes. En effet, comme la compétence judiciaire, la loi applicable est déterminée - exclusivement ou non – par référence au lieu du délit.

En France, la compétence de la lex loci delicti a été affirmée en 1948 par le grand arrêt Lautour, et survit encore, en droit international privé commun. Elle a cédé en revanche, aux Etats-Unis, à l’assaut de la « révolution méthodologique » en matière de conflits de lois, qui en a fait sa principale victime avant de reconnaître que le rattachement par le lieu du délit avait parfois un sens. Si le droit conventionnel et les codifications nationales récentes se sont inspirés de la « crise » méthodologique américaine pour adopter des règles plus flexibles, la question se pose aujourd’hui de savoir si le Règlement « Rome 2 » va adopter une solution analogue. Ce chapitre va donc présenter successivement les trois voies possibles de détermination de la loi du délit, et revêtira ainsi, en ce qui concerne « Rome 2 », un caractère spéculatif...

Section 1 : La solution française

Le droit international privé français se caractérise par l’attachement quasi-militant de la jurisprudence de la Cour de cassation au rattachement des délits à la lex loci delicti, alors même que l’environnement international est favorable depuis plusieurs décennies à l’assouplissement de ce principe (§1). Il faut cependant prêter attention à quelques arrêts récents, qui introduisent un peu de flexibilité en cas de délits complexes (§2).

§1 : La résistance de la lex loci delicti

La longévité de la jurisprudence Lautour (A) s’explique par le fait que la cour de cassation a refusé de céder à diverses sirènes qui ont eu raison du même rattachement dans d’autres pays (B).

A. Condamnant définitivement la tentation de soumettre la responsabilité délictuelle à la loi du for au titre des lois de police et de sûreté (art. 3§1 Code civil) et renouant avec une très ancienne tradition, la Cour de cassation a consacré la compétence de la lex loci delicti dans l’arrêt Lautour du 25 mai 1948. Un camion d’essence appartenant à un entrepreneur français Lautour, entre en collision en Espagne avec un train, et l’explosion subséquente atteint le chauffeur français d’un second camion se trouvant à proximité. Quelle était la loi applicable à l’action de sa veuve contre Lautour ? La circonstance que le contentieux intéressait deux ressortissants français – qui semble avoir influencé la cour d’appel, dont l’arrêt est cassé - n’est pas de nature à faire hésiter la Cour de cassation, pour qui « la loi applicable à la responsabilité civile extra-contractuelle de celui qui a l’usage , le contrôle et la direction d’une chose en cas de dommage causé par cette chose à un tiers est la loi du lieu où le délit a été commis ». La loi espagnole était donc compétente.

A cet égard, il faut signaler deux autres apports importants de l’arrêt Lautour:

  1. la preuve du contenu de la loi espagnole incombait à celui dont la prétention était soumise au droit espagnol (et non pas à celui qui l’invoquait). Autrement dit, il appartenait à la veuve demanderesse de prouver le contenu de la loi espagnole, qui lui était défavorable (la loi espagnole ne connaissait pas la responsabilité objective du fait des choses et exigeait donc que la demanderesse apporte la preuve de la faute du défendeur...): mauvaise solution, aujourd’hui abandonnée depuis l’arrêt Amerford, 1993;

  2. la cour régulatrice rejette l’argument invoqué par la demanderesse, selon lequel l’article 1384 al. 1er code civil revêtirait un caractère d’ordre public international. Pareil rejet n’a rien de très surprenant, mais la définition de l’ordre public que donne la Cour de cassation est remarquable : il s’agirait des « principes de justice universelle considérées dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue » (il n’est pas certain aujourd’hui que les tous droits affirmés au nom de la CEDH répondent véritablement à ce critère). Cela dit, la jurisprudence est restée fidèle à cette rigueur initiale, refusant de faire intervenir l’ordre public contre des lois étrangères pourtant très différentes de la loi française (sont conformes à l’ordre public les droits qui prévoient de très courtes prescriptions, qui ne reconnaissent pas le principe de la réparation intégrale, qui subordonnent la qualité pour agir en responsabilité à l’exigence supplémentaire d’une « proximité suffisante »... comp. l’affaire Mobil - etc)

Pour en revenir à la lex loci delicti, la préférence donnée à la loi territoriale (par rapport à la loi du for ou de la loi nationale commune des parties) se recommande de l’idée selon laquelle le rattachement à la loi du lieu de l’équilibre rompu entre les parties correspond au mieux à la fonction de justice commutative de la responsabilité civile (rétablir l’équilibre rompu). Par ailleurs, elle permet de mesurer le comportement de chacun selon la loi du lieu où il agit. Enfin, comme le souligne la note de H. Batiffol sous l’arrêt, « pour une fois la jurisprudence française ne pourra être taxée de chauvinisme, et ce sont les jurisprudences étrangères qui , sur ce point sont moins objectives »...La solution a donc été généralement approuvée (si ce n’est que l’attendu principal intègre dans la formulation du rattachement une qualification secondaire : c’est évidemment à la loi du délit de dire si, parmi ses propres dispositions, il en a qui s’appliquent spécifiquement à la responsabilité du fait de la garde d’une chose). Elle a d’ailleurs fait preuve d’une remarquable longévité, car elle est toujours de droit positif français dans le cas de délits simples. C’est dire qu’elle a résisté aux défis qui ont conduit, dans d’autres pays, à sa remise en cause totale ou partielle.
B. On sait qu’en 1948, la lex loci delicti a triomphé des prétentions concurrentes de la lex fori. Mais d’autres défis l’attendaient. Ils sont essentiellement de trois ordres, et tiennent soit à la mécanicité du rattachement territorial, soit à l’évolution des fonctions de la responsabilité civile, soit à l’apparition de régimes spéciaux dans lesquels il était tentant de voir des lois de police.

  • (i) Le grief de mécanicité est celui qui a conduit aux Etats-Unis non seulement à l’abandon de ce rattachement, mais à une crise méthodologique de plus grande envergure affectant l’ensemble des conflits de lois. En France, ces remous ont été captés par la doctrine, qui a proposé, sans succès cependant, d’assouplir le rattachement dans certains cas. Comme on le verra, seuls les délits complexes ont bénéficié, récemment, de l’apport de ces idées. Celles-ci consistent à faire valoir que la loi du lieu du délit ne représente pas nécessairement le centre de gravité de la situation litigieuse lorsque les parties partagent par ailleurs un rattachement personnel commun, ou relèvent du même milieu socio-juridique. Dans ce cas, le lien personnel doit prévaloir sur le rattachement territorial, qui paraît purement fortuit et donc peu significatif. Ainsi, est-il légitime d’appliquer la loi espagnole du lieu de l’accident aux rapports entre le conducteur d’un véhicule et son passager, lorsque les deux parties intéressées étaient venues de Pau passer une soirée au restaurant de l’autre côté de la frontière ? Si une colonie de vacances française installe un camp dans la campagne anglaise, est-il légitime de soumettre l’action en responsabilité des parents d’un enfant blessé ou maltraité au cours du séjour contre les responsables à la loi anglaise ? Des codifications récentes ont admis que le lien national (ou domiciliaire) commun doit prévaloir dans ce cas (par ex, la loi allemande DIP : v. fiche TD). On peut se demander cependant, comme le fait le droit international privé américain, si le caractère plus ou moins significatif du lien personnel ne dépend pas de la question posée. Par exemple, s’il s’agit d’apprécier la licéité du comportement du défendeur (a-t-il respecté les règles de sécurité, les limites de vitesse ? etc), la loi territoriale conserve peut-être ses titres d’application car la prévisibilité requiert de se référer au droit en vigueur au lieu où on agit. En revanche, s’il s’agit de déterminer la nature ou l’étendue de la responsabilité, la loi du milieu socio-juridique semble plus adéquate. Quoiqu’il en soit de ces objections, la cour régulatrice y est demeurée insensible (jurisprudence abondante sur ce point ).




  • (ii) L’évolution des fondements du droit de la responsabilité civile et sa diversification sont également la cause d’une certaine dissatisfaction à l’égard de la lex loci delicti. Il faut reconnaître que les difficultés apparaissent d’abord en cas de délits complexes, l’idée selon laquelle chacun doit être jugé selon la loi du lieu où il agit conduisant à préférer la loi du lieu du fait générateur dans une conception essentiellement sanctionnatrice de la responsabilité civile, alors que l’idéologie de la réparation, accompagnée du foisonnement de régimes de responsabilité sans faute, conduit à se demander s’il ne faudrait pas privilégier la loi du dommage comme étant plus conforme à la nouvelle finalité, réparatrice et non plus répressive, de la responsabilité civile. On se demande même – et on retrouve ici les délits de presse impliquant une atteinte aux droits de la personnalité (comp. supra sur la compétence juridictionnelle) – s’il ne faudrait pas modifier le rattachement de certains délits pour privilégier la loi du domicile de la victime, lieu où se localise la personnalité et les intérêts moraux de celle-ci. La solution de l’arrêt Lautour repose en effet sur une vision monolithique de la responsabilité civile qui peut sembler quelque peu dépassée aujourd’hui et qui appelle en tout cas certains assouplissements. Ici encore, les modèles étrangers attestent la nécessité de tenir compte de certains délits spéciaux et laissent place à une adaptation du rattachement de principe dans des cas particuliers (environnement, délits de marché, diffamation, etc). La même tendance se manifeste dans le droit conventionnel issu de la Conférence de la Haye, qui accentue la spécificité des divers délits en les pourvoyant de règles de conflit spéciales : accidents de la circulation (1971 : ce texte rend obsolète l’arrêt Lautour dans son domaine propre), responsabilité du fait des produits (1973). Outre le fait qu’elles adoptent chacune des solutions distinctes, ces conventions empruntent une méthodologie nouvelle (regroupement des points de contact) largement inspirée de la « crise » américaine, qui relative considérablement le rôle de la lex loci delicti. Or, ces conventions sont en vigueur en France et auraient pu inspirer à la jurisprudence une volonté d’adapter la solution Lautour à d’autres catégories de délits. Cela n’a pas été le cas, à l’exception de la tendance des juges du fond à appliquer la loi du domicile en matière d’atteinte aux droits de la personnalité.


(iii) L’apparition de régimes législatifs nouveaux s’accompagne de la tentation d’y voir des lois de police. S’agissant de la responsabilité du fait des produits, cette tentation est devenue une réalité communautaire, puisque la directive de 1986 (art. 1386-1 code civil) peut sans doute être considérée comme une loi de police communautaire, applicable dès lors que le produit cause un dommage sur le territoire d’un Etat membre (l’intérêt d’une telle qualification n’existant cependant que si la loi issue de la directive est susceptible d’entrer en concurrence avec une loi tierce). S’agissant en revanche de régimes spéciaux de source nationale, telle la loi Badinter de 1985 en matière d’accidents de la circulation, la Cour de cassation a refusé d’en faire une loi d’application immédiate (v. par ex. Cass civ 1re, 22 janvier 1991, Rev crit DIP 1991.354 (2ème espèce), note Bourel). Toutefois, cette solution doit être interprétée avec prudence. Car le fait d’exclure l’application immédiate de la loi française de 1985 lorsque l’accident a lieu à l’étranger (dans l’affaire de 1991, en Espagne) ne signifie pas nécessairement que la même loi n’exige pas de s’appliquer impérativement aux accidents survenus en France (dans une hypothèse où, selon la règle de conflit issue de la Convention de la Haye de 1971, la loi du délit serait une loi autre que la loi locale). En tout cas, elle a maintenu le cap défini en 1948 par l’arrêt Lautour en matière d’ordre public, et se montre hostile à l’égard de tout stratagème destiné à faciliter le retour à la loi du for.

§2 : Frémissements récents en cas de délits complexes ?
La Cour de cassation n’entend certainement pas faire place à un raisonnement « proximiste » lorsque le délit est localisé en une seul pays. Mais en cas de dispersion des éléments constitutifs, il y aurait peut-être de la place pour des solutions plus souples, permettant de mieux choisir entre la loi du lieu du fait générateur et celle du lieu du dommage. En effet, la solution traditionnellement consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation est très difficile à interpréter sur ce point ; par ex, un arrêt souvent cité de la Cour de cassation du 8 février 1983 (Banque Pons c. Horn y Prado) déclare expressément que la loi applicable est la loi du dommage, mais en l’occurrence il ne s’agit pas d’un délit complexe... Plus intéressants, en revanche, quelques arrêts récents ont pu être interprétés comme signalant la volonté de la cour régulatrice d’assouplir le rattachement en cas de délit complexe, par recours soit au cumul électif (choix de la victime), soit, de façon plus convaincante, au principe de proximité, mais ils doivent être lus avec beaucoup de prudence.
Cass civ 1re 14 janvier 1997, Soc Gordon and Breach. Le premier arrêt à avoir attiré l’attention de la doctrine en ce sens concerne un délit commis par voie de presse. Une revue scientifique américaine diffusée en France a publié un texte qui se livrait, selon le demandeur, à un dénigrement caractérisé à son égard et constituait par là même un acte de concurrence déloyale. La cour d’appel avait estimé que le lieu du délit, constitué par la publication de article litigieux, se trouvait aux Etats-Unis ; elle avait ainsi considéré que le lieu du délit était le lieu du fait qui lui a donné naissance. Son arrêt est censuré par un attendu ambigu : ayant réaffirmé la compétence de la lex loci delicti, la cour régulatrice énonce que le lieu du délit s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que du lieu de réalisation de ce dernier. Choix du demandeur, comme l’ont pensé certains commentateurs, songeant sans doute à Fiona Shevill ? Non, car la Cour de cassation s’empresse d’ajouter que le fait générateur des responsabilité dans le cas de délit commis par voie de presse est constituée par la diffusion des revues. Cette dernière qualification, qui est contraire à celle retenue par la Cour de Luxembourg pour les besoins de la compétence juridictionnelle dans Fiona Shevill, revient à transformer le délit complexe en délit simple et permet d’esquiver les problèmes posés dans ce dernier cas et d’appliquer... la loi française. Que retenir de cet arrêt ? Seulement le fait qu’en cas de dissociation des éléments constitutifs du délit, les lois du fait générateur et du dommage ont a priori une vocation égale à s’appliquer. Mais comment choisir ? En esquivant le problème ici, la Cour de cassation oblige à attendre de nouveaux arrêts...
Cass civ 1re, 11 mai 1999, Mobil North Sea. Cet arrêt est plus intéressant, par l’usage qu’il fait à la loi des « liens les plus étroits ». Il s’agit de la seconde étape de l’affaire Mobil, qui avait donné lieu à un premier arrêt de la Cour de cassation en 1997, rejetant l’action contractuelle de la société Mobil contre les constructeurs d’une plate-forme pétrolière qui s’est effondrée dans la Mer du Nord. En effet, cette action s’était heurtée à la prescription selon le droit anglais applicable aux contrats (= rejet sur ce point du « renvoi de qualifications » que Mobil avait essayé d’exploiter). Mobil recommence donc sur le plan délictuel et agit contre Lloyd’s Register of Shipping, lui reprochant d’avoir mal exercé sa mission de contrôle auprès des divers constructeurs (qui étaient établis dans plusieurs pays européens, y compris la France : forum shopping en France sur le fondement de l’article 5-3°...Mobil espérait échapper à la prescription que lui auraient opposée encore une fois les tribunaux anglais). Quelle était la loi applicable ? Le naufrage avait eu lieu dans les eaux territoriales écossaises, mais la mission de Lloyds s’accomplissait dans les pays des constructeurs. Approuvée par la Cour de cassation, la cour d’appel relevant la multiplicité des lieux des faits générateurs, applique la loi écossaise, jugée présenter les liens les plus étroits avec le fait dommageable. Que faut-il comprendre par là ? La cour d’appel semble considérer qu’en cas de dissociation des éléments du délit, il existe une présomption des liens plus étroits avec le lieu du dommage. Elle a relevé ensuite divers autres rattachements confirmant cette proximité. Autrement dit, elle fait du principe de la loi des liens les plus étroits, présumés coïncider avec la loi du dommage, un principe de désignation de celles des deux lois qui doit s’appliquer. Mais la cour régulatrice, tout en approuvant le résultat obtenu, ne dit pas exactement la même chose. Pour elle, il n’y a pas de présomption en faveur de l’un ou l’autre élément du délit ; simplement, devant la vocation égale des deux rattachements, la moindre proximité (décrite par JM Bischoff comme une « exception d’éloignement ») permettra de disqualifier l’une ou l’autre loi (comp. se conformant à cette solution sur renvoi, Paris, 21 janvier 2000, D.2002, som. comm., p.1389, obs. Audit). Par conséquent, il ne faut pas lire dans cet arrêt un appel direct au principe de proximité comme principe de désignation de la loi applicable. La proximité semble cantonnée dans un rôle négatif. Mais la lecture de l’arrêt doit être d’autant plus prudente que sa motivation est ambigue : les liens les plus étroits conduisent selon l’arrêt à la loi du Royaume-Uni; ce n’est qu’en sous-ordre que la loi écossaise est désignée comme loi du lieu du dommage. Par ailleurs, on ne sait pas si l’arrêt conditionne la mise en oeuvre de l’exception d’éloignement à l’existence d’une pluralité de lieux du fait générateurs (ce serait peu rationnel, l’idée qui l’inspire vaut pour toute hypothèse de dissociation des éléments constitutifs du délit)...
Cass civ 1re, 5 mars 2002, Sisro. Cet arrêt semble confirmer le rôle de la proximité tel que conçu par l’arrêt Mobil, mais l’interprète doit rester prudent en raison du contexte spécifique dans lequel il intervient (contrefaçon ; applicabilité de la Convention de Berne du 9 septembre 1886). Cependant, il contient bien, sur le fondement de l’article 5(2) de la Convention de Berne, une référence générale « aux règles de conflits de lois en matière de responsabilité extracontractuelle ». L’hypothèse est celle de la pluralité des lieux de faits générateurs. La société française Sisro agissait en contrefaçon contre diverses sociétés (suédoise, anglaise, néerlandaise et française) à raison de faits commis dans quatre pays différents. La cour d’appel avait appliqué distributivement les lois de ces pays. Le pourvoi invoquait la Convention de Berne, applicable à la protection des droits de propriété industrielle, pour essayer d’obtenir l’application exclusive la loi française prise comme « loi du lieu où la protection est réclamée » (art. 5-2 CB). Le pourvoi est rejeté, au motif que cette référence à la loi du lieu où la protection est réclamée ne vise pas celle du for mais celle du délit ; or, en présence d’une pluralité de lieux de commission des agissements délictueux, « la loi française en tant que lieu du préjudice, n’a pas vocation exclusive à régir l’ensemble du litige en l’absence d’un rattachement plus étroit, non démontré, avec la France ». Cet arrêt semble donc confirmer qu’en cas de dissociation entre les lieux du fait générateur et du préjudice, les deux rattachements ont bien a priori une vocation égale à déterminer la loi applicable, mais que l’existence d’un lien plus étroit permettrait de désigner l’une ou l’autre branche de l’option. La proximité y apparaît donc encore sous forme d’une « exception d’éloignement ». En l’occurrence, aucun lien plus étroit n’étant démontré avec le lieu du préjudice, la loi du fait générateur conserve sa vocation à s’appliquer. S’agissant d’un fait complexe – et c’est l’autre enseignement de cet arrêt – chaque élément appelle l’application de sa loi propre. On peut cependant se demander si, en matière de contrefaçon, le dommage est réellement séparable du fait générateur. L’action en contrefaçon n’est pas tributaire de la preuve d’un dommage. Celui-ci ne survient-il pas nécessairement au lieu de la copie illicite ?

En conclusion : petit rôle « départiteur » de la proximité en cas de délit complexe, en attendant l’entrée en vigueur du futur règlement « Rome 2 , dont le contenu s’annonce « proximiste ». On constate l’importance de l’influence de la révolution méthodologique américaine, qu’il s’agit de voir maintenant...


Section 2 : La révolution méthodologique américaine

C’est à partir d’une critique des solutions traditionnelles de conflits de lois en matière de responsabilité délictuelle qu’est intervenu, au milieu du XXème siècle, le renouvellement du droit international privé américain. Celui-ci consiste en une approche plus souple, fondée sur une analyse des intérêts concrets en jeu dans une situation de conflit de lois. On examinera successivement l’état de droit traditionnel « pré-révolutionnaire » (§1°), les idées doctrinales constitutives de la « crise du conflit de lois » (§2), puis leur impact sur la jurisprudence (§3).
§1 : La tradition : de Story à Beale (1834 à 1934)
Joseph Story, grand professeur à Harvard puis juge éminent, a publié en 1834 ses « Commentaries » des conflits de lois, le premier exposé systématique de droit international privé en langue anglaise. Curieusement, l’inspiration en est largement européenne : il s’est servi des écrits d’auteurs européens, notamment de l’école hollandaise (Huber), qui faisant partie de la collection que Samuel Livermore, citoyen francophone de la Louisiane et également auteur d’un ouvrage sur les conflits de lois rapidement éclipsé par celui de Story, avait léguée peu de temps auparavant à la bibliothèque de Harvard. Cette inspiration se reconnaît à l’usage que fait Story du concept de comitas ou de « courtoisie internationale » pour expliquer pourquoi un Etat fait place à la loi d’un autre, à la nature profondément territorialiste des solutions proposées (loi du « dernier impact » en matière de délit complexe...), au caractère bilatéraliste des règles de conflit, et au caractère systématique de l’exposé, qui contrastait avec la façon de penser des common lawyers généralement peu accueillants à l’égard des présentations abstraites (songez aux problèmes épistémologiques que soulève aujourd’hui le concept d’une codification européenne : la common law se prête-t-elle à une mise en système ?). Cet ouvrage allait exercer une influence considérable sur le développement du « droit des conflits » (généralement appliqué dans les conflits intra-fédéraux) pendant au moins un siècle. Il a rayonné en dehors des Etats-Unis jusqu’en Europe, où il a été lu par Savigny, qui lui a emprunté diverses idées - intéressant retour des choses - notamment celle des « lois positives rigoureusement obligatoires », sorte de précurseur des lois de police ou d’ordre public.
Cent ans plus tard, est publié le premier Restatement des conflits de lois, codification savante sans valeur obligatoire, élaborée sous la direction de Beale et de son équipe (Harvard). L’esprit du droit qui y est exposé est encore très largement celui de Story. Les règles de conflit de lois y sont bilatérales et fortement colorées de territorialisme (la lex loci delicti y occupe une place de choix). Simplement, Beale a abandonnée la vieille explication du conflit de lois en termes de courtoisie entre Etats souverains (mais cette notion renaît aujourd’hui, dans un contexte nouveau, dans le DIP anglais) en faveur de la notion de droit acquis (vested rights) qu’il emprunte au grande auteur anglais, Dicey, qui publie son premier traité de droit international privé en 1896. L’idée consiste à dire qu’un juge n’applique jamais vraiment une loi étrangère, mais se borne à donner effet à un droit subjectif créé sous l’empire d’un autre ordre juridique territorial. Le caractère abstrait et systématique de l’exposé demeure. Or, c’est sur ce terrain que l’oeuvre de Beale attire les foudres des tenants d’une méthodologie « révolutionnaire » américaine.

§2 : Les idées nouvelles : la « crise du conflit de lois »

Alors que le parcours du droit des conflits de lois restait jusque-là relativement serein, un courant de pensée nouvelle balayait depuis les premières années du XXème siècle les autres disciplines juridiques. C’est le mouvement « réaliste » américain, né en réaction par rapport au classicisme d’une Cour Suprême très conservatrice, qui utilisait des méthodes d’interprétation exégétiques ou « formalistes » de la Constitution pour trancher de grandes questions de politique sociale. Ce vaste mouvement critique était composé de courants assez divers et a donné lieu à son tour à de nouvelles écoles de pensée, souvent à forte coloration interdisciplinaire, qui continuent à se développer encore aujourd’hui (sociological jurisprudence, feminist jurisprudence, critical legal studies, gender studies, narrative jurisprudence, critical racial studies, law and literature, law and economics, behavioural law and economics....). Au delà de cette diversité, le mouvement réaliste se caractérise, d’une part, par la conception du droit comme un instrument d’ « ingénierie sociale », ce qui veut dire que les solutions (élaborées par le juge : n’oublions pas que nous sommes ici en pays de common law, où le juge est la source principale du droit) ne doivent pas être déduites aveuglément de la lettre de textes préexistants, mais doivent répondre aux besoins de la société, d’autre part, par le rejet (plus ou moins radical selon les courants) du raisonnement déductif, perçu comme mécanique et artificiel (le juge n’est pas un automate mais un ingénieur social). Le courant le plus radical prône le « rule-scepticism » : le concept de « règle » de droit est à bannir, car il occulte le fait que le droit n’est en toute hypothèse qu’interprétation (tout dépend de l’interprète : ce thème rejoint le tournant herméneutique en philosophie et est repris aujourd’hui par les critical racial studies et les mouvements narrativistes et féministes, qui voient dans le droit un récit...qui refoule le plus souvent les voix des minorités). On peut voir dans le mouvement réaliste, au moins pour partie, l’apologie de la méthode de la common law, légitimant le pouvoir créateur du juge au delà des textes.
Quel est le rapport de ce courant de pensée avec les conflits de lois en matière délictuelle ? La publication du 1er Restatement a provoqué une prise de conscience, notamment chez l’école de Yale, du caractère décalé de la pensée juridique en matière de conflits de lois par rapport au renouveau « réaliste » que connaissaient d’autres branches du droit. Alors qu’ailleurs on prônait l’abandon des règles, du raisonnement déductif, des solutions mécanicistes, l’oeuvre de Beale faisait figure de relique « formaliste ». Il fallait donc restituer au juge le rôle qui est le sien selon la common law, abandonner le dogme de la territorialité des lois et remplacer les rattachements abstraits par des solutions plus proche de la réalité sociale. Les règles de conflit bealiennes n’étaient -elles pas elles-mêmes source de conflits ? Dans Alabama Great Southern Railroad Co v. Carroll, 1892, la Cour suprême de l’Alabama a appliqué le principe de la lex loci delicti pour déterminer le sort de l’action d’un employé des chemins de fer contre son employeur, à raison d’un accident survenu alors qu’il réparait un frein. Le hasard a fait que l’accident eut lieu juste après le passage de la frontière entre l’Alabama et le Mississippi, rendant ainsi applicable la loi de ce dernier Etat, qui refusait toute indemnisation. Etait-ce là une solution juste ?
Si le premier assaut mené contre le bilatéralisme bealien a été mené par Walter Wheeler Cook, la local law theory proposée par celui-ci ne comportait pas de solution de rechange convaincante. Il s’agissait seulement d’expliquer comment s’appliquent les lois étrangères devant les tribunaux du for. La réponse de Cook était que la loi étrangère était en quelque sorte incorporée dans la loi du for (comp. la théorie italienne de l’incorporation de la loi étrangère) ; en effet, selon les idées réalistes, il n’existe pas véritablement de réalité juridique avant sa concrétisation par le juge ; la loi étrangère en tant qu’entité abstraite n’existe pas. Cela dit, cette explication, qui n’est pas moins plausible, après tout, que celle fondée sur les droits acquis, ne fournit pas de critère de désignation de la loi applicable. David Cavers s’est donc attaché à préciser ce critère. Pour lui, en 1933, le juge devait rechercher « la justice dans chaque cas ». Mais quid de la prévisibilité ? Même en common law, le juge est tenu par les précédents ; il ne réinvente pas le droit à chaque fois. La doctrine de Cavers a donc évolué. En 1965, il proposait ainsi des « principes de préférence », directives souples destinées à guider le juge sans sacrifier la prévisibilité des solutions. Il s’agissait de rechercher, à partir de l’observation de la jurisprudence, la solution la plus juste dans différentes configurations de fait, compte tenu de différences dans le contenu des droits en présence, qui peuvent être plus ou moins protecteurs de la victime, etc. Pareille solution, dont l’orientation reste très privatiste, est séduisante ; elle est cependant complexe à mettre en oeuvre et suppose que soient bien déterminées les finalités de droit substantiel que l’on poursuit (objectif de réparation, etc). Entretemps, un auteur anglais, JHC Morris (qui joindrait plus tard son nom à celui de Dicey sur le plus grand ouvrage anglais de DIP : Dicey & Morris, The Conflict of Laws) a publié un article dans la Harvard Law Review 1951, après un séjour dans cette université où il a pris connaissance du bouillonnement des idées en matière de conflit de lois, préconisant de transposer aux délits la méthode souple déjà acquise en Europe en matière contractuelle (comp. en France, la théorie de la localisation objective de Batiffol), qui consiste, en regroupant les points de contact à découvrir la proper law du délit.
Mais c’est la théorie des « intérêts gouvernementaux » de Brainerd Currie qui, éclipsant bientôt dans une large mesure la pensée de Cavers, a exercé la plus grande influence sur la doctrine et sur la jurisprudence. Empruntant une perspective publiciste, la doctrine de Currie repose sur une méthodologie néo-unilatéraliste et se présente essentiellement comme une méthode d’interprétation du domaine de la loi du for. Elle est née de l’observation de la jurisprudence de la Cour suprême en matière constitutionnelle (Alaska Packers, 1935 : rapport de travail noué en Californie mais s’exécutant en Alaska ; pesée des « intérêts gouvernementaux » respectifs de l’Alaska et de la Californie, au regard de Full Faith and Credit, qui ne doit pas jouer de façon mécanique). A beaucoup d’égards, elle évoque la méthode de lois de police, car elle est fondée sur la recherche des finalités des lois en conflit (la méthode est « rule-selecting », par opposition à la règle de conflit bealienne, qui désigne des ordres juridiques abstraits, dans leur globalité ; elle suppose, comme la méthode de Cavers, que l’on raisonne par question de droit, issue by issue, et non à partir de grandes catégories), afin d’en découvrir leur champ d’application – leur intérêt à s’appliquer dans un cas concret. Parmi les grands apports de sa doctrine figure la distinction entre les « vrais » et les « faux » conflits. Elle se fonde sur l’idée selon laquelle, dans beaucoup de cas, la recherche des finalités poursuivies par les lois en conflit (et d’abord par la loi du for) va révéler qu’une seule d’entre elles est réellement « intéressée » par le cas concret. Ce sera le cas, notamment, si ce cas ne présente pas de lien suffisant avec l’un des Etats pour justifier l’application de sa loi : par ex, si la loi du for, poursuivant une politique protectrice de la victime, vise à protéger tous les résidants de l’Etat du for, elle ne sera concrètement intéressée que si, précisément, la victime est un résident de cet Etat ; si la configuration de fait s’inverse, la victime venant d’ailleurs et le défendeur étant résident, la loi en question ne sera pas « intéressée ». Ce n’est que si le conflit est « vrai » qu’il faut départager les lois en présence. Sur ce point, la doctrine de Currie est moins convaincante. Il conseille de réinterpréter les objectifs des lois en présence et, si le conflit reste irréductible, il faut appliquer la loi du for par défaut.
Cette théorie a certainement été la plus influente ; on lui reconnaît l’immense mérite d’avoir permis de repenser le conflit de lois. Cependant, elle a été très controversée, et le reste encore aujourd’hui.

*On lui reproche son caractère lex foriste ; elle est essentiellement une méthode d’interprétation de la loi du for, laquelle conserve aussi un titre prédominant en cas de vrai conflit.

*On lui reproche la difficulté d’identifier des finalités ou politiques étatiques derrière la plupart des règles de droit privé, lesquelles sont au demeurant généralement indifférentes quant à leur champ d’application dans l’espace : c’est bien pour cela qu’il faut des règles de conflit extérieures aux règles analysées pour en déterminer leur domaine d’applicabilité.

*On lui reproche de prendre pour hypothèse le conflit de lois surgissant entre des règles dérogatoires (souvent archaiques) par rapport au droit commun des Etats de l’Union. Ce serait donc une théorie inexportable en dehors des USA et d’ailleurs dépassée, car la plupart des règles dérogatoires en matière délictuelle qui ont servi d’exemple à Currie (immunité entre époux ; plafonnement du montant de l’indemnisation en cas d’accident mortel, etc) ont été abrogées depuis longtemps. Dans un environnement mondialisé, et dans un contexte où les conflit de lois en matière délictuelle concernent désormais les grandes actions collectives liées à des accidents de masse, il n’est pas certain que la méthodologie de Currie soit réellement utile.

*On lui reproche son caractère discriminatoire et donc anti-constituionnel. Faute de pouvoir découvrir de véritable indication quant au champ d’application d’une loi de droit privé dans l’espace, Currie présume que chaque Etat s’intéresse à ses propres résidents. Or, les constitutionnalistes prétendent que la Fédération est construite sur un principe de territorialité, qui condamne le recours à un critère personnaliste pour résoudre les conflits de lois. Curie réplique qu’il ne s’agit pas pour lui de discriminer contre les non-résidents, mais de respecter le champ d’autorité des autres Etats pour légiférer à l’égard de leur propre citoyens...

*La théorie de Currie se heurte au constat qu’elle ne fournit aucune solution lorsqu’il y a vraiment un conflit

de lois (un cumul de lois intéressées, selon la terminologie unilatéraliste). Par ailleurs, il a admis que dans certains cas, aucun Etat n’est intéressé ( hypothèse unilatéraliste de la lacune). Aujourd’hui, les défenseurs de la doctrine de Currie s’acharnent à démontrer qu’il n’y a pas, en réalité, de « unprovided-for case »...
§3 : le Second Restatement : souplesse encadrée
Au milieu de ce bouillonnement doctrinal, le Premier Restatement de Beale a été remplacé par un deuxième, établi sous la direction de Willis Reese, de l’Univ. Columbia, qui emprunte une voie résolument médiane, fondée sur le recours au principe de proximité, selon lequel la loi applicable est en principe la loi des liens les plus étroits (most significant relationship). La célèbre Section 6 indique de façon souple les facteurs qui aideront à l’identifier : besoins de l’ordre international et interstate ; politiques du for ; politiques des autres Etats intéressés  compte tenu de la question de droit litigieuse ; la protection des attentes légitimes ; les intérêts en jeu dans la matière litigieuse ;certitude, prévisibilité ; mise en oeuvre aisée des solutions. Ensuite, pour chaque matière, des solutions plus précises sont proposées à titre indicatif ou présomptif. Comme tout compromis, cette voie moyenne a fait l’objet de critiques. Elle a cependant convaincu une partie de la jurisprudence. Aujourd’hui on en envisage la réforme (vers un 3ème Restatement des Conflits de lois), car l’ensemble est insuffisamment tourné vers la scène internationale et donc peu convaincant dans un environnement mondialisé. Par ailleurs, de nouveaux problèmes sont apparus (commerce électroniques, délits électroniques, délits de masse).


§4. La jurisprudence de l’Etat de New York
Les nouvelles méthodologies n’ont pas été uniformément adoptées par les différents Etats de l’Union. En dehors des torts, elles ont peu de succès. Même en matière de responsabilité délictuelle, certains restent attachés au First Restatement, d’autre adoptent le R. Second. Certains adoptent des doctrines dissidentes (succès de la doctrine de Leflar de la « better law », par ex). Les Etats de NY et de Californie (où le grand juge Traynor était un ami de Currie) sont les plus avant-gardistes et subissent l’influence, moyennant des ajustements cependant, des idées de Currie...

Le premier « ballon d’essai » des nouvelles méthodologies à NY a eu lieu dans le célèbre arrêt Babcock v. Jackson (NY Court of appeals, 1963). L’approche est en réalité éclectique, car on voit s’y mélanger la méthode du « regroupement des points de contact » avec celle, plus radicale, des « intérêts gouvernementaux », qui reste cependant prédominante. Melle Babock prit place dans la voiture de M Jackson, à NY, en vue d’une excursion. Accident grave alors qu’ils étaient au Canada, dans l’Ontario. De retour à NY, Melle Babcock, grièvement blessée, agit contre le conducteur. Le Premier Retatement conduisait dans ce cas à la loi de l’Ontario, lex loci delicti, qui interdisait l’action du passager bénévole ; la loi de NY l’admettait. Abandonnant cette méthodologie perçeu comme trop mécanique, la Cour de NY relève que le seul titre de l’Ontario à régir la question de droit litigieuse (issue) est le lieu fortuit de l’accident. Estimant que la règle de l’immunité du transporteur bénévole a pour finalité d’empêcher la collusion frauduleuse des parties contre les compagnies d’assurance, elle a estimé que l’Ontario avait peu d’intérêt à voir sa règle s’appliquer en l’occurrence, où les parties étaient domiciliées à NY, alors que ce dernier Etat a un intérêt à ce que les victimes résidant à NY soient indemnisées (ultérieurement, d’autres cas feront valoir que son intérêt est de protéger les « créanciers médicaux »). C’est donc une hypothèse de faux conflit : la loi de NY, seule intéressée, s’applique. La règle de conflit de lois est créatrice de conflit dans ce cas.
Dans Neumeier v. Kuehner (NY CA, 1972), les faits sont à première vue analogues, mais on ne se trouve plus en réalité en présence d’un faux conflit. Une voiture conduite par un résident de NY est également impliquée dans un accident dans l’Ontario (collision avec un train, cf Lautour), mais cette fois-ci, le passager est citoyen de l’Ontario. Cette modification de la configuration de fait change tout. La Cour commence par rectifier son interprétation dans Babcock des finalités du guest statute, dont le but est simplement de moraliser les relations entre transporteur et passager bénévoles ( ! cf les critiques adressées à Currie, quant à la difficulté pour un juge de définir les finalités poursuivies par une loi, surtout quand elle n’est pas celle du for). Dans ces conditions, le défendeur de NY peut-il invoquer la loi de l’Ontario en sa défense ? La Cour répond par l’affirmative. Mais pour ce faire, elle fait état de la nécessité d’instaurer quelques principes destinés à sauvegarder la sécurité juridique ; ils peuvent être induits de cas tranchés par les tribunaux sur le fondement des nouvelles méthodes, qui ont permis de dégager les finalités législatives dans diverses situations typiques.

Ainsi : 1) cas du domicile commun : si les deux parties ont leur domicile dans le même Etat et que l’accident a lieu ailleurs, la loi du domicile commun s’applique lorsque l’issue concerne le niveau de précaution que le transporteur doit prendre à l’égard de son passager ;

2) cas des domiciles dissociés (1): si l’accident a eu lieu dans l’Etat de son domicile et que le défendeur n’est pas responsable selon cet Etat, il ne peut pas l’être en application de la loi plus sévère du dom. de la victime.

3) cas des domiciles dissociés (2) : si l’accident a eu lieu dans l’Etat du dom. de la victime, et que celle-ci admet la réparation, le défendeur ne peut pas s’abriter derrière la loi de son propre dom.

4) dans d’autres cas (par ex, accident dans Etat tiers), ce sera généralement la loi du lieu du délit qui s’appliquera (tie-breaker). Mais cette présomption peut être écartée si l’application de cette loi irait contre les besoins de l’ordre international ou serait source d’imprévisibilité pour les parties.

En toute hypothèse, la loi du lieu du délit s’appliquera si le litige concerne des règles de conduite, qui sont nécessairement locales. Mais la plupart des contentieux concernent le régime de la réparation (immunité du défendeur, par ex).
Ici on appliquera le principe n°3. Appliquer la loi de NY, qui permettrait au contraire de retenir la responsabilité du défendeur new yorkais, n’aurait aucun sens particulier, en l’absence d’intérêt fort de cet Etat (dont la politique d’indemnisation des victimes n’est pas suffisamment forte pour priver le défendeur de sa défense), alors que l’Ontario vise bien à sanctionner l’ingratitude des victimes résidents...
Schultz v. Boy Scouts of America (CA NY 1985) est un cas tragique, dans lequel un jeune garçon s’est suicidé après avoir fait l’objet d’actes de pédophilie de la part d’un moine franciscain, qui était également son professeur et chef de la troupe de scouts auquel il appartenait. Son frère, survivant, a fait l’objet du même traitement. Les deux défendeurs, Boy Scouts of America (incorp. dans le NJ) et Order of Franciscan Brothers of the Poor (incorp. dans l’Ohio) , invoquaient l’immunité conférée aux oeuvres de charité par la loi de New Jersey, loi du domicile de la famille de la victime. Mais cette dernière invoquait la loi de NY, qui ne connaît pas cette immunité. Les actes délictueux (choix négligent de l’employeur ; actes de pédophilie et de harcèlement sexuel) ont été commis à NY. Dans l’action contre l’employeur, Boy Scouts, la Cour applique le 1er principe Neuemeier, en raison du domicile commun des parties. Elle relève que le cas est celui de Babcock renversé, car NY est cette fois-ci la loi du lieu du délit. NY n’a aucun intérêt particulier à imposer sa politique de responsabilité des oeuvres charitables ici, tandis que les victimes ne sont pas soignées dans les hôpitaux de NY. En revanche, l’application de la loi du domicile commun se recommande de considérations d’harmonie internationale des décisions (éviter le forum shopping) et de prévisibilité. Dans l’action contre l’ordre franciscain, c’est le 4ème principe qui s’applique, car les parties n’ont pas de domicile commun et le délit a été commis dans un Etat tiers (NY). Ici, la Cour décide d’écarter la loi du lieu du délit, car la loi de NJ a un intérêt à maintenir à l’égard de ses résidents les bénéfices et les fardeaux de sa politique à l’égard des oeuvres charitables (profiter de toutes les activités bénévoles qu’elles pratiquent ; mais accepter en contrepartie leur absence de responsabilité). Donc, la loi de NJ s’applique à l’égard des deux défendeurs, qui n’engagent pas leur responsabilité... Cette décision a été très controversée. Est-elle juste ? Une opinion dissidente a fait valoir que le résultat était pré-jugé par le fait que l’analyse se concentrait sur la politique de NJ en matière d’oeuvres charitables alors que NY, lieu des faits délictueux, a une politique aussi forte de « non-immunité », c’est-à-dire de sanction des activités pédophiles... Cette critique montre les limites de l’analyse des finalités et politiques en présence ; elle est facilement biaisée, selon la façon dont on pose la question litigieuse...

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