télécharger 112.61 Kb.
|
Contexte L’accès au travail salarié, au divorce, à la propriété, à la contraception, au statut de sujet en droit et à des soutiens sociaux comme les crèches ont graduellement permis à de plus en plus de mères d’échapper à des relations de couple insatisfaisantes et même d’élever des enfants conçus hors des liens du mariage. Il y a accélération du recours au divorce depuis les années 1960, et on observe un désintérêt croissant des pères pour le soin des enfants : le partage des tâches domestiques plafonne depuis longtemps[8] et en France, les demandes de garde par les pères au moment du divorce sont passées de 15% à 6% entre 1975 et 1989. De plus en plus de femmes se retrouvent donc en position d’ayant droit à l’autorité parentale et à un soutien matériel des pères et de l’État (pension alimentaire pour enfants, prestation compensatoire, allocations sociales). Cette évolution donne lieu aujourd’hui à un backlash des hommes divorcés et, graduellement, de l’État, inquiet de voir de plus en plus de familles échapper à la norme maritale. Les rapports d’information déposés avec le projet de loi sur l’autorité parentale ont un ton particulièrement alarmiste au sujet du taux de divorces en France (une union sur trois) et de naissances hors-mariage (une sur deux), associés par la droite à tous les maux sociaux : délinquance, abandon scolaire, et tutti quanti. À la suggestion de rapports déposés dans les années précédentes par Irène Théry (1998) et la Commission Dekeuwer-Defossez (1999), l’État français semble avoir choisi une approche d’ingénierie sociale pour rétablir d’un trait de plume les pères désinvestis dans leurs prérogatives traditionnelles. Abandonnant les critères du mariage, de la vie commune ou du partage des tâches parentales, il s’est rabattu sur la filiation biologique comme ultime fondement, naturaliste, du pouvoir masculin : tous les hommes sur le même pied pour toujours, bons pères, donneurs de sperme et violeurs confondus, et plus question de leur échapper. Dans sa version initiale, finalement rejetée comme irréaliste par le Sénat, le premier article de la nouvelle loi se lisait comme suit : “ Le divorce n’emporte par lui-même aucun effet sur les droits et devoirs des parents à l’égard des enfants ni sur les règles relatives à l’autorité parentale […] ”[9]. Cette mise à égalité artificielle de parents biologiques inégalement investis dans l’activité de soin des enfants a emprunté le discours des droits de l’enfant et celui des pères soi-disant victimisés, omniprésent dans la culture occidentale depuis les années 1970. Le backlash des pères Des féministes ont mis en lumière les efforts faits pour nier les privilèges masculins face aux avancées et revendications des femmes (Ehrenreich, 1983; Faludi, 1991; Bard, 1999). Dans le cas des pères, Barbara Ehrenreich (1983) situe à la fin des années 1950 aux USA l’apparition des premières associations d’hommes divorcés se posant en victimes et reg roupés principalement dans la lutte contre leurs obligations matérielles (partage des biens du couple au moment du divorce et pensions alimentaires). De moins en moins d’hommes demandent la garde et ceux qui la demandent l’obtiennent dans plus de 50% des cas (Chesler, 1986; Fineman, 1989; Boyd, 2002), contrairement aux prétentions masculinistes. Cependant, le mouvement visant à accroître les prérogatives du parent non gardien a pris depuis trente ans une ampleur extraordinaire, relancé notamment par les représentations culturelles associées aux hommes victimisés par les femmes et par le divorce – comme dans le film Kramer contre Kramer (Faludi, 1991). Nous avons décrit ailleurs (Dufresne, 1998) quelques autres figures du mouvement masculiniste, particulièrement actif aux USA, dans le monde anglo-saxon (Royaume-Uni et Australie) et en bonne voie d’implantation dans le reste de l’Europe. En plus des associations de pères divorcés, on y trouve notamment des associations pourvoyeuses de témoins experts négationnistes des agressions sexuelles, par exemple la False Memory Syndrome Foundation, des filières de déjudiciarisation des agressions sexistes (violence conjugale, viol, viol d’enfants, prostitution), des universitaires réclamant un traitement préférentiel des garçons et des hommes décrits comme laissés pour compte – sinon franchement castrés – par les institutions pédagogiques et sociales, des organisations charismatiques comme les Promise Keepers américains qui prônent un réarmement moral des époux et des pères, appelés à restaurer leur loi au foyer, etc. Les masculinistes ont leurs entrées aux plus hauts échelons de l’institution politique. Carol Smart (1989) s’est penchée sur les interactions entre les visées de réforme sociale de la nouvelle droite et celles du lobby des pères. Aux Etats-Unis, l’élection de George W. Bush a permis à ce lobby, investi de longue date au Republican Party, de prendre le contrôle de certains appareils d’État essentiels. Selon des féministes américaines qui étudient cette mouvance (Wilson, 2000; Ross, 2002), la nouvelle droite néo-conservatrice et des mouvements de reconstruction patriarcale comme la Fatherhood Initiative et le Children’s Rights Council s’affairent à démanteler, ou détourner au profit de leurs propres entreprises les ressources d’assistance sociale aux femmes appauvries ou violentées, obtenues de haute lutte par le mouvement des droits civiques et le mouvement des femmes depui les années 1960. Susan Boyd (2002) associe les nouveaux pouvoirs concédés aux pères au mouvement généralisé de privatisation qui repousse les femmes dans la sphère du privé, comme le fait la suppression des programmes sociaux et de l’aide juridique en droit de la famille, progressivement remplacée par la médiation imposée. Discours de légitimation Cette politique néo-libérale demeure toutefois masquée par certains discours de légitimation qu’on a vus à l’œuvre autour de la loi française sur l’autorité parentale. Le projet de loi 687 a d’abord été présenté – aux parlementaires par le gouvernement et à la population par les médias libéraux – comme un simple reflet fonctionnel de nouveaux comportements : divorces consensuels, couples parentaux harmonieux même en l’absence de vie commune, pères investis dans les tâches parentales et simplement désireux d’en faire plus, enfants avides de courir chez des papa-poules, résidences alternées vécues sans autre problème que le retard de la loi à les reconnaître, belles fratries transgénérationnelles, mères éperdues de reconnaissance. Mais les perspectives ainsi affichées juraient vraiment trop avec le réel : la moitié des divorces sont dûs à la violence conjugale, le quart des pères divorcés fuient leurs responsabilités, et la résidence alternée – extrêmement onéreuse au plan logistique (Côté, 2000) – n’est le fait que d’un pour cent des familles françaises. Le discours s’est alors fait normatif, imposant la réforme au nom de l’intérêt de l’enfant et de l’équité entre les sexes. Tandis que la garde exclusive et celles à qui on l’avait laissée étaient conspuées comme retardataires et égoïstes, les parlementaires de droite et de gauche ont rivalisé de rhétorique pour encenser ces pères à qui on tendait de nouveau le pouvoir. Au nom desdroits de l’enfant, bien sûr. L’épreuve des faits Ces discours de légitimation ont beaucoup emprunté à l’aura de professionnels (psychologues, médiateurs, protecteurs de l’enfant) luttant pour imposer leur expertise en concurrence directe au droit de la famille. Fineman (1988) décrit ces nouveaux experts comme systématiquement hostiles au divorce et à la notion même de parent gardien. Mais depuis une vingtaine d’années, dans d’autres territoires et de plus en plus en France, tout un travail se fait pour répondre à ces discours et mettre en lumière la réalité de l’activité parentale et des ruptures familiales. Travail de soutien de première ligne et d’enquête statistique. Travail de témoignage et de relais des violences divulguées. Travail de confrontation des apologistes du retour à la loi du silence et du pouvoir masculin absolu. Travail d’analyse féministe de l’évolution du droit et des politiques sociales entourant la reproduction. Nous ne pouvons qu’esquisser ici les lignes de force de cette lecture de terrain matérialiste, opposée aux fictions néo-libérales. Les féministes attentives à ce dossier parlent d’un déni et d’une évacuation systématique de l’expérience des femmes (travail matériel, rapport aux enfants, violences subies) dans les nouvelles formules “ neutres ” d’assignation des enfants, rappelant que le traitement égalitaire d’êtres inégalement situés ne génère que plus d’inégalité. Elles interrogent le caractère essentiel et essentialiste prêté à l’autorité paternelle et aux modèles qu’elle justifie, contrairement aux données empiriques de plus en plus nombreuses (voir encadré) sur ce que vivent les femmes et les enfants à qui on impose ce traitement. Elles désignent la hausse des violences que provoquent déjà les nouvelles prérogatives masculines de garde, d’accès et de contrôle des enfants et des ex-conjointes, accordées sans égard aux comportements passés; le harcèlement juridique imposé au nom des “ droits du père ”; les chantages associés aux conventions privées et à la mé ;diation, réduite à une courroie de transmission de l’autorité paternelle. Elles dénoncent une dépossession des femmes dans la restriction croissante de leurs droits, y compris le droit d’accès à une avocate et au tribunal. Les témoignages recueillis démontrent que ce déni de justice touche particulièrement les femmes des catégories doublement opprimées, femmes racialisées, pauvres, lesbiennes, handicapées, marginales ou autrement discriminées (Boyd, 2002).
|
![]() | Art. 371 L'enfant quittant le territoire national sans être accompagné d'un titulaire de l'autorité parentale est muni d'une autorisation... | ![]() | «Réformes en matière de droit de famille: Bilan de la situation des droits des femmes» organisé, Dans le cadre du séminaire |
![]() | «Le droit fédéral prime le droit de Land.» Ainsi, si une loi fédérale existe elle annule une loi du land si celle-ci est contradictoire... | ![]() | «chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand IL fait seul un acte usuel de l'autorité parentale relativement... |
![]() | ![]() | «la société française était "inquiète" de la "marginalisation" de la Pologne en la matière, et observant que l’interdiction de l’ivg... | |
![]() | «Loi du rétrécissement continu de la famille»(Durkheim) et pluralité des types de famille : passage du clan totémique (relation mystique... | ![]() | «L’impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie, dans... |
![]() | «évaluation de la performance» pour amortir les effets d’une crise complexe. Sous le signe de la «modernisation de l’Etat», une nouvelle... | ![]() | «L’impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie, dans... |