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Université de Nantes École doctorale Droit, Économie-Gestion, Sociétés et Territoires (ED 501) Doctorat de sociologie CAROLINE MAZAUD ENTRE LE MÉTIER ET L’ENTREPRISE Renouvellement et transformations de l’artisanat français Thèse dirigée par Sylvain MARESCA, Professeur, Université de Nantes Soutenue le 9 décembre 2009 Jury : Didier DEMAZIÈRE, Directeur de recherche, CNRS (rapporteur) Dominique JACQUES-JOUVENOT, Professeur, Université de Franche-Comté (rapporteur) Sylvain MARESCA, Professeur, Université de Nantes Gilles MOREAU, Professeur, Université de Poitiers Jean-Noël RETIÈRE, Professeur, Université de Nantes Bernard ZARCA, Directeur de recherche honoraire, CNRS Entre le métier et l’entreprise. Renouvellement et transformations de l’artisanat français. Cette thèse analyse les changements dans l’organisation du travail artisanal et dans l’accès au statut d’artisan depuis les années 1980, moment où la sociologie a cessé de prendre ce groupe pour objet de recherche. Située à la croisée de plusieurs sociologies instituées (groupes professionnels, travail et mobilités sociales), elle combine différentes méthodes d’investigation : recueil et exploitation de données statistiques, observation et analyse de productions institutionnelles et entretiens avec des artisans sortants (âgés de 50 ans et plus) et entrants (installés depuis 3 à 5 ans) dans cinq communes de la Loire-Atlantique. Cette recherche révèle que le modèle du métier, quasi unique dans les années 1980, fait place à une variété de cas qui déstabilisent ce qui fondait la régulation du travail artisanal et la reproduction traditionnelle du groupe des artisans. Elle pointe en effet la variété dans les pratiques professionnelles, les savoirs mobilisés et dans les modes d’acquisition de ces savoirs. L’accès au statut d’artisan s’est aussi diversifié : des reconvertis (décrocheurs de l’Université ou ex-cadres) intègrent aujourd’hui le secteur des métiers. Contrairement à ce qui prévalait il y a une trentaine d’années, les artisans qui s’installent désormais ne sont majoritairement pas passés par un statut d’ouvrier et leurs parents sont plus souvent issus de catégories sociales moyennes et supérieures. On assiste finalement à un mouvement d’éloignement entre les classes populaires et les petits indépendants. Mots-clés : Artisan, entreprise, métier, transformations Between craft and business. Renewal and transformations of French craft industry. This thesis analyses the modifications that occurred in the craftwork organization and in the access to the craftsman status since the 1980s’, moment when Sociology stopped taking this group as a research subject. Standing at the crossroads of several institutionalized sociologies (professional groups, labour and social mobility), it combines different methods of investigation : the collection and exploitation of statistics, the observation and analysis of institutions’ documents and interviews with outgoing (50 years old and more) and incoming (set up for 3 to 5 years) craftsmen in five Loire-Atlantique’s communes. This research reveals that the craft pattern, almost unique in the 1980s’, leaves place to a diversity of cases which destabilizes what used to found the craftwork’s regulation and the traditional reproduction of the craftsmen group. It shows indeed the variety in the professional practices, the knowledge mobilized and in the ways this knowledge is acquired. The access to the craftsman status has also been diversified : people who dropped out of University or ex-executives retrain in the craft area. Contrary to what prevailed about thirty years ago, craftsmen who set up from now on did not in the majority go through a worker status and their parents are more often from the middle or upper social classes. We are finally witnessing a growing distance between the working classes and the small self-employed workers. Key-Words : Craftsman, Business, Craft, Transformations Discipline : Sociologie Centre nantais de sociologie (EA 3260) Chemin de la Censive du Tertre — BP 81 227 — 44 312 Nantes cedex 3 À mes parents, Remerciements Mes remerciements vont d’abord aux artisans qui ont accepté de m’ouvrir les portes de leurs ateliers et de leurs domiciles et pris le temps de me livrer le récit de leurs parcours. Merci à la Chambre de métiers et de l’artisanat de Loire-Atlantique pour sa coopération, et en particulier à l’équipe entourant Michel Babicky, responsable du service Études et développement des entreprises, pour m’avoir facilitée l’accès aux sources extraites du Répertoire informatique des métiers. Merci également à Véronique Careil, salariée permanente du service Actions Économiques de la Chambre régionale des métiers et de l’artisanat des Pays de la Loire, pour avoir mis à ma disposition des données chiffrées et des études, notamment réalisées dans le cadre de l’Observatoire régional de l’artisanat. Je remercie aussi chacun des représentants des organisations professionnelles qui m’ont accueillie à l’occasion de différents entretiens : Élisabeth Fessart, Martine Lalande, Alain Pichavant, Marc Nédélec, Martine Guérin et Jean-Yves Chevalier. Cette thèse n’aurait par ailleurs jamais pu voir le jour sans le soutien institutionnel qui l’a encadrée. Je tiens ainsi à remercier la MSH Ange Guépin qui m’a offert les conditions matérielles favorables à la rédaction de ma thèse. Merci aux membres du Cens, mon laboratoire de recherche, qui, à l’occasion de séminaires ponctuels ou de discussions plus informelles, m’ont permis de mûrir mes idées ou de m’aiguiller sur de nouvelles pistes de recherche. Je tiens tout particulièrement à exprimer ma reconnaissance à Annie Collovald, Virginie Grandhomme, Ève Meuret-Campfort, Fabienne Pavis et Jean-Noël Retière pour leurs lectures attentives et leurs remarques pertinentes. Merci également à Tristan Poullaouec pour son aide précieuse s’agissant du volet statistique de cette thèse. L’occasion solennelle de ces remerciements me permet, bien sûr, d’exprimer ma gratitude envers Sylvain Maresca, mon directeur de thèse. Il a été le guide éclairé et bienveillant dont tout apprenti chercheur souhaite être entouré. Je remercie enfin mes proches, famille et amis, qui ont su trouver les mots d’encouragement dans les moments de doute qui ont parfois jalonné ces années de recherche. Table des matières INTRODUCTION GÉNÉRALE 9 De l’intérêt de mener aujourd’hui une recherche en sociologie sur les artisans 10 Un groupe professionnel peu étudié 10 Une voie d’accès mal connue 10 Le choix de la perspective dynamique 11 L’artisanat et les sciences de gestion 13 Le point de départ : la catégorie sociale des artisans définis juridiquement 14 Croisement d’échelles 18 De nouvelles lignes de fractures 24 Penser l’unité et la diversité du groupe 28 VERS UN MODÈLE DE L’ENTREPRISE ? 32 L’ARTISANAT ET L’ÉTAT 33 Retour sur les politiques menées 34 Du métier au statut social… 34 … de l’artisan à l’entreprise 35 L’artisanat comme levier pour l’emploi 38 L’ADMINISTRATION DE L’ARTISANAT 42 La défense des intérêts : d’une représentation des entreprises artisanales à une animation économique du secteur 42 Maillage territorial et structuration interne 44 Participation au développement technologique et à l’innovation 46 Réalisation d’études et de recherches et diffusion de l’information 47 Production d’études et de recherches 47 Actions de valorisation de la recherche 48 Promotion de l’artisanat et recrutement de ses membres : deux discours pour deux publics 50 Le métier et l’ascension sociale par l’indépendance pour recruter la main-d’œuvre qualifiée 50 L’entreprise pour séduire les employeurs de cette main-d’œuvre 52 PARTIE 1 57 LES TRANSFORMATIONS DE L’ARTISANAT 57 CHAPITRE 1 60 UN ARTISANAT : 60 DES ACTIVITÉS, DES MÉTIERS 60 ET DES REPRÉSENTATIONS VARIÉS 60 UN DYNAMISME GLOBAL APPARENT… 61 Des entreprises plus nombreuses 61 Des entreprises plus grandes 63 Une activité économique au beau fixe 65 … QUI MASQUE DES RÉALITÉS TRÈS VARIÉES 67 Des difficultés de renouvellement dans certains métiers… 69 L’alimentation, un secteur très contrasté 69 L’artisanat de production concurrencé par l’industrie 72 La réparation face au marché du renouvellement et à un phénomène de concentration 75 …compensées par des secteurs en forte progression 79 Quand le bâtiment va… 79 L’embellie des métiers du service 81 RUPTURE AVEC LE SENS COMMUN 85 Séparation entre les biens personnels et les biens professionnels 86 Un renouvellement plus urbain que rural 88 Moins d’ancrage de boutiques de proximité 90 Des produits et services moins destinés à une clientèle de particuliers uniquement 91 Diminution de la production et augmentation de la tertiarisation 92 CHAPITRE 2 95 LA FISSURE DU MIROIR 95 LES SPÉCIFICITÉS DE L’ARTISANAT DES ANNÉES 1980 (SELON BERNARD ZARCA) 96 Une division du travail par classes d’âge 96 Les quatre classes d’âge 96 L’exercice commun du métier 97 La maîtrise de l’ensemble du procès de fabrication 97 Similarité des cheminements socioprofessionnels de ses membres 98 Une même norme d’acquisition des savoirs 98 L’idéal d’installation (et le projet de mobilité sociale) 99 Le miroir identificatoire, socle de la régulation de l’artisanat 99 L’ARTISANAT D’AUJOURD’HUI DÉRÉGULÉ… 100 Une division du travail redéfinie 100 Séparation production/gestion 100 Diminution de la pratique commune du métier 102 Diminution de la maîtrise de l’ensemble du procès de fabrication 104 Spécialisation des tâches 104 Hiérarchisation dans l’organisation du travail 105 Coexistence de cheminements socioprofessionnels divergents 107 Des modes d’acquisition des savoirs différents 107 Le niveau monte 107 Diffusion de l’enseignement de gestion en formation initiale et continue 110 Émergence d’entrants aux parcours variés : ex-étudiants ou cadres 113 Les décrocheurs de l’université 114 Les ex-cadres reconvertis 117 Des reconvertis qui imposent des pratiques venues de l’extérieur 119 CHAPITRE 3 124 CRISE DE LA TRANSMISSION 124 LE SENTIMENT D’ÊTRE UN HOMME DU PASSÉ 125 Un contexte plus défavorable à l’installation 126 Le montant des investissements initiaux de plus en plus élevé 126 « À l’époque » et « maintenant » 129 Des intrus dans « la société des loisirs » 131 Dissensions générationnelles 132 « Les jeunes, ils ne veulent plus forcer ! » 132 Un nouveau modèle de la jeunesse 134 Génération et organisation 136 CRISE DE LA TRANSMISSION… 137 … des savoir-faire 138 « Les jeunes contre le boulot » ? 138 Rupture dans la transmission du métier 139 … et des entreprises 140 Se maintenir en attendant la retraite 140 Beaucoup d’incertitudes et peu de cessions d’entreprises 142 PARTIE 2 148 LES RÉSISTANCES 148 DE MÉTIER 148 CHAPITRE 1 150 LES REGROUPEMENTS PROFESSIONNELS 150 ET LES ENTRAIDES 150 L’ADHÉSION À DES GROUPES EXISTANTS 152 Les organisations professionnelles 152 Groupements de métier et groupements d’achat 156 Rassemblements à l’échelle locale 160 LA CRÉATION DE GROUPES FORMALISÉS 160 S’unir activement pour défendre des intérêts communs 160 L’indépendance dans l’union 163 LES ARRANGEMENTS INFORMELS 164 Les « coups de main » entre collègues 164 Les représentants qui tissent du lien 165 CHAPITRE 2 167 LE CAPITAL D’AUTOCHTONIE 167 LE TERRITOIRE COMME RESSOURCE SOCIALE 168 Le capital d’autochtonie : un capital social populaire bénéficiant aux « enracinés » visibles localement 168 Les autochtones ligériens 171 L’influence du capital d’autochtonie dans la transmission d’entreprises artisanales 176 POURQUOI LE CAPITAL D’AUTOCHTONIE RÉSISTE-T-IL À LA CONCURRENCE DES CAPITAUX ÉCONOMIQUE ET CULTUREL ? 180 Le capital d’autochtonie n’est pas obsolète 180 Abbaretz aux mains d’actifs résidents 180 Une configuration similaire dans les autres communes 183 Superposition de la défense du territoire et du métier 186 CHAPITRE 3 191 LA FAMILLE 191 LA PRISE EN CHARGE DES OBLIGATIONS D’ORDRE DOMESTIQUE ET ÉDUCATIF 194 Libérer du temps… 194 Le temps passé au travail : valeur et réalité objective 194 Le rôle de la famille dans la gestion du temps de l’artisan 195 … et de la disponibilité d’esprit en dispensant l’indépendant de ses obligations familiales 196 Solidarité intergénérationnelle 196 L’APPORT ADMINISTRATIF ET COMMERCIAL 197 Commerce et secrétariat 197 Comptabilité 199 L’APPORT FINANCIER 200 Apport financier direct 200 Apport financier indirect 201 CHAPITRE 4 205 LES NÉO-ARTISANS 205 ET LE MARCHÉ DE L’AUTHENTIQUE 205 LES NÉO-ARTISANS 206 Les néo-artisans de 1968 et des années 1975-1980 207 Les néo-artisans d’aujourd’hui 209 LE MARCHÉ DE L’AUTHENTIQUE 216 Une volonté des consommateurs… 216 … qui devient un marché… 217 … et un emploi pour des reconvertis dans une conjoncture de crise. 220 CHAPITRE 5 223 LES STRATÉGIES DE RECONVERSION 223 STRATÉGIE DE RECONVERSION : APPROCHE THÉORIQUE ET EMPIRIQUE 224 Une mobilité transversale intergénérationnelle 225 Investissement financier dans l’entreprise et investissement dans l’avenir des enfants 230 L’AVENIR SOUHAITÉ POUR LES ENFANTS 232 Un statut de salarié préférable à un statut d’indépendant 232 « Aller le plus loin possible » dans les études 233 La différenciation père/mère 235 PARTIE 3 240 LE RECRUTEMENT DES ARTISANS 240 CHAPITRE 1 242 DIMINUTION DU RECRUTEMENT OUVRIER 242 À L’INTÉRIEUR DE LA TRAJECTOIRE PROFESSIONNELLE 244 Ascension intragénérationnelle pour les artisans installés dans les années 1970 244 Analyse de flux 244 Analyse longitudinale 246 Diminution du passage par le statut d’ouvrier 250 PAR RAPPORT À L’ORIGINE SOCIALE 252 Mobilité intergénérationnelle ascendante pour les artisans installés dans les années 1970 252 Moins de fils d’ouvriers parmi les nouveaux installés 255 CHAPITRE 2 258 AUGMENTATION DES ORIGINES MOYENNES ET SUPÉRIEURES 258 UN PASSÉ PROFESSIONNEL AU NIVEAU MOYEN DE LA STRATIFICATION SOCIALE 259 Description de flux 259 Des origines professionnelles variées 259 30 % venus du « salariat intermédiaire » 261 Analyse longitudinale de trajectoires 263 DES DÉSENCHANTÉS DANS UN CONTEXTE SOCIOÉCONOMIQUE DÉFAVORABLE 266 Les motifs 266 Critique du salariat 266 Peur de l’« enfermement » 266 Le contexte singulier 267 UNE ORIGINE SOCIALE MOYENNE ET SUPÉRIEURE EN AUGMENTATION 268 Description de flux 268 Le groupe socioprofessionnel du père 268 Classes sociales d’origine 270 Processus 270 Trajectoires 272 Les héritiers du statut 272 Les fils de professions intermédiaires, cadres et professions intellectuelles supérieures 274 LES ATOUTS DES NOUVEAUX ENTRANTS 277 Le capital économique 277 Les ressources scolaires et culturelles 278 Le réseau social 280 RETOUR SUR LE MODÈLE DE L’ENTREPRISE 283 POURQUOI N’ASSISTE-T-ON PAS À UNE ENTREPRENEURISATION TOTALE ET UNIFORME DE L’ARTISANAT ? 284 Manque de relais au niveau micro 284 Éloignement culturel 285 La variété des ressources visibles à d’autres échelles et dans d’autres dimensions 287 POURQUOI LE MODÈLE DE MÉTIER N’EST-IL PLUS HÉGÉMONIQUE ? 289 Les conséquences du cadre définissant les frontières extérieures du groupe 289 La conjoncture socio-économique favorisant les reconversions en direction de l’artisanat 289 Les organisations prônant, au plus près des artisans, un modèle de l’entreprise 290 Logique d’expansion 292 Principe de standardisation 292 Rationalisation des pratiques 293 POUR CONCLURE : RENDRE COMPTE DES RÈGLES DE FONCTIONNEMENT D’UN ENSEMBLE SOCIAL HÉTÉROGÈNE 296 CONCLUSION GÉNÉRALE 298 BIBLIOGRAPHIE 302 ANNEXES 314 |