Chapitre I - Modélisation des écoulements internes en turbomachines I Introduction Nous présenterons dans ce chapitre une description des méthodes les plus utilisées pour la conception et le projet des turbomachines avec une considération spéciale pour les méthodes quasi-tridimensionnelles, domaine dans lequel s'orientera l'essentiel du présent travail.
On présentera tout d'abord une approche générale du processus de conception des turbomachines en indiquant les différents types de modélisations utilisées. On détaillera, ensuite, cette démarche qui ressemble, en ses étapes générales, à l'évolution qu'a subie la démarche de modélisation des turbomachines au cours du temps. Après un bref aperçu des équations générales qui régissent les écoulements internes en turbomachines, les différents types de solutions et leurs hypothèses simplificatrices, on présentera les différentes méthodes spécifiquement adaptées à l'analyse de ces écoulements par ordre de complexité croissante : les méthodes unidimensionnelles, bidimensionnelles, quasi-tridimensionnelles et tridimensionnelles. Dans cette partie du chapitre, on portera une attention particulière aux méthodes qui ont servi de base au présent travail : notre attention s'est portée sur les analyses unidimensionnelles (l'équation d'Euler des turbomachines, l'équilibre radial simplifié et la théorie des disques actuateurs) ainsi que sur certaines méthodes bidimensionnelles et quasi-tridimensionnelles. On présentera le modèle quasi–tridimensionnel Sl–S2 proposé par Wu en 1952 [i] décomposant l'écoulement tridimensionnel en deux écoulements bidimensionnels couplés : l'un constitué de l'écoulement aube à aube et l'autre de l'écoulement méridien. L'écoulement aube à aube sort du cadre de notre travail, raison pour laquelle on n'en fournira qu'une brève description alors que l'on portera notre intérêt sur l'écoulement méridien.
I.1 Projet des turbomachines De très importants progrès ont été accomplis dans le domaine de la conception des turbomachines ces dernières années et l'éventail des méthodes et des outils à la disposition du concepteur a subi un important développement. Parmi toutes ces possibilités, les ingénieurs chargés de ces tâches doivent savoir choisir l'outil le mieux adapté à chaque étape du projet. La plupart des industries ont leurs propres schémas de conception, leurs codes ou leurs méthodes de calcul. Par exemple, dans la série publiée par l'AGARD (Advisory Group for Aerospace Research and Development) en 1989 [ii], plusieurs auteurs ont décrit des méthodes avancées et exhaustives pour le projet de divers types des turbomachines : compresseurs (Stow, Meauzé), turbines (Bry, Hourmouziadis), aubages bidimensionnels (Starken), pour n'en citer que quelques-uns. D'autre part, Howard et al. [iii] présentent une méthode pour la conception aérodynamique et thermique des turbines. Nojima [iv] montre une description similaire pour la conception de compresseurs centrifuges industriels. La méthodologie de conception des turbomachines dépend de l'application, de la géométrie et du domaine industriel d’application ; par conséquent, il n'existe pas d’approche unifiée.
Une démarche méthodologique générale peut cependant être retenue concernant la conception des turbomachines, elle est présentée en figure I.1. La spécification des paramètres globaux (cahier des charges) comprend le débit, l'élévation de pression, le rendement souhaité, les dimensions globales de la machine ou l'espace disponible pour la loger, les caractéristiques du fluide de travail et le type de machine en fonction de la tâche qui lui est destinée. Parmi d'autres paramètres qui sont aussi acquis au début du projet, on peut considérer les bases de données contenant les géométries des profils, les corrélations pour le calcul des pertes sur les aubages et les flasques, les fuites par jeux radiaux et les modèles pour le calcul des angles de déflexion.
La première étape du calcul consistera en une analyse globale faite à l'aide de modèles simplifiés de type unidimensionnel portant généralement sur le tube de courant moyen et utilisant l'équation d'Euler des turbomachines combinée avec les lois de l'équilibre radial simplifié (Noguera et al [v]). Dans cette étape, nous ferons appel à de nombreuses corrélations définissant les angles de déflexion (Rey [vi]) et les pertes (Bakir [vii]) en grilles d'aubes. Les résultats les plus importants de cette première étape seront les caractéristiques globales en fonction du débit et surtout une première approximation de la géométrie de la machine (notamment les profils des pales) qui servira à initialiser les autres étapes de la démarche.

Figure I.1 Projet des turbomachines
Il existe deux approches différentes pour la sélection des profils des pales : le problème direct et le problème inverse. Ils peuvent être décrits ainsi :
Problème direct (analyse). Les profils des pales sont générés par des techniques géométriques dont une loi d'évolution de la ligne moyenne (loi de cambrure) et une loi d'épaisseur. Des séries de grilles ainsi construites avec ces profils sont ensuite analysées par des méthodes théoriques, numériques ou expérimentales pour identifier les plus performantes et déterminer leurs caractéristiques aérodynamiques détaillées [viii] [ix] [x].
Problème inverse (dimensionnement). Cette technique permet au concepteur de spécifier les distributions des vitesses ou pression sur les surfaces des profils à construire. Des méthodes numériques très poussées permettent de déterminer la géométrie des profils qui réalisent ces distributions (Wilkinson 1967 [xi], Cheng 1981 [xii], Lewis 1982 [xiii] et 1991 [xiv], Luu 1992 [xv]). D'autres méthodes simplifiées permettent avec certaines contraintes imposées sur la géométrie (par exemple une famille fixe de profils), d’obtenir la géométrie la mieux adaptée aux conditions d'entrée et de sortie imposées au départ.
Si les méthodes inverses semblent offrir la solution idéale pour obtenir les caractéristiques souhaitées, elles présentent plusieurs inconvénients, notamment, il n'existe pas toujours un profil correspondant à toute distribution imaginable et, d'autre part, s'elle existe, la solution n'est pas toujours réaliste ou structurellement stable (Wilkinson 1967 [Error: Reference source not found]). Il est important de noter que les deux approches peuvent être utilisées dans le cadre de la conception de turbomachines, mais que les méthodes directes doivent être utilisées dans une boucle itérative dont la géométrie recherchée est obtenue par des améliorations successives de critères objectifs.
La deuxième phase, plus évoluée dans cette progression, est représentée par l'analyse dite quasi-tridimensionnelle ; le présent travail s’inscrit plus particulièrement dans ce domaine. Ces méthodes ont en commun l'idée de décomposer l'écoulement tridimensionnel qui se produit à l'intérieur de la machine en deux écoulements bidimensionnels couplés : l'écoulement aube à aube et l'écoulement méridien. Pour ces deux types de calcul il existe plusieurs méthodes de modélisation et de résolution. On n'en verra que quelques-unes parmi les principales. A cette étape de la conception, il est fréquent de faire appel aux méthodes ou corrélations pour prendre en compte les effets des couches limites, écoulements secondaires, fuites dans les jeux et pertes visqueuses.
Dans le processus de conception des turbomachines, l'étape la plus évoluée et la plus complexe celle qui demande le plus de moyens, aussi bien matériels qu'intellectuels, est sans doute l'analyse tridimensionnelle. Cette partie constitue la phase finale de la conception hydraulique ou aérodynamique proprement dite, elle est normalement accomplie à l'aide de codes de calcul résolvant les équations de Navier-Stokes dans tout le domaine concerné. Ces codes donnent un aperçu de l’évolution et de l’effet des couches limites, des écoulements secondaires ou des écoulements dans les jeux radiaux. Les effets instationnaires peuvent aussi être pris en compte par des logiciels spécialement conçus pour cette tâche. Le principal résultat de cette étape est une connaissance détaillée de l'écoulement à l'intérieur de la machine qui permettra de contrôler ses caractéristiques et de réaliser d’éventuelles modifications de la géométrie. Il est évident que ces codes très lourds ne sont pas adaptés aux premières étapes de la conception. Néanmoins, ces logiciels ont évolué aussi bien dans le domaine de la convivialité et facilité d'utilisation que dans le domaine algorithmique. Par conséquent, ils trouvent une place de plus en plus importante dans les étapes amont de la conception.
La dernière étape avant de passer aux essais indispensables pour le développement de toute nouvelle machine, consiste à calculer et à contrôler ses caractéristiques structurelles et thermiques. Bien entendu, cette étape échappe complètement à l’objectif du présent travail.
Il faut noter que dans chaque phase du projet, les paramètres géométriques peuvent être modifiés jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. De même, il est souvent possible et parfois nécessaire, de revenir sur les étapes déjà accomplies pour effectuer les modifications nécessaires.
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