Jimmy Simonnot «violences urbaines»





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I.Violences urbaines : l’usage banalisé d’une notion floue


La notion de « violences urbaines » ne peut s’appréhender sans partir d’un constat politico-médiatique de faits sociaux banalisés. Cette vision minimaliste conduit à une appréhension simpliste du phénomène (A). Cependant l’absence de consensus traduit par différentes approches de spécialistes ne permet pas de faire émerger une définition homogène des « violences urbaines ». Dès lors la notion demeure floue (B).

A. Constat d’une banalisation politique et médiatique des violences urbaines ou le mépris social


« La banlieue excite les phantasmes les plus divers ainsi que les discours explicatifs grevés de lourds préjugés. La conjonction de la campagne électorale, de la colonisation du discours politique et médiatique par les grilles d’analyses policières, et du développement de nouvelles formes de violences urbaines en fournit l’illustration. Analysés suivant le seul prisme de l’insécurité, les quartiers populaires n’apparaissent plus tant comme un lieu de souffrances que comme un sanctuaire de comportements illégaux en attente de réponses pénales. »2

1.« Violences urbaines » politisées : un mouvement de fond sécuritaire ou « l’habilité de magiciens »


L’expression « violences urbaines », si usitée en France, qui appartient presque au vocabulaire courant à été inventée par la police. L’expression a tout d’abord été créée par la 10ème section des renseignements généraux de la préfecture de police de Paris (RGPP) en 1988. Elle sera ensuite popularisée par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), qui la diffusera en direction des médias.

Le terme « violence urbaine », avec d’autres tels que « sentiment d’insécurité » et « incivilité », tentent de restituer les contours contemporains de l’insécurité. Cependant, les systèmes judiciaire et policier sont retissant à employer de telles expressions qui ne font pas écho au code pénal. Ce n’est donc pas un hasard que se soit les RG, et non pas la police judiciaire, plus étroitement liée aux questions de procédure, qui aient apporté ces mots dans le vocabulaire policier.

La création de ces termes traduit un fait important : les qualifications juridiques préexistantes ne suffisent plus, pour analyser la dynamique générale de l’insécurité. Le droit se révèle inadapté comme outil de compréhension des faits sociaux.

L’expression « violences urbaines » est donc devenue une catégorie centrale du discours policier sur la délinquance au tournant des années 1980 et 1990. Au cours de la décennie suivante, cette expression va se banaliser progressivement dans l’ensemble de la société au point de devenir pratiquement quotidienne dans les médias, d’être reprise par les décideurs publics jusqu’à constituer une catégorie de l’action gouvernementale. « Rarement une notion consacrée d’abord par son usage policier aura connu un tel succès (politique) […]. La magie de ce succès n’a pas opérée par un mystérieux enchantement, elle a requis l’habileté de magiciens »3.

En effet, on a progressivement constaté que, dès les années 80, les politiques (élus locaux, membres du gouvernement) ont employé des discours « durs » sur l’insécurité locale.
L’introduction et la reprise de termes tels que « ghetto », « zones de non-droit », « cités interdites », personnes « irrécupérables », « sauvageons », ou encore « racailles » nourri les peurs des administrés, qu’elles soient fondées ou non. Le poids des mots, dans les rhétoriques politiques, parfois guerrières, prend alors tout son sens. En effet, les discours permettent aux politiques, d’une part, d’investir la scène publique en répondant aux attentes sécuritaires (provoquées), et d’autre part, de désigner sous l’étiquette sécuritaire quels sont les problèmes, et comment les résoudre.

Certains auteurs en arrivent même à parler de « populisme punitif »4 dans la mesure où les politiques se fondent sur l’exploitation de l’insécurité pour se forger un soutien populaire. Ils utilisent, par là, des discours simplificateurs et des solutions dites de « bon sens » envers des citoyens considérés comme victimes. Aussi, des responsables des insécurités sont désignés, et les politiques, en empruntant la thématique de « tolérance zéro », se proposent de restaurer l’ordre local et de réprimer systématiquement tous les signes de désordres.

Le terme de « violences urbaines » prend alors tous son sens politique à travers ce mouvement de fond sécuritaire. Les médias vont s’en faire le relais.

2.« Violences urbaines » médiatisées : mise à jour d’un malaise social rendu banal

a)Du malaise social à la violence urbaine


Le problème des « violences urbaines » a véritablement surgi en 1981 avec les rodéos des Minguettes, il est repris dans la presse comme un événement de surprise, d’inattendu, d’imprévisible, alors même que ce phénomène existait bien avant mais qu’il n’avait suscité aucune attention. Dans une première période allant jusqu’en 1992, cet intérêt retombe mais certains journaux continuent de faire du problème des banlieues leur sujet de prédilection (Figaro, France soir, Nouvel Observateur : « La guerre des pierres ou Intifada », L’Express : « Les casseurs des ghettos) en y associant immigration et violence, donnant la représentation d’un territoire social spécifique, ayant des règles de vie propre etc. Ce n’est qu’ensuite, à partir de 1995, et grâce à une conjoncture politique favorable, que l’inquiétude va gagner des journaux qui jusqu’alors restaient minimalistes et insistaient sur les problèmes sociaux de ces quartiers (Le Monde par exemple). Les « violences urbaines » gagnent alors en extension et en flou, englobant des comportements très divers.

« Commence ainsi à s’établir une sorte de constat dominant sur la brutalité dont font preuve à l’égard de la plupart des autorités, des enfants et adolescents mal ou pas socialisés aux normes de la vie en société et sur l’urgence qu’il y a à en arrêter le cours. Un consensus unissant tous les interprètes autorisés du malaise des banlieues est en train de se cristalliser sur le caractère radicalement nouveau et inédit des phénomènes observés et sur la nécessité de les réprimer pour empêcher la contagion de la violence. ».5

A partir de 1998, la « violence urbaine » va devenir un véritable enjeu politique et un problème d’état. Les initiatives gouvernementales vont donner lieu à des débats, critiques et commentaires. A cela va venir s’ajouter un réseau élargi d’expertises (administrations constituées en observatoire de la violence produisant des statistiques et analyses nourries de leur pratique : police, justice, écoles etc.) qui viendront consolider les points de vue adoptés par les journalistes par des visions toujours plus alarmistes mais travaillées, qui donnent un sens plus technique à cette lecture négationniste du problème. On a donc assisté à une reformulation du malaise des banlieues en un problème de violence. Le problème n’était donc plus d’ordre social, mais il devenait un problème d’ordre public, impliquant une réorientation des politiques mises en place.

Face à l’augmentation et la transformation des faits constatés de « délinquance », de nouvelles catégories de comportement voient le jour : « violences urbaines » « incivilités » envahissent alors les discours des professionnels de la prévention et de la sécurité.

Les années 90 ont donc mis en évidence, un débat sur l’insécurité et les « violence urbaines » dont l’importance ne s’est pas démentie depuis. Le terme en tant que tel n’était pas vraiment nouveau, mais le débat public qu’il a suscité s’est considérablement renouvelé dans la période en question.

b)Un traitement banalisé, ciblé et amplifié des violences urbaines


Force est de constater que se posent aujourd’hui de sérieux problèmes relatifs aux répercutions du traitement journalistique des « violences urbaines ». Pour certains observateurs, il existerait, dans la retranscription de la réalité du phénomène, trois modes de traitement, trois logiques interprétatives de ces violences.

La première forme peut s’incarner dans un traitement « routinier » de l’information issu de la multiplication et de la répétition d’évènements de faible intensité. Un tel régime peut conduire à traiter les violences urbaines dans l’écueil d’une information banalisée, occultée. Le journaliste peut alors être tenté de se restreindre aux informations fournies par la police et le gouvernement pour témoigner des faits urbains. Dès lors, le travail journalistique semble être réservé aux seuls cas de « violences urbaines » d’une exceptionnel ampleur. Cela correspond au second mode de traitement de ces violences. Seuls sont sélectionnés les faits suffisamment choquants d’un point de vue moral, et d’une intensité particulière. Les scènes d’émeutes constituent alors la référence, notamment au sein de la presse télévisée. Il en résulte que le destinataire de ce type d’informations peut avoir une vision restreinte du phénomène de « violences urbaines » assimilée aux seules émeutes. Une troisième forme, procédant des régimes précédents de traitement, peut alors se dessiner : le régime d’amplification. Il semble constituer le principal danger dans le traitement de l’information journalistique puisqu’il ne rend pas compte de toute la « réalité » urbaine. Les concepteurs de cette division tripartite du traitement journalistique des violences urbaines scindent le régime d’amplification en deux composantes. D’une part, une amplification qui est issue d’un sur-traitement ciblé et dramatisé de certaines « violences urbaines ». D’autre part, une amplification qui incite certains destinataires à imiter les faits urbains retransmis, pour devenir eux-mêmes acteurs des violences urbaines dans une logique de revendication et de surenchère.6

En conséquence, le travail journalistique semble avoir banalisé, ciblé et amplifié les « violences urbaines ». Certains auteurs le dénoncent ouvertement en exposant le rôle des médias sur la production de ces actes.7 Il ne s’agit pas de dire que les journalistes sont des incitateurs directs à la réalisation de tels actes. Néanmoins, l’implication particulière des médias, dans ces faits urbains, traduit implicitement une forme de coproduction, déformation, stigmatisation du phénomène, à travers une logique de « provocation ».8

A travers cet état des lieux politique et médiatique des « faits urbains », on constate que la notion de « violence urbaine » est employée de manière simpliste au sein du débat public dans les questions de société que sont l’insécurité, la délinquance et l’urbanisme. Cependant, au delà de ce constat, que faut-il « entendre » par cette notion?
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