B.Esquisses de définition d’une notion flou : Approches explicatives du phénomène de violences urbaines
Les spécialistes des questions relatives à la sécurité, à la violence et à la crise sociale ont tentés d’approcher la notion et de la cadrer dans un contexte. On remarque aussitôt que les théories exposées diffèrent les unes aux autres dans cette tentative de délimitation. Cependant ces esquisses théoriques s’accordent au moins sur le fait que la notion de « violences urbaines », même si elle est constamment usitée, demeure difficile à appréhender. Dans le flou, ce concept devient un tout, vide de sens et de portée.
Selon S. Beaud, et M.. Pialoux, les « violences urbaines » sont caractérisées par un «
retour des classes dangereuses ». les auteurs estiment que les violences urbaines s'expliqueraient par le manque d'éducation, l'oisiveté et l'errance noctambule, la consommation de cannabis, l'absence de normes provoquant le non-respect de la loi, de l'autorité, de la morale et de la politesse. Toutefois, comme le remarque F. Dubet, bien que repris à outrance dans le débat publique, ce discours simpliste est constitué de préjugés et clichés bourgeois traditionnels. En effet, comment des classes dangereuses peuvent être de retour, alors qu'elles n'ont jamais cessé d'exister?
Selon A. Bauer, les violences urbaines reflètent «
une criminalité croissante et primitive ». Il considère qu'il s'agit d'une catégorie cohérente, même si sa dénomination pénale est toujours inexistante. Cette violence s'exprimerait de manière brutale, discontinue, aux origines et causes connues:
« les actes commis relèvent tous d'une criminalité primitive souvent brutale et pas toujours organisée. Au niveau basique des violences urbaines nulle sophistication mais une simple activité prédatrice, nulle froideur calculatrice, mais une succession de bouffées de violences, de crises entrecoupées de période de passivité, voire d'abattement. Ces violences ont des auteurs à l'âge et références sociales définie; elles se produisent enfin sur des territoires bien précis ».En dépit d'éléments qui peuvent sembler probant, on ne peut que rester dubitatif face à une affirmation dénuée de toute authenticité.
Selon E.Macé, les violences urbaines seraient une
euphémisation d'une violence sociale, symbolique qui trouve donc ni cadre, ni lieu d'expression. Autrement dit, le terme de « violences urbaines » serait inapproprié, car les problèmes de fond ne seraient pas simplement urbain, mais plus profondément d'ordre économique, social et politique, comme on le verra dans notre seconde partie.
Pour F. Bailleau, C. Gorgeon, C. Bahmann et N. Le Guennec ou encore J. Donzelot, les violences urbaines seraient les conséquences des politiques de gestion de la ville et de l'aménagement urbain, considérées comme les causes de la
désorganisation sociale et de la désocialisation propice à la déviance
, en particulier au sein des grands ensembles.
D'après S. Roché, le terme de «violences urbaines » est inadapté. En lieu et place, il préfère parler de « troubles péri-urbains ». Il argue que les violences urbaines ne désignent pas une catégorie juridique, mais un ensemble de phénomènes disparates: «
il s'agit de menaces sporadiques portés par des groupes qu'il faut contenir ».Toutefois, l'auteur s'empresse de distinguer les violences urbaines des émeutes. En effet, il soutient qu'une émeute est «
une conjonction dans le temps et dans l'espace de différents comportements qu'on nomme en France violences urbaines ». Autrement dit, la somme des violences urbaines peut constituer une émeute, ce qui est fort plausible.
Enfin, selon L. Muchielli, les violences urbaines sont ni plus, ni moins que des émeutes. Il estime que les violences urbaines désignent des conduites clairement délictueuses. Toutefois, il ne s'agit pas d'une catégorie scientifique, du fait de son manque de cohérence avérée. Face à ce constat, il apporte sa contribution en essayant de déterminer les contours d'une possible définition reflétant l'aspect émeutier dominant des violences urbaines:
« il s'agit de comportements de groupe (premier critère) auxquels les acteurs donnent le sens de manifestations légitimes de colère et de vengeance (deuxième de critère), dirigés contre un adversaire institutionnel (troisième critère).Au vu de ces approches, on peut constater que les différents auteurs ne s’accordent pas sur l’existence et l’explication d’une telle notion. Cependant, L’approche la plus crédible semble être celle développée par Sébastian Roché. En effet, pour lui, les violences urbaines ne désignent pas une catégorie juridique mais un ensemble de phénomènes disparates. Toutefois, en dépit de ce brouillard intellectuel, la notion reste admise et usitée dans le débat public, ce qui conduit de facto à son acceptation.
Au delà de la question du discernement, alors même que sa définition crée des dissidences, que contient cette notion flou ? Comment les mesure-t-on? Dès lors, si l’appréhension du contenant « violences urbaines » ne nous a pas permis de faire émerger un concept clair et objectif, son contenu pourra t’il justifier l’usage ce terme. Tel est l'enjeu de notre seconde partie.