Jimmy Simonnot «violences urbaines»





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C.Les « violences urbaines », un outil amplificateur de stigmatisation des « quartiers sensibles » par le vecteur urbain


Comme nous venons de le démontrer, « l’expression de violences urbaines ne va pas de soi, d’autant qu’elle apparaît typiquement française. Il est certes question de délinquance, de criminalité, d’insécurité, voire d’émeute, dans la plupart des pays riches. Mais, là où les autres sociétés nationales (Exemple : Grande Bretagne) désignent un problème économique, social, psychopathologique, ethnique ou juvénile, les français qualifient ce problème d’urbain. Or, ce qualificatif est problématique. Si « urbain » renvoie à l’espace concret de la ville, ce qualificatif est inapproprié parce que trop vague. L’usage du terme « urbain » pour qualifier certaines formes de violences semble alors une euphémisation de rapports sociaux et culturels de domination dont le territoire urbain est la scène plutôt que la cause. La dimension urbaine renvoie donc à un espace public et politique conflictuel de cette violence. »

Autrement dit, la notion « violences urbaines » est un simulacre terminologique venant masquer des problèmes sociaux divers et variés.

« L’implicite de l’expression française « violences urbaines » est donc le suivant : sont ainsi désignés des conduites violentes, collectives de jeunes de sexe masculin, souvent issus de l’immigration et vivant dans des quartiers populaires périphériques (les « banlieues ») ; ces conduites présentant à la fois des dimensions inciviles (infra-pénale), délinquantes et anti-institutionnelles. Cette implicite des violences « urbaines » à la française s’incarne dans la figure de jeunes, souvent originaires d’Afrique noire ou du Maghreb, qui imposent leurs conduites violentes aux autres jeunes et aux adultes de ces quartiers, qui brûlent les voitures privées, dégradent et détruisent les équipements publics et qui agressent ou affrontent tous les représentants de l’autorité et du service public, dans un crescendo pouvant aller jusqu’à l’émeute, mais ne donnant lieu qu’exceptionnellement à des violences graves entraînant la mort. »16.

En d’autres termes, l’usage ciblé de cette notion floue mène à la stigmatisation d’une population et des zones d’habitations déterminées.

« Dès lors, il s’agit de désigner certains comportements d’une partie de la jeunesse, ceux que l’on appelle généralement les « jeunes des cités » ou les « jeunes des banlieues ». Ces comportements correspondent en partie à le délinquance juvénile classique, (mais on considère d’ordinaire qu’ils prennent aussi des formes nouvelles d’irrespect des personnes et des biens, privés et surtout publics) […].

Il convient d’observer que cette stigmatisation est renforcée par le mutisme des autorités publiques : Par exemple, « Avec Nicolas Sarkozy un pas supplémentaire est franchi dans la dévalorisation de l’intelligence des situations : « Chercher à comprendre, c’est déjà vouloir excuser » » 17

Toutefois, comme le souligne Muchielli 

« La vérité est que l’on ne comprend pas les comportements d’une partie de la jeunesse. C’est pour dissimuler cette incompréhension que l’on se tourne vers les stéréotypes les plus éculés pour tenter de délivrer un discours cohérent […] » Ainsi, il existerait « […] un mur de préjugés et d’incompréhensions qui se dresse[rait] entre la jeunesse et ceux qui prétendent parler au nom des citoyens »18.

Dès lors, en refusant de reconnaître la moindre légitimité dans ces comportements, on se contente de les stigmatiser, reproduisant sous une nouvelle forme la violence du mépris social témoigné aux habitants des banlieues, alors qu’il faudrait commencer par en analyser les formes et les effets tout en en dénonçant la logique :

« Une étiquette devient vite infamante simplement parce qu’elle particularise, parce qu’elle permet au centre de renforcer son identité par rapport à la périphérie. L’encerclement des banlieues par des dispositifs stigmatisant contribue paradoxalement à encrer ces quartiers dans un monde à part, à reléguer leurs habitants en particulier les jeunes de ces cités. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire mais les actions horizontales [politiques de la ville] doivent être un élan pour les politiques de droit commun, pas un substitut. »19
Cette stigmatisation est visible dans le cadre de certaines enquêtes menées par des groupes de chercheurs dans des lieux où les émeutes ont eu un écho retentissant. En l’occurrence, on peut citer celle menée par Galland et Kokoreff en 2006, à Aulnay sous Bois et à St Denis, à la suite des évènements de novembre 2005.

D'un point de vue méthodologique, l'enquête est basée sur cinquante entretiens, faits auprès de divers acteurs sociaux des villes (élus, responsables de services municipaux, policiers, acteurs de terrain, militants, différents groupes de jeunes....). Pour les chercheurs, l'explication des émeutes urbaines de 2005, ne peut se comprendre au sens d’une démarche sociologique, sans croiser les regards sur les faits et les acteurs sociaux, mixtes de représentations et de réalités.

Du point de vue des résultats, la contribution de l'enquête ne peut être déniée. Effectivement, il appert une diversité des interprétations, et des justifications quant aux émeutes de novembre 2005 par les acteurs sociaux:


  • Conséquence de la concentration de la pauvreté

  • Conséquences de la discrimination policière

  • Effets pervers de l'Etat-providence

  • Effets d'une délinquance de masse


Selon Galland et Kokoreff, cette diversité d'interprétation témoigne d'un rejet des institutions républicaines, justifié par le manque de reconnaissance de leur malaise social.

« Le motif le plus général largement exprimé et partagé par les interviewés relève d’une thématique de la reconnaissance. Il s’agit pour eux de se montrer dans l’espace public, de « s’exprimer » et plus encore de « se faire entendre ». Ces jeunes de quartiers défavorisés estiment, en effet, que leur parole n’est pas prise en compte dans l’espace public ; plus encore, certains témoignent même d’un fort sentiment d’abandon. Dans ce contexte, la violence est présentée à la fois comme la seule forme d’expression disponible pour ces jeunes mais aussi le seul moyen efficace de se faire comprendre » (p46)

Autrement dit, il est clair qu’au regard de cette enquête, on serait en présence d’une violence d’expression, plus précisément une demande de reconnaissance de leur malaise social, qui se traduit regrettablement par une hausse des comportements déviants et déraisonnables. Malheureusement, cette violence n’est point reconnue comme une revendication politique et collective, n'est créditée d'aucune signification, et est souvent présentée comme gratuite ou simplement ludique. Or, lorsque des agriculteurs mettent à sac une préfecture ou même (comme en janvier 1999) un ministère, leur violence est reconnue par tous comme politique et est analysée comme une forme de protestation collective, et des négociations sont entreprises afin de rétablir l'ordre.

Dès lors, selon nous, un constat s’impose : dans ce flou, la terminologie « violences urbaines », n’est qu’un artifice, un tout, vide de sens et de portée, qui masque des échecs politiques en matière sociale, culturelle, linguistique et institutionnelle,20 d’une France autiste. Malheureusement, en lieu et place, le choix a été porté sur un renforcement d’une logique sécuritaire vouée à la stigmatisation, la relégation, l'incompréhension et à la ségrégation. Ce malaise social est alors repris et dénoncé, notamment par les groupes de rap, comme en témoigne l’illustration d’une chanson du groupe « NTM » :

Quelle chance, quelle chance
D'habiter la France
Dommage que tant de gens fassent preuve d'incompétence
Dans l'insouciance générale
Les fléaux s'installent - normal
Dans mon quartier la violence devient un acte trop banal
Alors va faire un tour dans les banlieues
Regarde ta jeunesse dans les yeux
Toi qui commande en haut lieu
Mon appel est sérieux
Non ne prend pas ça comme un jeu
Car les jeunes changent
Voilà ce qui dérange
Plus question de rester passif en attendant que ça s'arrange
Je ne suis pas un leader
Simplement le haut-parleur
D'une génération révoltée
Prête à tout ébranler
Même le système
Qui nous pousse à l'extrême
Mais NTM Suprême ne lâchera pas les rênes
Epaulé par toute la jeunesse défavorisée
Seule vérité engagée:
Le droit à l'égalité



Je ne te demande pas de comprendre
Mais de résoudre
Les problèmes qui habitent
La banlieue qui s'agite
Toujours plus vite
Sans limite
Admet qu'il y a un point critique
A ne pas dépasser
En tant qu'informateur
Je me sens obligé de dévoiler la vérité
Car le silence ne sera plus jamais
Plus jamais toléré
Oh oui c'est triste à dire
Mais tu n'as pas compris
Pourquoi les jeunes de mon quartier vivent dans cet état d'esprit
La délinquance avance
Et tout ceci a un sens
Car la violence coule dans les veines
De celui qui a la haine
OK je reprend les rênes
Pour faire évoluer ton esprit
Pri-Prisonnier d'un système
Où les règles ne sont pas les mêmes


[…]
Extrait du titre : Le Monde De Demain
Interprété par : NTM
Année : 1991


Bibliographie
Christian Bachman et Nicole le Gennec, « Violences urbaines », Hachette littératures, 2002
Michel Wieviorka, «  Violence en France », Seuil, Février 1999
Sophie Body Gendrot, « Les Villes face à l’insécurité, des ghettos américains aux banlieues francaises », ed. Bayard 1998
Raphaël Draï et Jean Francois Mattëi, « La république brûle t’elle ?, Essai sur les violences urbaines françaises »,ed. Michalon, 2006
Sébastian Roché, « Le frisson de l’émeute, violences urbaines et banlieues », Seuil, 2005
Jacques Donzelot, « Quand la ville se défait, quelle politique face à la crise des banlieues », Seuil, 2006
Laurent Mucchelli, « Violences et insécurité: fantasmes et réalités dans le débat français », La Découverte, 2002
Angelina Peralva et Eric Macé, « Médias et violences urbaines. Débats politiques et construction journalistique », La Documentation Française 2002
Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « Violences urbaines, violences sociales : Genèse des nouvelles classes dangereuses », Hachette, 2005
Alain Bauer, Xavier Raufer Violences et insécurités urbaines, PUF 2006
Laurent. Mucchielli, « L’expertise policière des violences urbaines », revue « information sociale », n°92, 2001
Francis Bailleau et Catherine Gorgeon « Prévention et sécurité : Vers un nouvel ordre social », Div, Paris, 2000
Jérôme Ferret, Christian Mouhanna, peur sur les villes, Puf, 2005
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Rapport OND mars 2006
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Eric Macé : « Les violences dites « urbaines » et la ville, du désordre public au conflit dans l’espace public », Les 83-84 Annales de la Recherche Urbaine.1999
Cyprien Avenel, « Sociologie des quartiers sensibles », Armand Colin, 2005
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François Dubet, « La galère : jeunes en survie », Fayard, 1987
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1 J. Donzelot, quand la ville se défait : quelle politique face à la crise des banlieues ? (seuil, Paris, 2006)

2 P.Rimbert, « envahissants experts de la tolérance zéro » le monde diplomatique, février 2001

3 L. Mucchielli, « L’expertise policière des violences urbaines », revue « information sociale », n°92, p 14-83,2001

4 J. Ferret, C.Mouhanna, peur sur les villes, (Puf, Paris, 2005)

5  Anne Collovald, Maître de conférences en sciences politique à l’Université Paris X Nanterre. Chapitre 1 Page 43 in F. Bailleau, C. Gorgeon « Prévention et sécurité : Vers un nouvel ordre social » (Div, Paris, 2000)


6 A. Peralva, E. Macé « média et violences urbaines » (DF, Paris, 2002)

7 S. Roché, « le frisson de l’émeute : violences urbaines et banlieues », (Seuil, Paris, 2006) chapitre 4, la contagion, 75

8 L. Mucchielli, Violences et insécurité : fantasmes et réalités dans le débat français, (La découverte, Paris, 2002) 18-21

9 Note Direction Centrale de la Sécurité Publique (DCSP) 9 septembre 2004, adaptation à la française de la définition consacrée en 1995 par le Conseil de l’Europe

10 Rapport OND mars 2006, in A. Bauer et C. Soulez, peut on mesurer les violences urbaines, 453, 457

11 E. Renault : « Précarité sociales et violences urbaines. »

12 S. Roché : « Le frisson de l’émeute, violences urbaines et banlieues »,(Seuil, Paris, 2006) 33

13 L.Bui-Trong, Les violences urbaines à l’échelle des RG, état des lieux pour 1998, Cahiers de la sécurité intérieure, n°33, 1998, p. 215-224.

14 E.Macé : Les violences dites « urbaines » et la ville, du désordre public au conflit dans l’espace public , Les 83-84 (1999) Annales de la Recherche Urbaine, 59-64

15 Rapport OND mars 2006, in A. Bauer et C. Soulez, peut on mesurer les violences urbaines

16 E.Macé : Les violences dites « urbaines » et la ville, du désordre public au conflit dans l’espace public, Les 83-84 (1999) Annales de la Recherche Urbaine, 59-64

17 S. Roché : « Le frisson de l’émeute, violences urbaines et banlieues », (Seuil, Paris, 2006) 184

18L.Mucchielli : Violences et insécurité, (ed. La Découverte, 2002)

19 D.Duprez,  Le model français de prévention de la délinquance, la recherche d’un second souffle, in P.Hebberecht et F. Sack, la prévention de la délinquance en Europe : nouvelles stratégies (Larmathan : Gern, Paris 1997) 82

20 R. Draï, JF Mattéï, la république brûle t elle : essai sur les violences urbaines françaises, (Michalon, Paris, 2006)

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