Cours de mme tenenbaum





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DOCUMENTS 6 et 7 : Clientèle et réseaux de distribution

Com 27 février 1973, 2 espèces : clientèle et distributeur intégré de carburants

1ère espèce

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaque (Reims, 12 octobre 1970), la Société champenoise des carburants, aux droits de laquelle se trouve la compagnie française de distribution Total, a, par contrat du 24 mars 1958, confié aux époux Simon la location gérance d'une station service qu'elle venait d'édifier ;

Qu'une ordonnance d'expropriation étant intervenue le 19 septembre 1966 et la compagnie Total ayant réclamé l'attribution d'une indemnité en sa double qualité de propriétaire de l'immeuble et de propriétaire du fonds, les époux Simon ont prétendu que la convention de 1958 avait été inexactement qualifiée de location-gérance, qu'il s'agissait en réalité d'une location de locaux à usage commercial, qu'ils étaient donc les véritables propriétaires du fonds de commerce qu'ils avaient créé et que, par suite, c'était à eux que devait revenir l'indemnité prévue de ce chef ;

Attendu qu'il est reproché à la Cour d'appel d'avoir débouté les époux Simon de leurs prétentions alors, d'une part, que la location-gérance d'un fonds de commerce suppose l'existence du fonds, et qu'il ne peut exister de fonds sans clientèle préexistante, étant constaté que la station-service n'avait pas de clientèle quand les exposants l'avaient ouverte, une clientèle en puissance ne suffisant pas, que si d'excellentes installations de matériel et la possibilité de diffuser les produits d'une marque donnée peuvent attirer des clients, il n'en reste pas moins que la location de locaux parfaitement agences ne constitue qu'une location de locaux commerciaux et que la possibilité de diffuser les produits d'une marque donnée qui n'appartient pas au fonds de commerce lui-même, ne saurait avoir pour effet de créer un fonds de commerce, alors, d'autre part, que les époux Simon avaient fait valoir, dans des conclusions demeurées sans réponse sur ce point, que leurs activités annexes étaient importantes, que la station était implantée au centre d'une ville, que la clientèle était attachée au fonds en raison de ses services et que la distribution de carburants dépendait de ceux-ci, alors enfin que les juges du fond ne pouvaient statuer en termes hypothétiques, ni refuser de voir les conséquences légales de leurs propres constatations et que la Cour d'appel ne pouvait refuser de considérer que les époux Simon n'avaient pas créé la clientèle de la station-service en retenant, dans un motif qui, au surplus, confond les notions d'achalandage et de clientèle, que les premiers clients de passage n'avaient peut-être même pas désiré se faire servir par les époux Simon ou par le réseau Total, mais ont, tout simplement, cherché à satisfaire leur besoin immédiat de carburant ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'aux termes du contrat du 24 mars 1958, signe en parfaite connaissance par les époux Simon, le fonds de commerce de distribution de carburants par eux pris en location-gérance comprenait clientèle et achalandage, la cour d'appel, considérant à juste titre que la charge de prouver l'inexactitude de ces mentions incombait auxdits époux, a retenu que ceux-ci n'établissaient pas avoir personnellement attiré les clients, qu'en réalité la clientèle était indissociable des autres éléments du fonds, notamment de l'excellence des installations modernes mises à la disposition des exploitants et de la notoriété de la marque " Total " et que, lorsqu'il a été donné en location-gérance aux époux Simon, le fonds de commerce existait déjà dans son universalité, y compris la clientèle, laquelle était non pas seulement potentielle ou en puissance, mais réelle et certaine ;

Attendu qu'en déclarant, dans ces circonstances et abstraction faite d'autres motifs critiques qui peuvent être tenus pour surabondants, que les époux Simon... n’étaient pas fondés à prétendre avoir créé une clientèle attachée à un fonds qu'ils ont seulement loue et dont ils n'ont jamais acquis la propriété, la Cour d'appel, qui n'a pas statué en termes hypothétiques et qui a répondu aux conclusions, a usé de son pouvoir souverain ;

Que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi forme contre l'arrêt rendu le 12 octobre 1970 par la Cour d'appel de Reims
2ème espèce

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaque (Lyon, 5 janvier 1971), la société Desmarais Frères, aux droits de laquelle se trouve la compagnie française de distribution " Total " a, par contrat du 8 juillet 1958, donné en gérance libre à Jouenne une station-service neuve ;

Que, Total lui ayant notifié congé pour le 31 décembre 1969, Jouenne a prétendu qu'il avait créé le fonds de commerce, dont il avait été le premier exploitant et a soutenu que la convention de 1958, inexactement qualifiée de location-gérance, constituait en réalité une location de locaux à usage commercial, que, par suite, conformément aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, il avait droit au renouvellement du bail ou, à défaut, à une indemnité d'éviction ;

Attendu qu'il est reproché à la Cour d'appel d'avoir débouté Jouenne de ses prétentions alors, d'une part, que la location-gérance d'un fonds de commerce suppose l'existence d'un fonds et qu'il ne peut exister de fonds sans clientèle préexistante, les conclusions de Jouenne faisant valoir que le caractère spécialisé d'un immeuble ne peut suffire à attribuer au bailleur la propriété du fonds installé dans cet immeuble, alors, d'autre part, que l'achalandage constitue par des clients de passage ne doit pas être confondu avec la clientèle fixe du fonds de commerce qui s'approvisionne toujours au même endroit, alors, enfin, que le droit de distribution exclusive des produits d'une marque donnée n'implique pas que la clientèle d'un fonds appartient au propriétaire de la marque ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'aux termes du contrat du 8 juillet 1958, le fonds de commerce de distribution de carburant exploite sous l'enseigne " Azur - Desmarais frères ", donne en gérance à Jouenne, comprenait non seulement le matériel, les installations, les aménagements et les autorisations administratives nécessaires à l'exploitation, mais encore la clientèle et l'achalandage, la Cour d'appel constate que Jouenne ne rapporte nullement la preuve de l'inexactitude de ces mentions, qu'au contraire, il est constant que tous les éléments y compris les éléments incorporels, appartenaient à la société Desmarais Frères, que Jouenne n'a fait aucun apport personnel dans la création du fonds et qu'il ne peut prétendre n'avoir trouvé aucune clientèle à son entrée, que, dès le premier jour, des automobilistes se sont ravitaillés à la station-service, indifférents à la personnalité du gérant, que la clientèle existait déjà comme une réalité présente ;

Attendu qu'en déclarant dans ces circonstances et abstraction faite d'autres motifs critiques qui peuvent être tenus pour surabondant, que les prétentions de Jouenne étaient sans fondement, la Cour d'appel a usé de son pouvoir souverain ;

Que le moyen ne peut être accueilli, en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 5 janvier 1971 par la Cour d'appel de Lyon dispense d'amende
Cass. Civ 3ème 27 mars 2002 : clientèle et franchisé

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 12 juillet 2000), que les consorts Z..., propriétaires de locaux à usage commercial donnés à bail à la société Climatex, ont renouvelé le contrat de location le 19 août 1979 au profit de la société Confort Service qui, le 16 septembre 1986, a souscrit un contrat de franchise avec la société Conforama ; que le 29 mai 1987, les consorts Z... ont notifié à la société Confort service, aux droits de laquelle viennent désormais les époux X..., un congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction ; que les locataires ont assigné leur bailleur pour avoir paiement de l'indemnité d'éviction ;

(le premier moyen n’est pas reproduit)

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les consorts Z... font grief à l'arrêt de faire droit à la demande d'indemnité d'éviction des époux X..., alors, selon le moyen :

1° que, pour qu'un locataire franchisé ait un fonds de commerce en propre, il faut qu'il justifie soit qu'il a une clientèle liée à son activité personnelle indépendamment de son attrait en raison de la marque du franchiseur, soit que l'élément du fonds qu'il apporte, le droit au bail, attire la clientèle de manière telle qu'il prévaut sur la marque ; qu'en se bornant à retenir de manière générale que la société franchisée, aux droits de laquelle viennent aujourd'hui les époux X..., disposait sur les éléments constitutifs de son fonds de l'" abusus ", ce même si l'intuitu personae nécessaire à l'exécution du contrat de franchise avait conduit les parties à stipuler au profit du franchiseur un droit d'agrément ou de péremption en cas de cession de capitaux de nature à modifier le poids des associés sans rechercher ni apprécier en quoi le franchisé avait une clientèle liée à son activité personnelle, indépendamment de son attrait en raison de la marque du franchiseur, ou en quoi l'élément du fonds qu'il avait apporté, le droit au bail, attirait la clientèle de manière telle qu'il prévalait sur la marque, la cour d'appel a violé l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ;

2° que si les parties ont la faculté de soumettre leurs rapports au statut des baux commerciaux même si le bail ne présente pas de caractère, encore faut-il que cette volonté soit clairement exprimée ; qu'en retenant, pour considérer que les époux X... pouvaient réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction, que les bailleurs savaient lorsqu'ils ont délivré le congé avec offre de payer une indemnité d'éviction le 29 mai 1987 que la société locataire qui exploitait son fonds à l'enseigne Conforama était liée par un contrat de franchise souscrit au mois de septembre 1986, qu'ils ont, nonobstant ce changement dans la situation de leur locataire, continué de reconnaître à celui-ci le bénéfice du statut du décret du 30 septembre 1953 auquel s'étaient référés tous les actes antérieurs et renouvellement du bail et qu'un accord s'est par conséquent formé entre les parties, sans caractériser de manière précise et détaillée la volonté non équivoque des consorts Z... de soumettre le bail litigieux au statut des baux commerciaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ;

Mais attendu qu'ayant relevé, à bon droit, d'une part, que si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en oeuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l'élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n'est pas le propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en oeuvre à ses risques et périls, d'autre part, que le franchiseur reconnaissait aux époux X... le droit de disposer des éléments constitutifs de leur fonds, la cour d'appel en a déduit exactement que les preneurs étaient en droit de réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

Note H. KENFACK, D. 2002.2400

1 - Le franchisé bénéficie-t-il du statut des baux commerciaux ? Cette question est au centre de l'arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 mars 2002 dont la griffe à elle seule justifie l'importance (FS-P+B+R+I) (2) et qui sert de prétexte à ces brèves observations. Même s'il est de rejet, il s'agit d'un arrêt de principe.

Le litige naît à propos d'une affaire classique : un bailleur notifie à son locataire franchisé un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction. Le commerçant franchisé réclame alors sans succès le paiement de ladite indemnité et assigne son bailleur. Il convient d'avoir à l'esprit que, si aux termes de l'art. L. 145-14 c. com., le refus de renouveler un bail commercial donne au locataire évincé le droit, sauf exceptions, à une indemnité d'éviction, encore faut-il que ce locataire soit le propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux loués (art. L. 145-8 c. com.). Par conséquent, la question se pose nécessairement de savoir si le franchisé remplit cette qualité. Or, en droit français, la clientèle est considérée comme l'élément central du fonds de commerce. On en vient ainsi à la question qui divise doctrine et juges du fond : le franchisé est-il titulaire de la clientèle attachée à son fonds ?

2 - Comment en est-on arrivé à cette interrogation conduisant parfois à refuser le statut des baux commerciaux à un commerçant indépendant alors qu'il est paradoxalement accordé à des professionnels civils ? Inspirée par des arrêts déjà anciens de la Cour de cassation à propos des commerces dits « satellites » (3) et des stations-service (4), la Cour de Paris a refusé au franchisé le statut des baux commerciaux dans un arrêt de 1996 avant de le lui accorder dans deux arrêts du 4 oct. 2000. Ramené à l'essentiel, dans l'arrêt de 1996, elle a décidé que « ce qui attire la clientèle d'un prestataire de services franchisé ou concessionnaire, c'est la charte de la marque qui se traduit par la proposition de contrats types qui garantissent le principe d'une exécution dépourvue d'aléa ». Il ne peut en être autrement que si le franchisé prouve que « l'élément du fonds qu'il apporte, le droit au bail, attire la clientèle de manière telle qu'il prévaut sur la marque » (5). Ainsi, elle a posé le principe que, sauf preuve contraire apportée par le franchisé, la clientèle appartient au franchiseur. Dans les arrêts de 2000, ce principe a été renversé : la Cour de Paris a changé de jurisprudence et a décidé que le franchisé est propriétaire de son fonds de commerce, sauf s'il est dans un état de dépendance vis-à-vis du franchiseur (6).

3 - Un arrêt de la Cour de cassation était attendu pour fixer la jurisprudence. La question posée est d'une telle clarté et d'une telle simplicité que la réponse doit être sans ambiguïté. La troisième Chambre civile de la Cour de cassation décide que, lorsqu'un fonds de commerce est exploité dans le cadre d'une franchise, c'est le franchisé qui a le droit d'invoquer le renouvellement du bail. L'attendu de principe mérite d'être entièrement cité : « [...] d'une part [...] si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en oeuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l'élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n'est pas le propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en oeuvre à ses risques et périls, d'autre part, que le franchiseur reconnaissait aux époux Basquet le droit de disposer des éléments constitutifs de leur fonds [...] ». Cette décision emporte l'adhésion même si l'argument invoqué dans le « d'autre part » est maladroit. Il n'est plus utile de rechercher qui a créé la clientèle, ou même si le client est attiré par la marque du franchiseur ou par les qualités personnelles du franchisé. Dans l'arrêt du 27 mars 2002, le franchisé bénéficie du statut des baux commerciaux parce qu'il a une clientèle attachée à son fonds de commerce. Y a-t-il une seconde condition consistant au droit, pour le franchisé, de disposer de son fonds de commerce ?

4 - La clientèle est attachée au fonds de commerce du franchisé. Pour le décider, la Cour de cassation se fonde sur une argumentation économique proche de celle adoptée par les arrêts de la Cour de Paris du 4 oct. 2000. Cette approche économique n'est pas isolée en droit de la distribution, qu'il s'agisse des aspects contractuels ou concurrentiels, comme l'illustre le nouveau règlement relatif aux accords verticaux (7). Dans l'arrêt annoté, comme déjà dans ceux de la Cour de Paris, la prise en compte de l'exploitation « à ses risques et périls » est un élément déterminant dans l'attribution d'une clientèle au franchisé (8). Mais il n'est pas le seul.

La Cour insiste également sur le fait que ce qui compte, ce n'est pas la propriété des éléments d'attraction de la clientèle, mais leur simple maîtrise juridique (9). Ce point de vue doit être approuvé. Sans remettre en cause la conception traditionnelle du fonds de commerce, cette position de la Cour est conforme à la nature de cette technique originale qu'est la franchise. Le franchisé paie un droit d'entrée et des redevances au franchiseur. En retour, il reçoit le droit d'utiliser une marque, une enseigne... des signes de ralliement de la clientèle, ainsi que la communication d'un savoir-faire et une assistance technique et/ou commerciale. Grâce à tous ces éléments pour lesquels il verse une rémunération, à son emplacement, à ses qualités personnelles, le franchisé, en son nom et pour son propre compte, de façon indépendante, met en oeuvre une activité qui génère une clientèle. Comment a-t-il pu être décidé qu'il s'agit de la clientèle du franchiseur ? Cette clientèle est attirée par tous les éléments mis en oeuvre par le franchisé, qu'ils proviennent ou non du franchiseur. En effet, pas plus que le bailleur qui loue un emplacement de qualité, l'inventeur qui concède une licence d'exploitation (10) ou le publicitaire qui réalise une publicité particulièrement attractive de clientèle (11), le franchiseur ne peut être considéré comme bénéficiaire de la clientèle générée par les éléments organisés par le franchisé.

La Cour de cassation opère, enfin, une distinction entre les clientèles, la clientèle locale étant attachée au fonds de commerce du franchisé alors que la clientèle nationale est attirée par la notoriété de la marque du franchiseur. Même si elle n'affirme toutefois pas que la clientèle du franchiseur est uniquement constituée de franchisés (12), cette idée du partage de clientèle est curieuse. Qui sont ces clients nationaux du franchiseur ? S'agit-il de personnes attirées exclusivement par la marque ou par l'enseigne du franchiseur ? Un franchiseur qui ne développe pas une activité à côté de la franchise, par exemple en possédant des magasins propres ou en commercialisation par d'autres canaux, aurait une clientèle différente de celle du franchisé. De tels clients seraient différents des clients locaux attirés par les éléments mis en oeuvre par le franchisé. En d'autres termes, certains clients seraient exclusivement attirés par les moyens développés par le franchisé, et notamment par les éléments corporels de son fonds de commerce ou par l'élément incorporel que constitue le droit au bail, alors que d'autres seraient attirés par le franchiseur directement : par quels moyens ? Mal interprété, et malgré la formulation générale adoptée par la Cour de cassation, ce partage de clientèle peut marquer un recul : dans un réseau de franchise dont la marque est particulièrement notoire et attractive, un juge du fond pourrait-il décider que la clientèle locale n'existe pas ?

Comme on l'a déjà dit, il est hasardeux d'essayer de déterminer la part de chacun des éléments de la franchise dans l'attraction et la fidélisation de la clientèle. Il n'est pas besoin d'opérer un partage entre une clientèle locale et une clientèle nationale pour attribuer au franchisé la titularité de la clientèle de son fonds de commerce. Il suffit, comme le décide d'ailleurs la Cour de cassation dans l'arrêt annoté, de se fonder sur la nature de la franchise en relevant que c'est le franchisé, certes avec l'aide du franchiseur, qui exerce, à son nom et pour son propre compte, une activité qui, grâce aux moyens qu'il met en oeuvre, attire une clientèle. Peu importe qu'elle soit locale, nationale, de passage ou fixe. C'est bien le franchisé qui, de manière indépendante, livre le produit ou fournit le service au consommateur. Il est logique qu'il soit titulaire d'une clientèle. Il a par conséquent un fonds de commerce et bénéficie du statut des baux commerciaux. C'est ce que décide l'arrêt annoté et cette décision doit être approuvée. Le second élément de l'argumentation de la Cour laisse perplexe.

5 - La Cour de cassation se fonde également sur le droit, pour le franchisé, de disposer de son fonds de commerce. Après avoir accordé le statut des baux commerciaux au franchisé parce qu'il a, d'une part, une clientèle attachée à son fonds de commerce, la Cour de cassation ajoute, d'autre part, que le franchiseur reconnaissait au franchisé le droit de disposer de son fonds de commerce. Ce « d'autre part » superflu et inutile contribue à obscurcir l'arrêt. L'absence d'une stipulation contractuelle conférant au franchisé le droit de disposer de son fonds de commerce entraîne-t-elle qu'il n'a pas de clientèle et n'a pas droit au statut des baux commerciaux ? La solution de l'arrêt du 27 mars 2002 pourrait-elle être exclue en l'absence d'une telle clause ? Il est d'ailleurs permis de se demander dans quels cas un franchisé peut ne pas avoir le droit de disposer de son fonds de commerce. Il n'est pas discutable que le contrat de franchise est intuitu personae. Toutefois, comme l'a décidé la Cour de cassation, ce simple caractère n'empêche pas la cessibilité du contrat mais exige simplement le consentement du cocontractant cédé (13). L'agrément du franchiseur doit donc être obtenu avant toute cession. Un tel agrément n'est pas en principe discrétionnaire, et il est possible que la jurisprudence qualifie d'abusif un refus d'agrément sans motif (14) ou alors une succession de refus d'agrément. De plus, il ne concerne que le seul contrat de franchise et non tout le fonds de commerce, même si l'essentiel du fonds repose sur le contrat de franchise.

Il est permis d'espérer qu'il ne s'agit pas d'une véritable seconde condition (15). Par ce « d'autre part » sans intérêt, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a peut-être simplement voulu indiquer que le franchisé ne doit pas être entièrement dominé par le franchiseur et qu'il doit avoir une certaine indépendance, comme l'avait déjà exigé la Cour de Paris dans les arrêts du 4 oct. 2000. En réalité, une telle précision est superflue : ou bien il s'agit d'un franchisé et il est indépendant, au moins juridiquement, ou bien il est dépendant et ne peut avoir une telle qualité. La Cour de cassation a d'ailleurs procédé à des requalifications de contrat de franchise en contrat de travail (16) ou même simplement appliqué les dispositions du code du travail à des relations qualifiées par les parties de franchise (17). Dans de telles hypothèses, le « franchisé » ne bénéficie pas du statut des baux commerciaux. Par conséquent, il peut être logique de penser que le « d'autre part » ne constitue pas une véritable condition et qu'en l'absence de clause conférant au franchisé un droit de disposer du fonds, la solution reste inchangée.

6 - En définitive, cet arrêt accroît l'importance des éléments corporels du fonds de commerce et celle de l'activité du franchisé. Il apporte à la question de la clientèle du franchisé une réponse qu'on espère définitive. En mettant entre parenthèses les interrogations relatives essentiellement au droit du franchisé de disposer de son fonds de commerce, par sa formulation générale, l'arrêt du 27 mars 2002 marque un coup d'arrêt à la casuistique inaugurée par l'arrêt de l'Assemblée plénière de 1970 (18) et poursuivie par celui de la Cour de Paris du 6 févr. 1996. Désormais, le franchisé (et la solution vaut pour le concessionnaire) est propriétaire de son fonds de commerce. Encore faut-il qu'il s'agisse d'un franchisé, la tâche des juges devant se limiter à cette qualification
(1) Ces quelques lignes sont écrites à la mémoire du Professeur Jean Derruppé qui avait souhaité la solution adoptée par la Cour de cassation dans l'arrêt annoté. Il a marqué de sa plume plusieurs domaines du droit commercial et du droit international privé, notamment celui de la propriété du fonds de commerce dans la franchise et la concession exclusive. V., notamment, La propriété commerciale des franchisés, note sous CA Paris, 4 oct. 2000 (2 arrêts), Petites affiches, 16 nov. 2000, p. 11 ; La propriété commerciale des franchisés et concessionnaires, Petites affiches, 23 avr. 1997, p. 70 ; Le franchisé a-t-il encore une clientèle et un fonds de commerce ?, AJPI 1997, p. 1002.

(2) Bull. civ. III, n° 77 ; D. 2002, AJ p. 1487, obs. E. Chevrier ; JCP 2002, Act. n° 196.

(3) Cass. ass. plén., 24 avr. 1970, Bull. ass. plén., n° 3 ; D. 1970, Jur. p. 381, note R. L. ; JCP 1970, II, n° 16489, note B. Boccara.

(4) V., notamment, Cass. com., 27 févr. 1973, D. 1974, Jur. p. 283, note J. Derruppé ; Cass. 3e civ., 13 févr. 1980, Bull. civ. III, n° 3 ; RTD com. 1980, p. 760, obs. J. Derruppé.

(5) CA Paris, 6 févr. 1996, D. 1997, Somm. p. 57, obs. D. Ferrier ; JCP 1997, II, n° 22818, obs. B. Boccara ; Gaz. Pal. 1996, 1, Doctr. p. 538, obs. P. de Belot ; RTD com. 1996, p. 238, obs. J. Derruppé.

(6) CA Paris, 4 oct. 2000, D. 2001, Somm. p. 301, obs. D. Ferrier ; ibid. 2001, Jur. p. 1718, et notre note; JCP 2001, II, n° 10467, note B. Boccara.

(7) Règl. n° 2790/1999/CE, 22 déc. 1999, relatif aux restrictions verticales.

(8) Pour une critique de cet argument économique tout en approuvant la solution adoptée, V. J. Derruppé, note préc., et notre note préc. sous CA Paris, 4 oct. 2000.

(9) V., déjà, B. Boccara, Fonds de commerce : le renouvellement des concepts (en marge des droits des franchisés), D. 2000, Chron. p. 15 ; J. Derruppé, La propriété commerciale des franchisés et concessionnaires, préc.

(10) V. J. Derruppé, note préc. sous CA Paris, 4 oct. 2000.

11) V. notre note préc. sous CA Paris, 4 oct. 2000.(12) Dans ce sens, J. Derruppé, Le franchisé a-t-il encore une clientèle et un fonds de commerce ?, préc. ; B. Boccara, chron. préc.

(13) V., récemment, Cass. 1re civ., 6 juin 2000, Bull. civ. I, n° 173 ; RTD civ. 2000, p. 571, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2000, art. 37237, n° 69, obs. P. Delebecque ; D. 2001, Jur. p. 1345, note D. Krajeski. V., déjà, Cass. com., 7 janv. 1992, Bull. civ. IV, n° 3 ; D. 1992, Somm. p. 278, obs. L. Aynès; JCP 1992, I, n° 3591, obs. C. Jamin ; RTD civ. 1992, p. 762, obs. J. Mestre.

(14) Rappr. CA Lyon, 17 mai 2001, RJDA 2001, n° 1204.

(15) Dans le même sens, V. E. Chevrier, obs. préc.

(16) V., notamment, Cass. com., 3 mai 1995, JCP éd. E 1995, II, n° 748, obs. L. Leveneur ; D. 1997, Jur. p. 10, note L. Amiel-Cosme ; Cass. soc., 25 févr. 1998, JCP éd. E 1998, p. 536, note P. Morvan.

(17) Cass. soc., 4 déc. 2001 (trois arrêts), Bull. civ. V, n° 373 ; D. 2002, Jur. p. 1934, et notre note.

(18) Précité.
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