THEME 7 LE FONDS DE COMMERCE (2)
Location-gérance et vente
La location gérance
DOCUMENT 1 : Cass. Com. 4 mai 1999, D. 2000.135, note Th. LANGLES Exercice : résoudre le cas pratique suivant en répondant de manière argumentée et détaillée. Chaque étudiant devra apporter pour la séance le texte des articles L 144-1 à L 144-13 du Ccom M. CAUSSIGNAC a changé de vie professionnelle depuis un an. Il a démissionné de son poste d’analyste financier en raison du stress lié à son travail et a décidé de revenir dans sa ville natale en province pour ouvrir une petite épicerie de produits bios. Son commerce marche bien mais malheureusement, M. CAUSSIGNAC apprend qu’il est gravement malade et qu’il doit aller suivre un traitement spécialisé aux Etats-Unis. M. CAUSSIGNAC a investi beaucoup d’énergie dans le lancement de son commerce et il ne veut pas que tous ses efforts soient gâchés par son absence qui risque de durer un certain temps. Son voisin et ami, M. LECLERC, est prêt à reprendre l’affaire.
M. CAUSSIGNAC et M. LECLERC viennent vous consulter pour savoir s’ils peuvent conclure un contrat de location gérance et dans l’affirmative, s’il y a des publicités qui doivent être effectuées.
Le traitement de M. CAUSSIGNAC est miraculeux et il revient finalement plus tôt que prévu, cinq mois après vous avoir consulté(e) pour la première fois et avoir, sur vos conseils, conclu le contrat de location gérance. Il prend rendez-vous, cette fois-ci seul, pour une nouvelle consultation juridique. Il s’inquiète car des clients en ville lui ont dit que M. LECLERC n’était jamais présent : le magasin est tenu depuis le départ de M. CAUSSIGNAC par une cousine de M. LECLERC. Par ailleurs, il a reçu une lettre recommandée d’un grand traiteur de la région qui lui réclame le paiement d’une somme de 10 000 euros pour un buffet haut de gamme commandé par M. LECLERC à l’occasion d’une soirée organisée par ce dernier, quelques jours après le départ de M. CAUSSIGNAC, dans les locaux de l’épicerie pour des clients fidèles. M. CAUSSIGANC veut savoir si M. LECLECRC a pu consentir valablement une sous-location à sa cousine et d’autre part s’il est tenu de payer le montant qu’on lui réclame. Conseil de lecture complémentaire : H. KENFACK, Location gérance de fonds de commerce, Rép. Com Dalloz
La vente
DOCUMENT 2 : Cass. Com 26 janvier 1976
DOCUMENT 3 :Cass. Com 23 octobre 2007
DOCUMENT 4 : Cass. Com. 13 février 1990, Rev, sociétés 1990.251, note P. LE CANNU
Exercice : en vous fondant sur les arrêts reproduits dans les documents 2, 3 et 4, expliquer de manière détaillée quels sont les critères de qualification de la vente de fonds de commerce adoptés par la jurisprudence.
La location-gérance
DOCUMENT 1 : Cass. Com. 4 mai 1999 Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Deloumeaux, qui exploitait une station-service que la société Esso Antilles Guyane (Essant) lui avait donnée en location-gérance, a négligé de s'acquitter des cotisations de retraite complémentaire dont il était redevable auprès de la Caisse guadeloupéenne de retraites par répartition (CGRR) ; que celle-ci a obtenu sa condamnation, à ce titre, au paiement d'une somme de 122 096,23 francs, solidairement avec la société Essant en application de l'art. 8 de la loi du 20 mars 1956, le contrat de location-gérance n'ayant jamais été publié ; que la société Essant a contesté sa condamnation ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Vu l'art. 8 de la loi n° 56-277 du 20 mars 1956 ; - Attendu que, pour l'application de ce texte, aux termes duquel, jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation de ce fonds, il suffit que les dettes impayées aient été nécessaires à l'exploitation du fonds donné en location-gérance ; - Attendu que, pour infirmer le jugement du tribunal de commerce et rejeter la demande de la CGRR, la cour d'appel retient que l'art. 8 de la loi du 20 mars 1956 ne vise que les dettes d'origine contractuelle et que tel n'est pas le cas d'une cotisation sociale qui résulte de la loi ; - Attendu qu'en statuant ainsi, tout en retenant que les cotisations dues pour les retraites complémentaires des salariés de la station-service exploitée par Serge Deloumeaux étaient des dettes liées à l'exploitation de ce fonds, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;
Et sur le même moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu l'art. 8 de la loi du 20 mars 1956 ; - Attendu que, dès lors que le contrat de location-gérance n'a pas été publié, le loueur est, en application de ce texte, solidairement responsable des dettes contractées par le locataire-gérant pour l'exploitation du fonds de commerce, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le créancier avait eu connaissance de la mise en location-gérance de ce fonds ; - Attendu que, pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel retient aussi que l'art. 8 de la loi du 20 mars 1956 est destiné à protéger les tiers ignorant l'existence du contrat de location-gérance, ce qui n'est pas le cas de la Caisse régionale de retraites et de répartition, qui recevait les déclarations de M. Deloumeaux ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, [...] casse [...] renvoie devant la Cour d'appel de Fort-de-France [...]. Note Th. LANGLES, D. 2000.135, « Responsabilité solidaire du loueur de fonds pour dettes d'origine légale du gérant »
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| La loi n° 56-277 du 20 mars 1956 relative à la location-gérance des fonds de commerce et des établissements artisanaux dispose, en son article 8, que « jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds ».
La formule finale de cette disposition devait, dès son introduction dans le décret n° 53-874 du 22 septembre 1953 (1), susciter des interprétations divergentes de la part des commentateurs. Quel est en effet le sens précis de l'expression « dettes contractées (...) à l'occasion de l'exploitation du fonds » ? Renvoie-t-elle exclusivement aux dettes d'origine contractuelle ou englobe-t-elle également les dettes trouvant leur source dans la loi ? C'est cette importante question que la Cour de cassation tranche pour la première fois, par l'arrêt de sa Chambre commerciale du 4 mai 1999 (2).
En l'espèce, le locataire-gérant d'une station-service avait omis de payer les cotisations de retraite complémentaire de ses salariés. Le Tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre condamna solidairement le loueur et le gérant à verser les sommes dues à la Caisse de retraites. La Cour d'appel de Basse-Terre (3) infirma le jugement, en ses dispositions retenant la solidarité, aux motifs que la dette résultait de la loi et que la Caisse de retraites n'ignorait pas le contrat de location-gérance.
La Cour suprême prononce une cassation partielle qui lui fournit avant tout l'occasion de préciser l'objet de la solidarité passive du loueur de fonds (I). Elle rappelle également que celle-ci est dissociée de la connaissance que le créancier peut avoir de la mise en location-gérance. Il s'agit là d'une solution acquise, mais sa reprise est l'occasion de s'interroger sur le fondement de l'obligation solidaire du loueur de fonds (II). I - L'objet de la solidarité
La présente décision devrait simplifier le débat relatif aux contours de la solidarité supportée par le loueur de fonds. A l'avenir, les discussions ne devraient plus porter sur la nature de la dette (A) mais se concentrer, ce qui est déjà le cas en pratique, sur sa nécessité au regard de l'exploitation (B).
A - La nature de la dette
A première vue, l'expression « dettes contractées » semble renvoyer aux seules dettes d'origine contractuelle, à l'exclusion de celles ayant leur source dans la loi. Mais, à y regarder de plus près, le doute se fait jour, car le mot « contracter » est un de ces termes polysémiques dont le sens juridique est plus restrictif que le sens courant. Dans la langue commune, contracter une dette signifie simplement assumer un engagement, s'en reconnaître débiteur sans que cela préjuge de sa nature. Au contraire, dans le langage technique du droit, contracter veut dire s'engager par contrat.
Les travaux préparatoires du décret n° 53-874 du 22 septembre 1953 ne contiennent aucune indication de nature à dissiper le doute. En revanche, une réponse ministérielle, apportée quelques semaines après la publication du texte, accorde une portée très générale à l'expression litigieuse (4). Dans leur grande majorité, les premiers commentateurs du décret de 1953 firent cette interprétation extensive, selon laquelle la notion de « dettes contractées » englobait tant les obligations d'origine contractuelle que légale (5). Il eût été salutaire que, à l'occasion de la réforme du régime de la location-gérance, le législateur précisa sa volonté sur la question. Malheureusement, la loi du 20 mars 1956, qui reprit à l'identique la formule litigieuse, ne modifia pas les données du problème. La doctrine, dans son ensemble, se prononça à nouveau pour son interprétation extensive (6). Dans la présente affaire, les premiers juges avaient considéré que l'expression « dettes contractées » désignait, conformément au sens commun, les dettes « nées » à l'occasion de l'exploitation. Leur interprétation fut censurée par les juges du second degré pour qui le mot « contracté » devait s'entendre « des dettes d'origine contractuelle, à l'exclusion des dettes résultant de la loi comme les cotisations sociales ». La motivation de leur décision était toutefois critiquable. L'affirmation était motivée par l'existence, en matière fiscale, d'un texte spécial (7) prévoyant la solidarité du loueur pour les impôts directs. Cela revenait à considérer que l'article 1684-3 CGI constituait une exception à un principe, selon lequel les dettes légales seraient exclues du domaine de la solidarité (8). Or, l'antériorité du texte fiscal invite à rejeter cette thèse, voire à inverser la proposition, en décelant dans ce dernier une application d'un principe selon lequel les dettes d'origine légale entreraient dans le champ de la solidarité. Autrement dit, si le texte spécial devait déroger au régime de la solidarité du loueur de fonds, ce serait uniquement parce qu'il prolonge ses effets au-delà du terme que la loi lui assigne normalement (9). Il nous semble cependant vain de chercher à déterminer les contours de cette solidarité en liant les deux textes, l'article 1684-3 CGI n'étant vraisemblablement qu'une illustration de l'autonomie du droit fiscal (10). Quoi qu'il en soit, le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d'appel d'avoir violé l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 en affirmant que la solidarité ne s'appliquait qu'aux seules dettes contractuelles. La Chambre commerciale accueille le moyen, précisant que, pour l'application de l'article 8, « il suffit que les dettes impayées aient été nécessaires à l'exploitation du fonds donné en location-gérance ». Cette solution, dont le principe pourra susciter l'étonnement, nous semble cependant mériter l'approbation. Elle est conforme à la volonté du législateur de l'époque, qui n'a probablement pas souhaité cantonner la solidarité aux seules dettes contractuelles. Au surplus, allant dans le sens d'une plus grande protection des tiers, l'interprétation retenue par la Haute Cour est en accord avec la ratio legis inspirant la loi de 1956. Certes, on objectera qu'elle est contraire à la lettre du texte. Cela est incontestable, mais cette contradiction ne doit pas être l'occasion d'oublier l'esprit de la loi. Elle invite plutôt à dénoncer l'imprécision dont le législateur a fait preuve sur le plan terminologique. Ce mal, qui demeure malheureusement d'actualité, prive le langage juridique de la rigueur qui doit être la sienne, et contribue à entretenir des controverses qui, comme en l'espèce, ne devraient pas être.
De surcroît, nous ne pensons pas que la solution retenue remette en cause la rigueur à laquelle, dans son ensemble, la jurisprudence nous a habitués dans la mise en oeuvre de l'article 8. En effet, l'exigence dont elle a jusqu'ici fait preuve, et dont on ose espérer qu'elle ne se départira pas, s'exerçait, non sur l'origine contractuelle ou légale de la dette, mais sur sa nécessité au regard de l'exploitation.
B - Le caractère nécessaire de la dette
L'article 8 de la loi de 1956 ne prévoit l'obligation solidaire du loueur que pour les dettes contractées par le locataire-gérant « à l'occasion de l'exploitation du fonds ». Fort imprécise, cette formule fut d'abord interprétée largement par la jurisprudence, qui retenait la solidarité dès lors que la dette était liée, d'une manière ou d'une autre, à l'exploitation du fonds (11). Mais l'exigence d'un simple rattachement à l'exploitation lui apparut rapidement insuffisante et elle exigea par la suite que la dette répondit à une nécessité propre de l'exploitation (12). Eu égard au caractère exorbitant de droit commun de la garantie instituée par la disposition précitée (13), cette exigence apparaît pleinement justifiée. C'est pourquoi on doit approuver la Cour de cassation de s'être prononcée en faveur d'une interprétation stricte de l'article 8, au motif qu'il « déroge au principe général de la relativité des conventions » (14). Il faut, en effet, garder à l'esprit que le locataire-gérant est un commerçant qui exploite à ses risques et périls et non un préposé du loueur. Celui-ci étant étranger à la gestion du fonds donné en location, il est impératif de n'admettre que restrictivement son obligation aux dettes du locataire-gérant. Ainsi, ni les dettes strictement personnelles du locataire-gérant, telles les sommes dues au titre de ses cotisations d'assurance vieillesse (15) ni, plus largement, celles qui ne répondent à aucune nécessité propre de l'exploitation (16), ne sauraient entraîner la mise en oeuvre de la garantie du loueur. La solidarité est pareillement exclue quand le créancier a commis une imprudence à l'origine de son préjudice (17) ou lorsque la dette présente un caractère frauduleux (18). Enfin, il nous semble que le critère de la nécessité de l'exploitation commande d'exclure les dettes de nature délictuelle du champ de la solidarité (19). En effet, si de telles dettes peuvent incontestablement être liées à l'exploitation du fonds, on conçoit difficilement qu'elles puissent jamais être une nécessité propre de celle-ci. Dans l'affaire commentée, la cour d'appel avait bien constaté que les cotisations dues pour les retraites complémentaires des salariés de la station-service étaient des dettes liées à l'exploitation du fonds, mais, s'arrêtant à leur origine légale, les avait exclues de la solidarité. Assez habilement, le moyen du pourvoi faisait valoir, à titre subsidiaire, que les sommes dues au titre des cotisations sociales avaient une cause contractuelle, car il s'agissait d'obligations qui sont la suite légale d'opérations contractuelles (20) - engagements de salariés - passées par le gérant. Il n'était cependant pas nécessaire que la Cour de cassation entre dans ce débat pour censurer la décision qui lui était déférée. Il lui suffisait de relever la violation de l'article 8 par la cour d'appel qui, tout en constatant le lien de nécessité existant entre la dette et l'exploitation, n'avait pas retenu l'obligation solidaire du loueur. La cause semble ainsi entendue. Peu importe la nature de la dette, pourvu qu'elle soit nécessaire à l'exploitation du fonds. La cour de renvoi est invitée à relever que le paiement des cotisations sociales des salariés est une nécessité de l'exploitation devant entraîner la condamnation solidaire du loueur avec le locataire-gérant. II - Le fondement de la solidarité
Quel est le fondement de la garantie solidaire due par le loueur de fonds ? Une chose est certaine, ce n'est pas la théorie de l'apparence (A). D'autres explications ont été proposées mais aucune n'apparaît pleinement satisfaisante (B).
A - Le rejet de l'apparence
Dans la présente affaire, le contrat de location-gérance n'avait pas donné lieu à la publication d'un avis dans un journal d'annonces légales, comme le requiert l'article 8 de la loi de 1956. La Caisse régionale de retraites par répartition en avait néanmoins eu indirectement connaissance, au travers des déclarations qu'elle recevait du locataire-gérant. Moyennant quoi, la cour d'appel, considérant que l'article 8 était destiné à protéger les tiers ignorant l'existence du contrat de location-gérance, avait retenu cette circonstance pour écarter la garantie solidaire du loueur.
Cette motivation revenait à fonder la solidarité sur la notion d'apparence (21). Les règles qui gouvernent celle-ci commanderaient en effet d'écarter la garantie du loueur dès lors que les créanciers ont eu connaissance de la situation réelle. Mais le raisonnement de la cour d'appel n'avait aucune chance de prospérer. On sait en effet, depuis un arrêt rendu par la Chambre commerciale en 1992 (22), que lorsqu'un contrat de location-gérance n'a pas été publié, il n'y a pas lieu de rechercher si le créancier a eu connaissance de la mise en location-gérance du fonds. Cette solution est reproduite dans la présente décision. La censure est, là encore, pleinement justifiée. Certes, à l'époque où le contrat de location-gérance n'était soumis à aucune publicité légale, l'obligation solidaire du loueur pouvait être justifiée par le recours à la théorie de l'apparence. Celle-ci permettait d'expliquer la protection réservée aux créanciers qui avaient traité avec le gérant en considération de la valeur du fonds mais dans l'ignorance de sa qualité. Il était alors légitime que le droit attache une telle conséquence à la croyance erronée du créancier, le plus souvent provoquée par une faute ou une négligence du loueur. Mais, depuis le décret de 1953, date à laquelle la publicité légale des contrats de location-gérance a été imposée, il ne nous paraît plus possible de recourir à la théorie de l'apparence pour expliquer l'obligation solidaire du loueur au paiement des dettes nées en la personne du locataire-gérant dans le délai de six mois suivant la publication du contrat (23). Le caractère objectif normalement attaché à la publicité légale s'y oppose formellement, puisqu'il commande de ne pas prendre en considération la bonne ou mauvaise foi du tiers. Tout comme l'accomplissement de la publicité légale interdit au tiers à qui elle est opposée d'alléguer sa bonne foi parce qu'il l'a ignorée, les effets attachés au défaut de publicité se produisent sans qu'il soit permis au loueur d'opposer au créancier le fait qu'il avait connaissance du contrat de location-gérance.
Cela étant, le système retenu en 1956, qui maintient la solidarité pendant six mois à compter de l'accomplissement de la publicité, se marie mal avec le caractère objectif de celle-ci et la présomption irréfragable d'information des créanciers qui en découle. Il en ressort en effet que c'est l'écoulement du délai de six mois qui conduit à présumer de la connaissance du contrat chez les créanciers du locataire-gérant alors que cela devrait être sa publicité par insertion d'un extrait au journal d'annonces légales (24).
B - Les autres explications
Au lendemain de la publication du décret de 1953, on constata que le législateur avait souhaité créer une espèce de « communauté active et passive d'intérêts entre le bailleur et le locataire » (25). Désormais, le premier demeurait associé aux risques de l'exploitation qui n'étaient plus intégralement supportés par le second. L'obligation solidaire du loueur aux dettes du locataire-gérant était totale jusqu'à l'accomplissement des formalités de publicité, puis limitée à la valeur du fonds, une fois celles-ci réalisées. Cette association forcée, qui visait à protéger les créanciers du gérant mais aussi à limiter le recours à location-gérance, permit de suggérer d'autres explications de l'obligation du loueur. On évoqua ainsi l'existence d'une société en commandite entre les parties au contrat de location-gérance, le loueur se trouvant dans la situation d'un commanditaire (26). Mais l'idée n'était pas convaincante, car ce dernier ne collabore pas avec le gérant à la réalisation d'une oeuvre commune (27). Surtout, l'obligation solidaire qu'il supporte n'est pas assimilable à la participation aux pertes de l'associé, ne serait-ce qu'en raison du recours dont il dispose contre le gérant après avoir désintéressé le créancier.
Plus séduisante fut l'idée qui consista à voir dans cette communauté d'intérêts une application de la notion d'entreprise (28). Dans cette optique, le fonds de commerce constitue une entreprise et sa mise en location-gérance marque seulement un changement de direction de celle-ci. Les dettes qui naissent à l'occasion de l'exploitation sont donc celles de l'entreprise, ce qui justifie que son propriétaire puisse en être tenu (29). Toutefois, si cette explication pouvait être admise quand le loueur demeurait responsable à concurrence de la valeur du fonds après l'accomplissement des formalités de publicité, elle ne l'est plus depuis que la réforme de 1956 a prévu la disparition de son obligation solidaire après l'écoulement d'un délai de six mois à compter de celles-ci.
Il est en définitive bien difficile de trouver une explication satisfaisante à l'obligation solidaire du loueur de fonds de commerce. Ses contours actuels sont le fruit d'un compromis entre ceux qui souhaitaient la supprimer à compter de l'accomplissement des formalités de publicité, et ceux qui étaient partisans de la maintenir au-delà de cette date (30). On ne peut s'empêcher de penser que ce moyen terme n'est pas suffisant. Il est encore marqué du sceau de la méfiance dont le législateur a toujours fait preuve vis-à-vis de cette opération. La limitation dans le temps qu'il a substituée à la limitation en valeur traduit probablement la persistance de sa volonté de renforcer le crédit du locataire-gérant aux premiers temps de son exploitation (31). Ce n'est pas là son rôle. Le moment ne serait-il pas venu de reconnaître toute son efficacité à la publicité légale en supprimant la responsabilité du loueur après l'accomplissement des formalités de publicité (32) ?
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(1) A peine publié, ce texte fut modifié dans son art. 4 par un décret n° 53-963 du 30 sept. 1953.
(2) Sur cet arrêt, V. aussi, Petites affiches, 27 avr. 1999, p. 8, note P. M. ; Dalloz Affaires 1999, p. 825, obs. A.-L. M.-D. ; RTD com. 1999, p. 635, n° 6, obs. J. Derruppé ; D. 1999, IR p. 143.
(3) CA Basse-Terre, 13 janv. 1997, Bull. inf. C. cass. 1er oct. 1997, p. 32 ; BRDA 1998, n° 1, p. 10 ; RJDA 2/1998, n° 167 ; Gaz. Pal. 1997, Somm. p. 406, obs. H. Vray.
(4) Rép. min. n° 8863 à M. Baylet, JOAN Q, 12 nov. 1953, p. 5025, dont il ressort que l'expression « dettes contractées à l'occasion de l'exploitation du fonds » « englobe toutes les dettes de l'espèce (dettes commerciales, fiscales et sommes dues à la Sécurité sociale, d'une manière générale, toutes créances privilégiées ou chirographaires se rapportant au fonds) ».
(5) En ce sens, R. Houin, Location-gérance de fonds de commerce et communauté d'exploitation, RTD com. 1954, p. 21 ; P. Esmein, Gaz. Pal. 1953, 2, Doctr. p. 60 ; A. Cohen, La location des fonds de commerce d'après les décrets des 22 et 30 sept. 1953, JCP 1953, I, n° 1127 ; contra, J.-P. Vencent, Journ. not. 1954, art. 44173, p. 5.
(6) Sur cette loi, R. Maus et S. Lidsky, D. 1957, Lég. p. 269 ; R. Maus, La résurrection du contrat de gérance, D. 1956, Chron. p. 69 ; R. Houin, Le nouveau régime de la location-gérance de fonds de commerce, RTD com. 1956, p. 197 ; A. Cohen, Le nouveau statut de la gérance libre, JCP 1956, I, n° 1301.
(7) Il s'agit de l'art. 1684-3 CGI, texte issu d'un décret-loi du 2 mai 1938.
(8) En ce sens, H. Vray, obs. sous CA Basse-Terre, 13 janv. 1997, préc.
(9) La solidarité cesse normalement six mois après la publicité du contrat de location-gérance.
(10) En ce sens, Rép. min. n° 15139 à M. Bérard, JOAN Q, 20 févr. 1971, p. 475.
(11) Cass. com., 19 févr. 1969, Bull. civ. IV, n° 70.
(12) Cass. com., 8 févr. 1972, Bull. civ. IV, n° 52 ; Cass. com., 15 juin 1993, RTD com. 1994, p. 244, obs. J. Derruppé.
(13) En ce sens, A. Cohen, art. préc., JCP 1953, I, n° 1127 et JCP 1956, I, n° 1301, spéc. n° 44.
(14) Cass. com., 8 janv. 1980, JCP 1980, II, n° 19358, note A. S. ; RTD com. 1980, p. 318, n° 9, obs. J. Derruppé.
(15) Cass. com., 6 juin 1972, 2 arrêts, D. 1972, Jur. p. 580 ; Journ. not. 1973, p. 435, note Viatte ; JCP 1973, II, n° 17332, note A. S. ; RTD com. 1973, p. 73, n° 32, obs. A. Jauffret.
(16) Pour l'achat d'une caisse enregistreuse très coûteuse, Cass. com., 8 janv. 1980, préc.
(17) Cass. com., 17 oct. 1995, Dalloz Affaires 1995, p. 127 ; RJDA, 1/1996, n° 54 ; RTD com. 1996, p. 51, obs. J. Derruppé ; D. 1995, IR p. 236.
(18) Cass. com., 6 juin 1972, préc.
(19) En ce sens, R. Houin, art. préc., RTD com. 1954, p. 21 ; R. Maus et S. Lidsky, préc., D. 1957, Lég. p. 269 ; contra, J.-P. Vencent, art. préc., Journ. not. 1954, p. 5 ; A. Cohen, art. préc., JCP 1953, I, n° 1127, spéc. n° 42.
(20) En ce sens, A. Cohen, art. préc., JCP 1953, I, n° 1127, spéc. n° 42.
(21) Sur la question, V. notamment, J. Calais-Auloy, Essai sur la notion d'apparence en droit commercial, préf. Cabrillac, 1961.
(22) Cass. com., 7 janv. 1992, RJDA 2/1992, n° 148, p. 111 ; D. 1992, IR p. 52 ; RTD com 1992, p. 355, n° 5, obs. J. Derruppé.
(23) L'apparence pourrait toutefois être source de responsabilité pour les dettes postérieures au délai de six mois. En ce sens, Cass. com., 22 déc. 1980, Bull. civ. IV, n° 439 ; contra, Cass. com., 12 mars 1979, Bull. civ. IV, n° 95.
(24) En ce sens, R. Roblot, Traité de droit commercial, LGDJ, t 1, 16e éd. par M. Germain, p. 440, n° 589. Cette distorsion pourrait justifier le maintien de l'apparence comme fondement de la solidarité du loueur. En ce sens, J. Calais-Auloy, op. cit., spéc. n° 63 s.
(25) R. Houin, art. préc., RTD com. 1954.
(26) P. Esmein, art. préc., Gaz. Pal. 1953, 2, Doctr. p. 60.
(27) Toutefois, pour une solution inédite dans laquelle la présence d'un intérêt économique commun est pris en compte pour caractériser l'existence d'un contrat de location-gérance, Cass. com., 23 mars 1999, RJDA 5/1999, n° 548, p. 431 ; RTD com. 1999, p. 633, n° 5, obs. J. Derruppé ; D. 1999, IR p. 110 ; Dalloz Affaires 1999, p. 825, obs. A.-L. M.-D.
(28) Sur cette idée, V. notamment, C. Hannoun, F. Derrida et E. Kornprobst, Rép. com. Dalloz, v° Location-gérance de fonds de commerce, mars 1997, p. 6, n° 32 s.
(29) A condition toutefois de ne pas y voir une application de la théorie de l'enrichissement sans cause. En effet, antérieurement à 1953, la Cour de cassation refusa de faire droit aux demandes des fournisseurs impayés sur ce fondement, car l'enrichissement du loueur avait une juste cause dans le contrat de location-gérance et les obligations qui en découlaient pour le locataire-gérant. En ce sens, Cass. req., 22 févr. 1939, Gaz. Pal. 1939, I, p. 779 ; Cass. civ., 28 févr. 1939, Gaz. Pal. 1939, I, p. 813 ; D. 1940, I, p. 9. V. cependant sur cette question les auteurs cités à la note précédente, op. cit., spéc. n° 299, p. 28.
(30) R. Maus et S. Lidsky, préc., D. 1957, Lég. p. 269.
(31) Y. Guyon, Droit des affaires, t 1, 10e éd., Economica, n° 715-1.
(32) Contra, approuvant le système retenu en 1956, R. Houin, art. préc., RTD com. 1956, p. 206.
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